La succession Blondelle

René Blondelle meurt le 25 février 1971, « sur la brèche, alors qu’il allait défendre les agriculteurs à Bruxelles », selon les paroles de Michel Sordel, vice-président de l’APCA. La session extraordinaire de l’APCA, le 31 mars 1971, débute par un long et vibrant hommage à celui qui « avait réalisé en lui-même une synthèse entre l’homme, entre l’agriculteur, entre le chef agricole, entre le sénateur français et le parlementaire européen ». À la succession de René Blondelle, sont candidats Gérard de Caffarelli et Pierre Collet. La seule existence de ces deux candidatures est très significative. Deux successeurs potentiels ont pu apparaître, dans une atmosphère tendue – Octave Renaud, président de la chambre d’agriculture des Deux-Sèvres, dit avoir « éprouvé beaucoup de peine à recevoir une lettre anonyme signée "L’un des vôtres" et qui constitue une vraie saleté » et Lucien Biset « regrette une élection trop hâtive qui a donné lieu à des pressions et à des correspondances peu honorables » 4391. Les deux hommes se défendent de se considérer comme des adversaires et minimisent l’enjeu politique de l’élection : pourtant, on assiste bien à l’affrontement de deux conceptions de l’avenir de l’APCA et de son autonomie dans le champ des organisations professionnelles agricoles.

Gérard de Caffarelli est né en 1926, dans l’Orne : issue de la grande noblesse romaine, sa famille a « fourni des officiers à l’Ancien Régime et à la Révolution, des généraux à la Révolution et au Consulat, de grands dignitaires au Consulat et à l’Empire, des notables nationaux à la monarchie de Juillet et au second Empire, et, presque constamment, des responsables départementaux et municipaux [et elle] illustr[e] l’enchaînement héréditaire de la notabilité active, en même temps que sa conjonction normale avec la propriété du sol » 4392. Élu membre de la chambre d’agriculture de l’Aisne en 1959, il est alors secrétaire général de l’Union des syndicats agricoles de l’Aisne (USAA) et administrateur de la FNSEA depuis 1958, où il est chargé de l’organisation des congrès 4393, dont René Blondelle est alors le président d’honneur. Il en devient le président en 1962, puis est élu président de la FNSEA le 13 mars 1963, en remplacement de Joseph Courau, démissionnaire. Suppléant-délégué de René Blondelle lors des sessions de l’APCA de juillet et décembre 1970, mais surtout présent à la plupart des sessions comme président de la FNSEA, il ne fait pourtant pas figure de successeur désigné. Les années 1960 ont vu les deux hommes s’opposer, parfois vivement 4394. En même temps, Gérard de Caffarelli, propriétaire exploitant dans le nord de l’Aisne, dans la région de la Thiérache, d’une exploitation consacrée à l’élevage « qui a un peu moins de 30 hectares » 4395, ingénieur agricole issu de l’École supérieure d’agriculture d’Angers, qui « a milité dans le Cercle des jeunes agriculteurs de l’Aisne, dont il est devenu président », incarne la continuelle mainmise sur la FNSEA des dirigeants de l’Aisne 4396, sans appartenir au groupe des betteraviers qui détenaient jusqu’à la mort de René Blondelle la chambre d’agriculture 4397.

Élu président de la chambre d’agriculture de l’Aisne après le décès de René Blondelle, il a alors bénéficié de son aura de président de la FNSEA, laquelle semble l’handicaper à l’APCA, si l’on en croit son discours de candidature, sur la défensive quand il déclare : « M. le président, je vous remercie de me donner la parole. Mais je ne voudrais pas la prendre pour faire un exposé d’ordre électoral, mais simplement pour confirmer ma candidature que vous venez d’annoncer à l’Assemblée permanente, et pour répondre, cependant, à une question qui se pose dans l’esprit d’un certain nombre de présidents de chambres d’agriculture, puisqu’elle m’a été posée. On m’a demandé, si j’étais élu, quelle politique je suivrais en tant que président de l’APCA. Je tiens à dire, quelle que soit l’issue du scrutin, que je n’ai pas parfaitement compris cette question, étant entendu que l’élection du président d’une institution professionnelle comme l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture n’est pas une élection politique ; que le président de l’APCA n’a pas, si je puis dire, un régime présidentiel, mais qu’il est président d’une Assemblée composée de présidents de chambres d’agriculture et qu’il est à ce titre leur porte-parole et qu’il doit exprimer, et suivre, la politique définie par les présidents de chambres d’agriculture. Donc je tiens bien à préciser ici que la politique qui sera suivie par le président si, tout à l’heure, c’est moi qui suis élu, ne sera pas une politique personnelle – je crois que j’en ai donné la d’ailleurs preuve à la FNSEA – mais la politique qui sera définie par l’Assemblée permanente ». Gérard de Caffarelli conclut son propos sur sa volonté de préserver « une unité professionnelle aussi grande que possible pour le meilleur service des agriculteurs ».

