C. … nouveaux notables ?

Une lente prise d’assaut ?

En 1967, le renouvellement des chambres d’agriculture est de peu d’ampleur : on ne compte guère que 270 nouveaux membres, soit à peine 10 % des membres installés au printemps 1967. Et encore faut-il prendre en compte le fait que 109 d’entre eux sont des administrateurs des Centres régionaux de la propriété forestière (CRPF), désormais membres de droit de la chambre d’agriculture, depuis la loi pour l’amélioration de la production et de la structure foncière des forêts françaises d’août 1963. Que dire sur les 161 nouveaux membres ? La source qui permet de compter ces individus n’a pas la richesse des annuaires précédents : il s’agit d’une simple liste, précise mais laconique, simple actualisation des données publiées en 1965 4370. On ne connaît donc ni les âges, ni les professions, ni les mandats des nouveaux élus. Tout au plus peut-on se borner à énoncer un constat. Le postulat d’un turn-over partiel venant prendre la relève d’élites vieillissantes ayant siégé longtemps n’a que peu de validité : sur 150 sortants ne s’étant pas représentés ou n’ayant pas été réélus, 99, soit les deux tiers, étaient entrés à la chambre d’agriculture après 1952, dont 59 en 1964. Si aucun des nouveaux élus de 1967 n’a pu être identifié dans les listes des membres de l’URCA de son département entre 1942 et 1944 et si un seul semble avoir appartenu à un CROC, ils n’étaient guère que quatorze parmi les sortants non réélus à faire figure d’anciens de la Corporation paysanne. Quoique parmi ceux qui ont quitté la chambre d’agriculture en 1967, on compte 50 % d’hommes de plus de 60 ans, leur moyenne d’âge n’excède que de deux ans celle du groupe des 2483 membres restés à la chambre d’agriculture.

23 nouveaux présidents ont été élus à la tête d’une chambre en 1965, 1966 et au lendemain du renouvellement partiel de 1967. Trois présidents ont été remplacés car ils n’ont pas été réélus en 1967. Vingt autres ont été écartés mais demeurent membres de la chambre d’agriculture, dont Henry Magne, dont on se remémore la fragile réélection en 1964, face aux menées rivales des jeunes agriculteurs de l’Aveyron. 17 d’entre eux sont âgés de 58 à 80 ans. 17 avaient été élus membres de la chambre d’agriculture en 1952, voire avant, pour quatre d’entre eux. Sept présidaient une chambre d’agriculture depuis 1952, soit depuis quinze ans. Une génération de dirigeants s’efface progressivement. En 1970, au lendemain des élections, 24 nouveaux présidents sont élus : en cinq ans, c’est à un potentiel renversement de majorité que l’on assiste, avec 47 chambres d’agriculture sur 89 qui changent de président. Parmi ceux qui ont cédé leur place en 1970, sept n’ont pas été réélus membres de la chambre d’agriculture.

Sont dans ce cas quelques importantes figures de l’institution, dont Gilbert Martin, président de la chambre d’agriculture de l’Eure et fondateur de l’AFPA. Albert Genin, l’ex-secrétaire général de la FNSEA se retire également. Jean Viaux-Cambuzat, Michel Dalle et Eugène Forget, anciens syndics régionaux ou syndics adjoints de l’URCA de leur département, laissent la place. Le dorgériste Fernand Vangraefschepe, président de la chambre d’agriculture du Nord depuis 1952, cède son siège à l’ancien jaciste Paul Roussel, qui avait pris la présidence de la FDSEA en 1959 4371. Louis Richier, l’ancien député paysan des Hautes-Alpes, se heurte à « l’arrivée des jeunes JACistes » : lors des élections de 1970, « deux listes furent présentées pour les élections dans deux des trois collèges des groupements professionnels : une liste FDSEA et une autre intitulée "les anciens chambres" » et lors de l’élection à la présidence, Louis Richier ne totalise que 13 suffrages contre 15 à Robert Gillio-Tos 4372, président de la Fédération départementale des coopératives laitières et vice-président de la FDSEA, de 26 ans son cadet, décoré de la médaille de la France libérée et de la croix des Partisans.