En écho, Pierre Collet présente sa candidature comme une « candidature de fidélité, de fidélité au souvenir et à l’action du président Blondelle », notamment en établissant un parallèle entre sa trajectoire et celle de René Blondelle : « Comme lui, pupille de la Nation, président de la FDSEA de la Loire depuis 1945 et pendant 17 ans, je suis président de la chambre d’agriculture depuis 1952, j’ai été à ses côtés depuis 1948 dans le syndicalisme, au Comité permanent général depuis 1952, au bureau de l’APCA depuis 1961, secrétaire général depuis 1967 ». Pourtant tout diffère ou presque entre le betteravier de l’Aisne et l’éleveur ligérien. Pierre Collet, né en 1913, se présente comme « orphelin de guerre [ayant] repris en 1930 une ferme familiale de quatre hectares ; père de famille nombreuse, cinq enfants encore vivants, [qui] exploite en GAEC avec [s]on fils, une ferme de 90 hectares, mi-propriété, mi-fermage, dans le Nord du département, [enfin] conseiller municipal de [s]a commune depuis déjà longtemps, élu maire samedi dernier » 4398. L’ancien jaciste, qui a été président de la JAC de la Loire 4399, n’est, sous l’Occupation, que président du syndicat corporatif de Pouilly-les-Nonains 4400 ainsi que « syndic cantonal » 4401. Sans autre formation que la fréquentation de l’« institution Saint-Gildas à Charlieu » 4402, ce fils d’agriculteurs modestes « qui va progressivement porter à une centaine d’hectares le domaine d’embouche, qui lui vient de sa femme », n’a guère que l’engagement en commun avec René Blondelle.

Pierre Collet, qui aurait été dans l’entre-deux-guerres, « responsable d’organisations du Sud-Est », devient président de la FDSEA en 1945 4403. En 1947, il est membre du bureau confédéral et de la commission nationale de la CGA, ainsi que du conseil fédéral de la FNSEA 4404. L’auteur d’une note anonyme datée de 1949 voit en lui un « MRP » 4405. En avril 1952, c’est le président de la FDSEA, qui « groupe 330 syndicats [ainsi que des] sections spécialisées » 4406, qui est élu président de la chambre d’agriculture de la Loire. Dès avant le mitan des années 1950, alors qu’il est demeuré président du Syndicat agricole de Pouilly-les-Nonains, où il est aussi adjoint au maire, ainsi que délégué cantonal agricole du canton de Roanne et président de la FDSEA, il est également vice-président des Caisses de mutualité sociale agricole et administrateur de la Caisse régionale de Crédit agricole de la Loire, et il a été élu secrétaire général adjoint de la FNSEA et désigné comme conseiller économique 4407 ainsi que comme membre du Conseil central de l’ONIC 4408. Au début des années 1960, il est de surcroît président de la Confédération française de l’aviculture 4409. Pour Jean-Pierre Houssel, « Pierre Collet utilise ses responsabilités départementales comme tremplin à ses ambitions nationales » 4410. Entré au conseil d’administration de la FNSEA en 1954, il en est devenu le trésorier dès avant 1959 4411. Se trouvant « en porte à faux par rapport aux jeunes issus du CDJA qui, peu à peu, prennent le contrôle des organismes agricoles de son département », il renonce à la présidence de la FDSEA en 1964, tout en en demeurant le président d’honneur. En 1966, c’est la « rupture avec la majorité de la FDSEA », qui l’aurait conduit à adhérer, après sa création en 1969, à la Fédération française de l’agriculture, résultat de la « dérive droitière de certaines fédérations départementales du syndicalisme aîné » 4412. La FFA a été fondée en décembre 1969 après que la FDSEA de l’Indre-et-Loire a décidé un mois plus tôt de quitter la FNSEA : pour Jean Vercherand, « ses partisans penchent en général vers la droite traditionaliste, voire l’extrême droite » ; cependant, à la fin des années 1960, « la FDSEA de l’Indre-et-Loire fut la seule à rompre avec la FNSEA et ce ne sont que des individualités ou de petits groupes épars de syndicalistes qui rejoignent la FFA » 4413.