Il faut préciser que le renouvellement des membres est relativement important en 1970. 1170 nouveaux membres sont recensés, soit 38 % des sièges. Cela se fait à la faveur d’une augmentation significative du nombre de sièges – 339 de plus, soit 12 %, depuis 1967 – mais surtout par le fait que 846 membres des chambres d’agriculture ne se représentent pas ou ne sont pas réélus. Malheureusement, les sources ne permettent guère de mesurer avec exactitude l’inévitable rajeunissement des chambres d’agriculture : les sortants non réélus ont en 1970 de 30 à 92 ans, avec une moyenne de 59 ans, et l’on peut supputer sans trop de risques que les nouveaux membres sont en moyenne plus jeunes, sans possibilité de le vérifier. C’est tout le problème de l’analyse des élections aux chambres d’agriculture : au-delà des très utiles mises au point statistiques permettant de « compter et de se compter », de mesurer la représentativité d’une organisation 4373, la précise analyse, au niveau national, des phénomènes de passation de pouvoir entre générations et entre tendances rivales du syndicalisme agricole reste à faire et l’historien bute sur des écueils. Ils sont nombreux les auteurs et les témoins qui accréditent la thèse d’une lente prise d’assaut des chambres d’agriculture par les « jeunes agriculteurs », comme de leur victoire collective ultime après le noyautage de la FNSEA.

Des indices nombreux mais ténus vont dans le sens de la thèse qui veut que l’étroite communauté d’esprit établie entre les jeunes turcs modernistes et le gaullisme modernisateur se soit faite en particulier contre ceux qui tenaient alors les chambres d’agriculture, lesquelles ont été prises d’assaut, une à une, et au sabre d’abordage, et cela seulement après que le syndicalisme jeune se soit installé au sein du syndicalisme aîné, en s’emparant de quelques positions, dont celle de secrétaire général 4374. En 1970, les présidents de chambre d’agriculture ont en moyenne 56 ans et seuls une vingtaine d’entre eux a moins de cinquante ans. Parmi les 24 présidents élus en 1970, on ne compte guère que deux anciens membres de l’URCA de leur département, mais aucun syndic adjoint ou syndic régional : si les anciens corporatistes quittent très lentement les chambres d’agriculture – on compte encore 18 anciens membres ou syndic d’une URCA parmi les présidents de 1970, contre 27 en 1967 et 35 en 1964 –, ceux qui les remplacent ont une autre trajectoire. Cependant, une dizaine d’autres présidents ont pu être identifiés comme ayant présidé le syndicat corporatif agricole de leur commune en 1943, dont trois viennent d’être élus à la tête d’une chambre d’agriculture – parmi eux, on retrouve Robert Gillio-Tos.

On touche ainsi à la complexité des trajectoires des membres et présidents de chambre d’agriculture. Il n’y a pas d’un côté les anciens corporatistes et de l’autre les jeunes agriculteurs, formés à la JAC et arrivés aux responsabilités par le biais du CNJA : c’est un truisme que d’oser écrire que les générations se télescopent et que la JAC, fondée dans l’entre-deux-guerres, a été l’un des lieux de formation de ceux qui ont ensuite endossé des fonctions dans les organisations de la Corporation paysanne. Les études sur la Jeunesse agricole catholique manquent pour jauger plus précisément ce phénomène complexe 4375 et il conviendrait de cumuler les témoignages et les indices probants. À l’échelle de Rhône-Alpes, c’est une vision a posteriori qui révèle la trajectoire des principaux dirigeants syndicaux des années 1950 à 1970 : Claudius Delorme identifie comme issus de la JAC Lucien Biset, Albert Genin et Florent Nové-Josserand, présidents des chambres d’agriculture de la Savoie, de l’Isère et du Rhône 4376. Tous trois ont été de 1942 à 1944 syndics adjoints de l’URCA de leur département 4377. Lucien Biset, président de la chambre d’agriculture de la Savoie depuis 1959, reste en fonctions jusqu’en 1979 et Florent Nové-Josserand, qui a succédé à Jules Calloud en 1966, jusqu’en 1978.