Le 31 mars 1971, Pierre Collet déclare devant les présidents de chambre d’agriculture : « cette candidature est aussi une candidature de principe. En effet, avec le président Blondelle, nous nous sommes battus durant des années pour défendre à la fois la politique agricole générale et proposer une politique agricole fondée sur la libre entreprise, la recherche de la parité économique et sociale pour les agriculteurs, et le refus de toute idéologie contraire aux réalités paysannes » 4414. Au premier tour de scrutin, Pierre Collet obtient 43 voix et Gérard de Caffarelli 34, quand Louis Perrin, président de la chambre d’agriculture d’Eure-et-Loir et du Comité de coordination des associations spécialisées de la FNSEA 4415 en recueille cinq. Avant le second tour, le président de la FNSEA retire sa candidature et Pierre Collet obtient donc 51 voix : les 26 bulletins blancs ou nuls de ce second tour disent bien l’inanité du discours unanimiste qui prévaut toujours à l’assemblée permanente. Pour l’historien des organisations agricoles de la Loire, si Pierre Collet succède à René Blondelle à la présidence de l’APCA, c’est qu’« il a été choisi par les céréaliers, qui entendent conserver le contrôle de la chambre consulaire, face à la poussée des exploitants issus de la paysannerie dans la France de l’Ouest et du Sud de la Loire, c’est qu’ils font confiance à cet agriculteur du Massif central, qui, avec l’embouche, pratique une agriculture de type capitaliste et qui, comme eux, sait ne rien dire qui puisse faire croire au plus petit des paysans qu’il ne défend pas ses intérêts » 4416.

Tout se passe comme si les présidents de chambre d’agriculture avaient entériné le choix d’une division du travail entre FNSEA et APCA, inaugurée au temps de la double présidence de René Blondelle, au début des années 1950. L’APCA a pour mission de mettre en œuvre la politique de maintenance par le conseil agricole 4417 et le soutien à des formes marginales d’agriculture 4418. Pour exister avec une certaine marge d’autonomie vis-à-vis de la FNSEA, l’APCA se positionne à la droite de celle-ci, dans la droite ligne des aspirations dorgériste d’un Jacques Le Roy Ladurie – toujours en cour puisqu’il demeure membre titulaire du CPG. Cela passe par la défense de l’institution, avant toute autre appartenance : ainsi Pierre Collet prétend apparaître comme « le mieux placé pour continuer et parfaire l’œuvre commencée dès 1952 » par René Blondelle, quand Gérard de Caffarelli doit se défendre et promettre de quitter bientôt la présidence de la FNSEA. Pierre Collet défend une « candidature institutionnelle », autre manière d’« être chambres d’agriculture » 4419 : il démontre sa connaissance de la spécificité du statut des chambres d’agriculture et de l’APCA et sa volonté de lui assurer une certaine indépendance vis-à-vis du syndicalisme 4420 ; son programme d’action touche exclusivement au fonctionnement et à la reconnaissance de l’institution par les « pouvoirs publics ». À l’heure des petits succès électoraux du MODEF, l’APCA aurait-elle pour rôle de faire accroire à l’existence d’une force d’opposition à la politique agricole telle qu’elle est mise en œuvre à la droite de la FNSEA, soit à l’opposé du MODEF ?

Autour de Pierre Collet, au bureau élu en 1970, figurent désormais trois vice-présidents, un secrétaire-général et deux secrétaires-adjoints. Comme vice-président, Lucien Biset, 58 ans, seul ancien membre du Conseil régional corporatif d’une URCA, comme syndic adjoint, a remplacé Pierre Collet, élu président : il est sur le même pied que Raphaël Rialland, 46 ans, et Michel Sordel, 51 ans. Le premier, fils d’exploitants agricoles, a été « apprenti serrurier en charpentes métalliques aux Etablissements Marine » et a d’abord adhéré à la JOC et à la CFTC, avant qu’en août 1945 « il décide […] de "faire son retour à la terre" par étapes et se fait embaucher comme ouvrier agricole ». À l’engagement dans l’équipe locale de la JAC succède l’adhésion aux Jeunes du Mouvement républicain populaire (MRP), puis la fondation de la Coopérative des éleveurs des vallées d’Erdre et Loire (CEVEL), « qui reprend les bovins malades ou accidentés pour en valoriser le mieux possible le prix de la viande », en 1953. Il aurait pris des responsabilités au sein de la FDSEA dès 1956, mais c’est en avril 1959 qu’en tant que président-adjoint il exerce la fonction de président, en remplacement d’Albert Boucher, élu sénateur. Dès cette année-là, comme le note René Bourrigaud, les débats s’organisent autour de la « défense des prix, soutenue par les anciens, et [de la] réforme des structures prônée par les jeunes : le nouveau président de la FDSEA ne va cesser de porter ces deux aspects à la fois ».

Outre qu’il réalise cette commode synthèse, Raphaël Rialland fait figure de modéré dans son département de Loire-Atlantique, où progressent rapidement les thèses de Bernard Lambert : malgré ses prises de position, en avril 1960 quand il signe une « déclaration commune ouvrière et paysanne de Loire-Atlantique [dans laquelle est constatée] une solidarité de fait qui lie les travailleurs ouvriers et paysans », ou à l’été 1964 au cours de l’« Affaire Le Méliner », il demeure un démocrate chrétien, et approfondit son engagement politique. En 1965, suite à la campagne présidentielle de Jean Lecanuet, il participe à la création du Centre démocrate au congrès de Lyon et est bientôt actif dans la commission rurale nationale présidée par Albert Genin, ancien secrétaire général de la FNSEA. Devenu président de la chambre d’agriculture en 1964, il se consacre au développement des services de celle-ci, exponentiels. « À partir de 1968, il s’éloigne de plus en plus des dirigeants de la FDSEA [et prend] fait et cause pour le maintien de l’unité professionnelle, dans la fidélité aux fondateurs de la FNSEA » : en 1970, après avoir été deux fois candidat malheureux aux élections législatives, il devient président de la commission rurale nationale du Centre démocrate, à la suite d’Albert Genin 4421.

Le troisième vice-président, Michel Sordel, est diplômé de l’École nationale d’agriculture de Rennes, promotion 1938. Il est devenu membre de la chambre d’agriculture de Côte-d’Or, en 1952, à 32 ans, mais n’en a pris la présidence qu’en 1964. Aux yeux de l’APCA, il est surtout le président de l’Association nationale pour le développement agricole (ANDA) par laquelle transitent les fonds finançant les programmes de développement agricole cogérés par les chambres d’agriculture. L’atonie des portraits qui ressortent des hommages qui lui sont rendus après sa mort semblent dire l’image du dirigeant consensuel qu’il incarnait 4422. Bien qu’il soit le plus âgé des deux secrétaires-adjoints, André Chaigne n’a pas été identifié dans nos sources avant 1946 : il a alors 42 ans et est délégué pour l’île de Ré de la FDSEA charentaise. Président de la section Pommes de Terre de la FDSEA ensuite, il est élu membre de la chambre d’agriculture de Charente en 1952. Dirigeant une exploitation en « viticulture et primeurs » 4423, il est en 1964 président de la Fédération nationale des groupements de pommes de terre primeurs et du Service Interdépartemental de Promotion des Produits Agricoles et Alimentaires (SIPPA) 4424. La composition du bureau révèle d’ailleurs le souci de représenter un certain nombre de spécialisations agricoles : Lucien Biset pour l’élevage laitier, Pierre Collet pour l’embouche, André Chaigne pour le maraîchage de primeurs, Louis Perrin, Michel Sordel et Raphaël Rialland se consacrant vraisemblablement à la polyculture à dominante céréalière.