La présence des dirigeants du CNJA ou des élus des listes patronnées par les CDJA est très difficile à mesurer. Outre que ces listes sont souvent co-présentées avec les FDSEA, voire menées sans qu’apparaissent clairement les noms des organisations, retranchées derrière des appellations appelant à la défense de la sempiternelle « unité paysanne », les sources ne dévoilent qu’une partie des appareils d’encadrement des organisations et qu’une version tronquée des trajectoires individuelles. Rappelons qu’en 1964, 141 membres de chambre d’agriculture étaient présentés comme ayant, ou ayant eu, des fonctions au sein d’un CDJA ou du CNJA : parmi eux, seuls deux présidents de chambre pouvaient être identifiés. En 1970, 109 membres déclarent avoir des fonctions dans un CDJA. 94 d’entre eux sont de nouveaux membres. En revanche, 93 membres qui étaient dits responsables au sein d’un CDJA en 1964 ne déclarent plus ce type de mandat : le temps a fait son œuvre et ils sont en général désormais en fonctions à la FDSEA. Fait figure d’exception le nouveau président de la chambre d’agriculture du Tarn : Raoul Serieys, formé à la JAC, entré au CDJA, qui a effectué « un stage de trois mois à l’IFOCAP » 4378, et qui au cours des années 1960, préside la section régionale Midi-Pyrénées du CNJA 4379 et devient secrétaire général du CNJA en 1965, brigue et gagne la présidence de la chambre d’agriculture du Tarn – dont il avait été élu membre en 1964 – aussitôt qu’il atteint l’âge fatidique de 35 ans.

Car c’est une autre banalité que celle qui rappelle que les dirigeants des CDJA et du CNJA, quand ils parviennent à renverser la majorité au sein d’une FDSEA, puis d’une chambre d’agriculture, ne sont plus de jeunes agriculteurs. Par l’âge, mais également parce qu’ils ont pris part à l’élaboration et à la caution donnée par le CNJA et la FNSEA des années 1960 à la politique économique menée à Paris et à Bruxelles. Sans que cela ne change rien au fait que leur irruption dans les chambres d’agriculture en change considérablement le visage, ils ne constituent plus guère une force de contestation. La poignée de dirigeants nationaux du CNJA sont présents dans les chambres d’agriculture : celui qui en prend la présidence en 1971, Vincent Gaumer, a été élu membre de la chambre d’agriculture de la Creuse en 1964 et en est élu secrétaire en 1970, tandis que Louis Lauga, secrétaire général, vient d’être élu dans les Pyrénées-Atlantiques et que Paul Couzon, secrétaire général adjoint est désormais membre de la chambre d’agriculture de la Loire.

Certes, les profils changent. René Marchive, nouveau président de la chambre d’agriculture de la Charente, ancien administrateur du Centre régional « sud-Ouest » de l’IFOCAP, ne ressemble guère à son prédécesseur, Bernard Roux de Reilhac, ingénieur de l’Institut agricole de Beauvais, ancien président de la Société d’agriculture de la Charente 4380. Cette situation se retrouve dans bien des départements. En même temps, le niveau d’intrication entre chambres d’agriculture et FDSEA accuse seulement une légère régression par rapport à 1964. Autrement dit, il semble que l’on assiste à une prise d’assaut tellement lente qu’elle n’a pas encore un impact très lisible au début des années 1970. Dans la Manche, Auguste Grandin, ancien chef de district de la Corporation paysanne et ancien membre du CDAA 4381, ancien député paysan de 1956 à 1958, qui a ravi la présidence à René de Tocqueville en 1964, est supplanté par Roger Lecamu, 42 ans, que l’on ne peut guère considérer comme un partisan de la politique des structures 4382 : rajeunissement ne signifie pas virage politique et syndical, loin de là.

Il n’augure pas non plus d’une rapide féminisation de l’institution : avec 58 femmes membres d’une chambre d’agriculture contre 23 en 1964 – quatorze sont restées en fonctions – les chambres d’agriculture demeurent très majoritairement masculines. Et contrairement aux organisations des jeunes agriculteurs, où de nombreuses femmes occupent des fonctions importantes, les chambres d’agriculture semblent timorées : on ne recense que douze élues secrétaires-adjointes, une secrétaire et une seule vice-présidente – Lucienne Betbeze, des Hautes-Pyrénées, 49 ans, déjà vice-présidente de la FDSEA et présidente du groupement féminin de celle-ci, également présidente de la commission régionale Tourisme Midi-Pyrénées-Aquitaine. En 1970, l’APCA reste exclusivement un cénacle d’hommes : il n’a pu être trouvé qu’une seule mention d’une déléguée suppléante, en novembre 1964. Et les services de l’APCA, qui comptent 89 salariées sur 133, sont plutôt peuplés de sténo-dactylos que de rédactrices.

Comme le notent Pierre Alphandéry et Pierre Bitoun, « la mise en place des lois agricoles édictées sous le ministère Pisani a consacré l’importance de l’échelon départemental dans l’encadrement des producteurs agricoles : dès lors l’uniformisation de l’appareil voile partout la spécificité du niveau local » 4383. Cependant on a amplement souligné que dès 1927, les présidents de chambre d’agriculture se situaient nécessairement au niveau départemental, alors en voie d’uniformisation. En 1970, si 74 présidents mentionnent dans leur notice de l’annuaire publié en 1971 un ou plusieurs mandats au niveau du département – 77 des présidents de 1959 étaient dans ce cas –, il ne faudrait pas négliger les indices d’un renforcement spectaculaire de l’échelon régional. 43 présidents, soit près d’un sur deux, mentionne un mandat régional, le plus souvent dans les SAFER ou les Commissions de développement économique régional (CODER), sans oublier les sections syndicales régionales, en pleine expansion, et les unions régionales de coopératives.

Les décrets du 14 mars 1964 marquent le début de la régionalisation, surtout depuis l’institution du préfet de région, l’organisation des services de l’État auprès de lui, et la création d’une assemblée régionale (la commission de développement économique régional). Pour les observateurs, la région serait devenue une réalité, bien qu’elle ne soit pas érigée en collectivité territoriale, en étant notamment un cadre de concertation entre l’administration et les organismes représentatifs, tels que les conseils généraux, les administrations municipales, les chambres de commerce, d’agriculture et de métiers, ainsi que les autres organisations professionnelles. L’accentuation des engagements régionaux parmi les présidents de chambre d’agriculture, mais aussi parmi leurs membres, peut apparaître comme un bon indice d’une importante présence des dirigeants de la mouvance CNJA dans les chambres d’agriculture 4384, voire d’une anticipation des dirigeants plus conservateurs pour ne pas se laisser dépasser sur le terrain régional. Depuis la parution du décret du 8 décembre 1966 obligeant les chambres régionales d’agriculture à se conformer aux limites des régions de programme, les appartenances aux chambres régionales d’agriculture sont plus lisibles. En 1970, il est frappant de constater que sur vingt présidents qui sont présidents d’une chambre régionale d’agriculture, 18 sont membres du CPG de l’APCA ou de son bureau : plus que la confirmation d’une influence déjà acquise, cela souligne que le contrôle des chambres régionales d’agriculture, restées peu actives jusqu’à la fin des années 1960 est désormais au moins aussi crucial que l’appartenance aux instances nationales des chambres d’agriculture. À l’inverse, les fonctions dans des organisations agricoles nationales sont peu évoquées – 24 présidents l’évoquent alors qu’ils étaient 35 en 1959 – et les prolongements internationaux sont rares ou tus.