À leurs côtés, Sylvain Guizard est le second secrétaire-adjoint de l’APCA : âgé de 44 ans, ce viticulteur a été élu membre de la chambre d’agriculture de l’Hérault en 1964. Sa trajectoire est floue mais il semble avoir accédé aux responsabilités par le biais de la vulgarisation agricole, au sein du Groupement de vulgarisation agricole (GVA) de Saint-Mathieu-de-Tréviers et environs, puis en tant que président de la Fédération départementale des GVA de l’Hérault. En 1964, il est également vice-président délégué du Centre de comptabilité agricole et de gestion de l’Hérault 4425. Il est élu président de la chambre d’agriculture en 1967. En 1970, devenu président de l’IFOCAP Régional Languedoc-Roussillon, vice-président de la FDSEA et du Syndicat vigneron de l’Hérault et des jeunes viticulteurs, il est le vainqueur du combat qui a opposé « modernistes » et « tenants de la tradition du Midi rouge » pour le contrôle de la chambre d’agriculture et qui voit alors les premiers l’emporter 4426.

C’est enfin Louis Perrin qui devient secrétaire général de l’APCA, succédant à ce poste aux fidèles parmi les fidèles – Marc Ferré, Henri Chatras et Pierre Collet. Agriculteur à Saint-Luperce – où il est né en 1923 – depuis 1949 4427, il a fréquenté le lycée Grandchamp à Versailles et est bachelier. Il devient président de la FDSEA d’Eure-et-Loir en 1959 puis l’un des trois secrétaires-adjoints de la FNSEA en 1961 4428. Candidat de Joseph Courau pour la présidence de la FNSEA, il aurait décliné l’offre et laissé le champ libre à Gérard de Caffarelli : à propos de la fin de la présidence de Joseph Courau à la FNSEA, Gilles Luneau raconte que le « président, de par ses positions "Algérie française", fait de plus en plus l’unité contre lui. Fatigué, Courau espace les conseils d’administration. La maison FNSEA menace d’éclater de toutes parts, ou, pis, de devenir incontrôlable. D’autant plus que la démographie s’en mêle : les hommes d’âge mûr sur qui compter manquent à cause du prélèvement de la guerre de 1914-1918. Les tenants des titres ont une idée pour limiter la casse : puisqu’il faut céder à la jeunesse, cédons à la nôtre ! Marcel Bruel affirme que Joseph Courau voulait faire élire Louis Perrin, de l’Eure-et-Loir, proche de ses idées » 4429. Ainsi si le nouveau bureau diffère beaucoup de l’époque qui s’achève, avec des présidents plus jeunes – trop pour avoir pu endosser des responsabilités sous l’Occupation –, aucun parlementaire – Michel Sordel est élu sénateur indépendant en septembre 1971 –, et plus proches que leurs prédécesseurs de l’image du « paysan modèle » 4430 forgée dans le sillage du CNJA, perdure à la fois une forme de proximité et de dépendance régulée vis-à-vis de la FNSEA et une opposition inchangée aux partis et organisations de gauche.

En 1964, ce qui fait trembler l’APPCA n’est pas tant la « montée des jeunes » 4431 que l’irruption d’une compétition électorale inédite, du fait de la constitution de listes de candidats par le MODEF. Tandis que la direction de l’APPCA met l’accent sur le profond renouvellement des chambres d’agriculture, elle tente par tous les moyens de laisser accroire à une « unité paysanne », quand les facteurs de différenciation et les intérêts divergents vont croissant dans l’institution. Depuis 1959, le renforcement spectaculaire des effectifs de conseillers agricoles et l’investissement opéré sur leur formation, initiale et continue, met l’APPCA et les chambres d’agriculture en position de légitimité pour devenir la clé de voûte d’une politique de développement agricole conçue dans une cogestion État-profession. Dans le même temps, l’APPCA coordonne les actions des chambres d’agriculture en matière d’élevage, se positionne sur le terrain de l’aménagement du territoire et renforce ses positions à Bruxelles. L’unanimiste est cependant de façade. Alors que le décret de 1966 sur le développement marque une volonté de rétablissement, à côté de celle descendante, de la dimension ascendante de la diffusion du « progrès technique » et des pratiques qui l’accompagnent, l’assemblée permanente – devenue l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture (APCA) – ne laisse pas se déployer les initiatives novatrices tentées dans son centre de Trie-Château et en revient à une stricte orthodoxie qui laisse désemparés les conseillers à l’œuvre dans les exploitations agricoles. Le rôle central de l’APPCA dans la gestion du Fonds national de péréquation des chambres d’agriculture (FNPCA), censé assurer une redistribution des richesses des départements prospères aux plus déshérités, est vivement critiqué, du fait du fonctionnement discutable du Fonds.