Un élément semble corroborer cette vision d’une institution lentement transformée, dans la continuité des arrangements étouffés de 1964. Le décret du 26 septembre 1969 impose plusieurs changements. D’abord, il crée une nouvelle catégorie d’électeurs pour les anciens exploitants 4385 : par la création de ce collège, il s’agit clairement d’affaiblir le MODEF 4386 en réduisant l’impact du vote des exploitants les plus âgés, nombreux parmi les électeurs de ce mouvement. Les anciens exploitants, âgés de plus de cinquante ans, ne désignent ainsi plus guère que deux représentants par département, au mieux, soit 175 au total, tandis que les exploitants ont quatre représentants par circonscription, soit 1626 en 1970. Yves Tavernier considère que « quelle que soit la diversité des situations au niveau local, l’observateur constate un développement global du MODEF sur le plan national. Dans la mesure où il recueille la voix d’un agriculteur sur trois dans les trois quarts des départements, il correspond à la sensibilité d’une partie importante de la paysannerie. Celle-ci est inquiète de l’évolution économique et sociale de l’agriculture. Elle prend plus ou moins conscience que l’accentuation depuis 1968 du choix d’un "développement capitaliste sans frein" provoque une accélération de la concentration des unités de production, leur intégration par les autres secteurs économiques, et entraîne l’exode du plus grand nombre » 4387. De 28 élus MODEF siégeant dans les chambres d’agriculture en 1964, on passe à 62 en 1970 : 37 exploitants, vingt anciens exploitants et cinq propriétaires fonciers ont été élus. 28 listes d’exploitants présentées par le MODEF obtiennent de 40 à 50 % des voix et 32 en rassemblent 30 à 40 %. Comme en 1964, ce qui compte n’est pas la réalité d’une irruption dérisoire – les élus du MODEF constituent 2 % des membres des chambres d’agriculture – mais la menace d’un réel pluralisme dissonant et l’écho qu’elle suscite chez les tenants d’un anticommunisme viscéral, particulièrement nombreux à l’APCA. Outre qu’elle amoindrit l’impact du vote des anciens exploitants, cette disposition du décret de septembre 1969 conduit à bien peu de changements, puisque sur 176 membres élus comme anciens exploitants, 81 sont des sortants, souvent élus par le collège des exploitants en 1964 ou auparavant.

Le décret accompagne également le raidissement corporatiste et agrarien en permettant aux salariés d’organisations agricoles de voter lors des élections aux chambres d’agriculture. Alors qu’en 1964, n’étaient autorisés à prendre part au vote que les « ouvriers agricoles, chefs de culture et régisseurs, à condition qu’ils exercent habituellement et effectivement la profession agricole depuis deux ans au moins », depuis le décret de septembre 1969, sont électeurs « les salariés qui exercent à titre principal depuis deux ans au moins une activité professionnelle entraînant leur affiliation aux assurances sociales agricoles ». On voit combien profession et compétence sont supplantés par une prétendue communauté d’intérêt, symbolisée par le régime de sécurité sociale spécifique au secteur agricole. En 1964, il était clair que les dirigeants des chambres d’agriculture étaient majoritairement hostiles à la représentation des salariés dans les chambres d’agriculture et à l’irruption de la CGT dans la compétition électorale : des arrangements avaient été trouvés qui permettaient de compter sur des élus salariés alliés tout en masquant ces petites irrégularités au regard des lecteurs de l’annuaire des chambres d’agriculture. Près d’une centaine des 276 élus des salariés mentionnent ainsi une profession exercée dans le cadre des organisations professionnelles agricoles en 1970. Chefs de services et directeurs semblent ainsi apparaître décidément comme de précieux partenaires.

Enfin, en modifiant la répartition et le nombre des élus des groupements agricoles, le décret de septembre 1969 conduit à une augmentation du nombre de leurs élus, désormais 676 contre 568 en 1964. Les délégués des organisations agricoles sont dorénavant répartis en trois collèges distincts : celui des organisations syndicales d’exploitants agricoles et de jeunes agriculteurs, celui des coopératives et de leurs groupements, des organisations de crédit et des groupements à vocation économique, enfin celui des organismes de mutualité agricole et des « autres organisations ». Sous couvert de préserver la représentation de toutes les organisations, la représentation des syndicats est resserrée autour de l’alliance FDSEA-CDJA. Et l’augmentation du nombre de représentants est permise par un dispositif complexe : « le nombre total des membres élus en application du 4° du présent article est fixé au multiple de trois immédiatement supérieur au tiers du nombre des membres élus en application du 1° dudit article [soit le collège des exploitants agricoles] » 4388.

L’article 18 du décret du 26 septembre 1969 a beaucoup fait couler d’encre. C’est lui qui stipule que « la durée des fonctions de membre du bureau ne peut excéder dix-huit années consécutives ». Cette disposition concerne deux secrétaires-adjoints, onze secrétaires, 28 vice-présidents et 21 présidents de chambre d’agriculture. En effet, comme cela a déjà été rappelé, en 1969, 21 présidents de chambre d’agriculture sont en fonctions depuis 1952, soit depuis 17 ans, et 20 d’entre eux ont des fonctions à l’APCA : trois sont membres suppléants du CPG, onze en sont membres titulaires, enfin six appartiennent au bureau, qui compte sept membres. Les caciques de l’APCA se sont-ils sentis visés par ce décret ? C’est ce que laisse accroire la requête déposée par eux devant le Conseil d’État, tendant à l’annulation du texte 4389. Bien que le recours soit rejeté le 24 mars 1972, il est avéré que 19 des présidents de 1952 ont prolongé leur mandat plus de 18 ans, avec une mention spéciale à Jacques Le Roy Ladurie, demeuré président de la chambre d’agriculture du Calvados pendant 32 ans, soit de 1936 à 1943 et de 1952 à 1974. En janvier 1972, un député UDR du Finistère, Pierre Lelong, énarque, administrateur civil au ministère des Finances de 1958 à 1962, puis chargé de mission au cabinet de Georges Pompidou de 1962 à 1967, défend avec ardeur la demande d’annulation de l’APCA : son réquisitoire devant le ministre de l’Agriculture dévoile sans équivoque l’alliance des gaullistes et des indépendants, face au péril que constituerait le MODEF et la dérisoire importance des conflits de générations quant ils ne se doublent pas de différents idéologiques profonds 4390.

Notes
4370.

APCA, Second rectificatif à l’annuaire des Chambres d’Agriculture, supplément à la revue Chambres d’Agriculture, 1er novembre 1967, 128 p.

4371.

Jean-Marie MAYEUR et Yves-Marie HILAIRE [dir.], Dictionnaire du monde religieux dans la France contemporaine, volume 4 : Lille-Flandres, Paris/Lille, Beauchesne Editeur/Centre d’histoire de la région du Nord et de l’Europe du Nord-Ouest, 1990, 497 p. (ouvrage dirigé par André Caudron), p. 417.

4372.

Philippe BROSSILLON, La Chambre d’agriculture des Hautes-Alpes… ouvrage cité, pp. 190-191.

4373.

« Contributions à un premier bilan du pluralisme syndical. Le cas de la Savoie », dans Nouvelles Campagnes, n° 35, octobre 1985, pp. 43-48.

4374.

Nous devons cette formulation à Jacques Rémy, dans un échange de courriels, en septembre 2005.

4375.

Il convient néanmoins de citer les contributions suivantes : François LEPRIEUR et Bertrand HERVIEU, « Les 50 ans d’histoire de la JAC et du MRJC », dans Etudes, tome 351/5, novembre 1979, pp. 521-539 ; Danielle BARRÈS, Françoise BOURQUELOT, François COLSON et Henri NALLET, La JAC et la modernisation de l’agriculture, Paris, INRA-EHESS, 1980, 26 p. ; Jean CONQ, Charles-Henri GUILLOTEAU, François LEPRIEUR et Bernard VILBOUX, JAC/MRJC. Origines et mutations…, ouvrage cité.