Quoiqu’elle réaffirme sa mission consultative avec force, il semble qu’à l’APCA et dans les chambres d’agriculture, se joue une mutation de la consultation en une opération d’expertise : initiée dans les années 1960-1962, autour de l’enquête 2 UTH, cette tendance se confirme avec force et serait à relier au parachèvement de la technocratisation de l’institution, particulièrement patent. L’APCA, qui demeure à la fin des années 1960 une référence pour le militant dorgériste Louis Fouilleul, est profondément renouvelée en 1970, lors d’élections qui amènent dans les chambres des élus plus jeunes. Moment d’une prise d’assaut limitée, de la part des plus modérés des anciens dirigeants du CNJA, assagis par plusieurs années de participation à la mise en œuvre de la politique agricole, le tournant des années 1970 est également celui de la succession Blondelle, qui se caractérise par une ouverture extrêmement limitée aux courants modernistes des organisations professionnelles agricoles. Le hiatus, constaté en 1960, toujours présent en 1964 et discernable, bien que plus discret, en 1970, semble être devenu structurel.

Notes
4391.

Chambres d’agriculture, 1er-15 juin 1971.

4392.

Suzanne FIETTE, Noblesse foncière et notabilité : les Caffarelli, de la fin de l’Ancien Régime aux débuts de la Troisième République, Thèse d’État pour l’obtention du doctorat en histoire, Université Paris I, 1989, 6 volumes, 2 005 f°.

4393.

Yves TAVERNIER, Le syndicalisme paysan : FNSEA, CNJA, ouvrage cité, p. 81.

4394.

Lors de la session de mai 1966 notamment, le débat sur l’extension de la vulgarisation agricole et sa transformation en une activité plus large de développement agricole dévoile une vive opposition entre René Blondelle et Gérard de Caffarelli.

4395.

Yves TAVERNIER, Le syndicalisme paysan : FNSEA, CNJA, ouvrage cité.

4396.

John T.S. KEELER, The Politics of neocorporatism in France..., ouvrage cité.

4397.

Cette continuité est même soulignée par les protagonistes de cette histoire. Jacques Thuet mentionne le fait que Georges Guillemot, second président de la chambre d’agriculture de l’Aisne, avait effectué des stages dans l’exploitation betteravière et la sucrerie de Louis Brunehant, avant de lui succéder vingt ans plus tard à la chambre d’agriculture : Jacques THUET, « Georges Guillemot », dans L’Agriculteur de l’Aisne, 10 janvier 1953. Et René Blondelle se remémore ses premiers contacts avec son prédécesseur à la chambre d’agriculture, au sein de l’USAA où ils se sont côtoyés aux plus hautes fonctions dès les années 1930 : « In memoriam », dans Chambres d’Agriculture, 1er février 1953, p. 7.

4398.

Chambres d’agriculture, 1er-15 juin 1971.

4399.

Claudius DELORME, « Témoignage… », article cité, pp. 72-73.

4400.

Arch. nat., F10 5010, archives de la Corporation paysanne, Unions régionales corporatives agricoles (suite), département de la Loire, [1941-1944], liste des syndics corporatifs, le 26 novembre 1943.

4401.

Jean-Pierre HOUSSEL, « Le syndicalisme agricole dans la Loire depuis 1945 », dans Gilbert GARRIER [dir.], Le syndicalisme agricole en France. Actes de la journée d’étude de Lyon, 22 mars 1980.- Bulletin du Centre d’histoire économique et sociale de la région lyonnaise, 1981, n°1-2, pp. 53-62.