4376.

Claudius DELORME, « Témoignage… », article cité, pp. 72-73.

4377.

Arch. nat, F10 4972, archives de la Corporation paysanne, anciennes listes des membres des URCA et du Conseil régional corporatif, 1942, nouvelles listes des membres des URCA et du Conseil régional corporatif, 1944.

4378.

Extrait d’un discours de Jean-Claude Sabin, en hommage à Raoul Serieys, 1981. (Ce document nous a été communiqué par la chambre d’agriculture du Tarn, en mars 2005).

4379.

Annuaire APCA 1964.

4380.

Ibidem.

4381.

Arch. nat., F1a 4034 : Réponse des préfets à la circulaire n° 287 du Ministère de l’Intérieur sur la composition des fédérations départementales du syndicat des exploitants agricoles, février-mars 1946, Lettre du préfet de la Manche, le 6 mars 1946.

4382.

En 1961, il considère que la politique des structures envisagée dans la loi d’orientation est une « formule reposante, mais elle n’est pas de celles qui élèvent et imposent le respect et n’a que rarement le mérite efficace dans le temps ». R. LECAMU, « Structures et liberté », dans La Manche rurale, 19 octobre 1961.

4383.

Pierre alphandéry et Pierre BITOUN, « Pouvoir et patrimoine au travers des appareils d’encadrement… », article cité, p. 118.

4384.

Pour Pierre Grémion : « Partout le Centre national des jeunes agriculteurs se montre l’un des groupes les plus favorables à la réforme régionale. La quasi-totalité des leaders de cette organisation agricole a accueilli la réforme de 1964 avec espoir. Cet espoir est lié à la possibilité qu’offre l’échelon régional de replacer l’étude des problèmes agricoles dans le cadre d’une réflexion économique globale dégagée des pressions des clientèles départementales. Le CNJA est favorable à une région forte et ses responsables se montrent favorables à un renforcement des pouvoirs du préfet de région sur les départements. Cette attitude va de pair avec la volonté de briser le cadre départemental comme cadre de référence et de négociation pour la planification afin de battre en brèche les vieilles relations de clientèle qui s’y déploient. Les responsables du CNJA associent ainsi étroitement une définition de l’autorité administrative régionale à une définition économique et non territoriale de cette autorité. Si les attitudes des membres du CNJA sont homogènes d’une région à l’autre, de plus grands écarts inter-régionaux se dessinent quant aux attitudes des représentants de la FNSEA et des chambres d’agriculture. Ces écarts toutefois n’affectent que l’intensité des phénomènes, jamais leur sens. Pour eux le cadre départemental l’emporte comme cadre de préparation de la régionalisation du Plan ». Pierre GRÉMION, Le pouvoir périphérique… ouvrage cité, p. 55.

4385.

Soit, « dans le département où ils ont été exploitants en dernier lieu, les anciens exploitants, âgés d’au moins cinquante ans, qui ont été électeurs dans la catégorie des exploitants pendant au moins dix ans et qui n’exercent aucune autre profession ».

4386.

John T.S. KEELER, The Politics of neocorporatism in France... ouvrage cité, p. 120 ; Yves TAVERNIER, « Le Mouvement de défense des exploitants familiaux », article cité, p. 493.

4387.

Yves TAVERNIER, « Le Mouvement de défense des exploitants familiaux », article cité, pp. 479-480.

4388.

Journal officiel de la République française, 28 septembre 1969.

4389.

Conseil d’État, 2 / 6 SSR, du 24 mars 1972, 79283, publié au recueil Lebon. http://vlex.fr/vid/conseil-etat-ssr-mars-recueil-lebon-40441767#ixzz0zXuZesJa

4390.

Voir Annexes. Dossier n° 11. Document 9.