4402.

Who’s who 1971.

4403.

Jean-Pierre HOUSSEL, « Le syndicalisme agricole dans la Loire depuis 1945 », article cité, p. 55.

4404.

Annuaire CGA 1947.

4405.

Arch. APCA, CA Loire, 1949-1965, note datée de janvier 1949.

4406.

Guide national agriculture 1951-1952.

4407.

Annuaire APCA 1955.

4408.

Who’s who 1957.

4409.

Guide national agriculture 1959-1962.

4410.

Jean-Pierre HOUSSEL, « Le syndicalisme agricole dans la Loire depuis 1945 », article cité, p. 55.

4411.

Annuaire APCA 1959.

4412.

Bernard BRUNETEAU, Les paysans dans l’État... ouvrage cité, p. 212.

4413.

Jean VERCHERAND, « Syndicats agricoles », article de l’Encyclopédie Universalis. Voir également Gilbert NOËL et Émilie WILLAERT, Georges Pompidou et le monde des campagnes, 1962-1974. Actes du colloque organisé par l’Association Georges Pompidou au Conseil général d’Aurillac, les 8 et 9 juin 2006, Bruxelles/Berlin/Berne, P. Lang, 2007, 347 p.

4414.

Chambres d’agriculture, 1er-15 juin 1971.

4415.

Annuaire APCA 1970.

4416.

Jean-Pierre HOUSSEL, « Le syndicalisme agricole dans la Loire depuis 1945 », article cité, p. 55.

4417.

Pierre Muller remarquait notamment combien « l’idéologie de la vulgarisation et du progrès technique s’intègre à merveille, on l’a vu ci-dessus, aux conceptions traditionnelles et organiques des élites alors au pouvoir, comme le montre amplement le rôle des Chambres d’Agriculture en la matière ». Pierre MULLER, Le technocrate et le paysan… ouvrage cité, p. 75.

4418.

Nous pensons notamment aux nombreuses motions concernant « les problèmes posés en zone d’économie montagnarde » .

4420.

« Les chambres d’agriculture, notre assemblée permanente ne constituent pas une organisation professionnelle de droit privé parmi les autres, ni en concurrence avec les autres. Contrairement à ce que pensent certains, les chambres d’agriculture ne peuvent pas être contrôlées par l’une ou l’autre forme de l’organisation professionnelle. Elles sont des établissements publics de la profession, dont les membres sont élus au suffrage universel et au scrutin secret par le monde agricole en totalité. Elles sont à la fois représentatives et consultatives auprès des Pouvoirs publics ; elles ne peuvent cautionner telle ou telle tendance particulière, mais elles doivent réaliser la synthèse de toutes les tendances afin de présenter aux pouvoirs publics le point de vue de l’établissement public de la profession. Elles ne peuvent, sans qu’il y ait violation de la loi les instituant, être reléguées à un simple rôle de service technique ou à un rôle financier au bénéfice de telle ou telle action. Elles constituent la structure de toutes les bonnes volontés, de toutes les initiatives de tous les agriculteurs, salariés agricoles, propriétaires fonciers ». Chambres d’agriculture, 1er-15 juin 1971.

4421.

René BOURRIGAUD, Paysans de Loire-Atlantique. Quinze itinéraires à travers le siècle, ouvrage cité.

4422.

Terres de Bourgogne, 3 mars 1994.

4423.

Arch. APCA, Élections 1964. Aude à Corrèze, 1964, Fiches individuelles des membres.

4424.

Annuaire APCA 1964.

4425.

Ibidem.

4426.

William GENIEYS, « Le retournement du Midi viticole », dans Pôle Sud, 1998, volume 9, pp. 7-25, pp. 15-16.

4427.

Who’s who 1971.

4428.

http://www.georges-pompidou.org/epoque/notices_biblio3.htm

4429.

Gilles LUNEAU, La forteresse agricole… ouvrage cité, pp. 421-422.

4430.

Pierre COULOMB et Henri NALLET, Le syndicalisme agricole et la création du paysan modèle, Paris, INRA-CORDES, 1980, 88 p.

4431.

Paul M. BOUJU, Les élections aux Chambres d’agriculture en 1964…, ouvrage cité, f° 59.