Autres sources

Autour des procès-verbaux de sessions

D’après la loi du 3 janvier 1924, « les chambres d’agriculture sont, auprès des pouvoirs publics, les organes consultatifs et professionnels des intérêts agricoles de leur circonscription » 4474. L’Assemblée permanente des présidents des chambres d’agriculture, instituée par le décret-loi du 30 octobre 1935, « est, auprès des pouvoirs publics, l’organe consultatif et représentatif des intérêts généraux et spéciaux de l’agriculture métropolitaine » 4475 : dans les faits, une Assemblée des présidents sans réel statut exerce ce rôle dès le 24 octobre 1927 4476. Cette mission consultative, réaffirmée dans tous les textes juridiques parus ultérieurement, est primordiale. Deux paradoxes doivent être exprimés qui ont un impact important sur la manière dont il est possible d’aborder le travail de dépouillement des sources. La permanence de cette fonction consultative masque des évolutions, dont la principale se lit dans la rupture de la seconde guerre mondiale : du point de vue de son ampleur et de son inscription au sein des activités de l’APCA et des chambres départementales, la mission de consultation subit, entre les années 1930 et 1950, des mutations profondes, dans le sens d’une perte d’importance relative. Une autre singularité réside dans la contradiction existant entre la volonté affichée de publicité — des supports matériels tels que les revues successives ont pour but principal de rendre compte de cette activité de consultation — et le flou qui subsiste pour le lecteur d’aujourd’hui qui tente de reconstituer le cheminement des informations dans le dispositif mis en œuvre et constamment révisé. Il paraît donc d’autant plus nécessaire de présenter les structures de ces supports et leurs transformations, tant au point de vue de la forme que des buts poursuivis, soit de ce qui est visible d’une certaine ligne éditoriale.

Entre 1927 et 1940, sont publiés peu après chaque session des comptes rendus sténographiques. Ceux-ci donnent une transcription quasi-intégrale des discussions qui ont alors eu lieu. Les rapports préparés par tel ou tel membre et présentés en session y sont annexés, généralement in extenso. En fin de volumes, les vœux qui ont été votés et adoptés sont énumérés, ainsi que leur teneur. Rapidement volumineux, ces comptes rendus sont bientôt, dès le début des années 1930, passé au peigne fin régulièrement et il y est joint des tables analytiques classant les thèmes abordés en grandes catégories, jouant le rôle d’index. La trentaine de tomes que forme cette collection constitue une source extrêmement riche, dont l’homogénéité est constituée par le caractère sténographique de la transcription, mais qui subit de profondes transformations entre la période d’existence informelle de l’assemblée et celle qui suit la reconnaissance.

Dès octobre 1930, une revue voit le jour qui s’intitule Les Travaux des Chambres d’Agriculture, dans le but de renforcer le rôle de l’APCA en tant que « service permanent de liaison entre toutes les Chambres [leur] permett[ant] de se connaître, de se concerter, de s’associer pour la satisfaction de leurs desiderata communs » 4477. Ce mensuel se divise pendant les premières années en quatre partie : une première intitulée Assemblée des Présidents des Chambres d’Agriculture, reprenant les communications aux Chambres, les résumés succincts des travaux de l’Assemblée et de l’action de l’Assemblée, suivie d’un chapitre consacré à La vie des Chambres d’Agriculture (départementales et régionales) s’occupant de législation, du fonctionnement administratif et financier, rendant compte de la tenue des sessions, de la composition des Bureaux, publiant des monographies succinctes des actions des chambres ; la troisième partie se veut un écho des Travaux des Chambres d’Agriculture (départementales et régionales), soit une analyse des travaux des chambres d’agriculture d’après les procès-verbaux de leurs sessions, classés de façon méthodique par matières ; enfin la dernière section concerne les relations entre Les Chambres d’Agriculture et les Pouvoirs publics, et expose exclusivement les suites données par les Pouvoirs publics aux vœux émis par les chambres d’agriculture.

Un tel périodique s’avère une source inépuisable d’informations pour qui tente une étude précise de l’activité consultative des chambres d’agriculture et de l’APCA. Par rapport aux comptes rendus sténographiques, il offre une périodicité plus importante, et ainsi un suivi de l’activité plus rigoureux. La relation des vœux adoptés dans les départements est également très précieuse : elle ne donne toutefois qu’un aperçu tronqué, biaisé, des activités des chambres départementales 4478, puisque ne reprenant que les vœux, à l’exclusion de toute autre manifestation ou prise de position, et surtout en ce que les vœux ne sont évidemment pas tous recensés, mais seulement dans une faible proportion, passée par le prisme déformant des préoccupations du moment et des besoins de visibilité, prisme supposé puisque les motivations des choix ne sont pas énoncées. D’autres informations telles que les réactions des pouvoirs publics, ici reprises dans la complexités des tergiversations et des aléas politiques, la composition des commissions, mais surtout les questionnaires et rapports d’enquête auxquelles il est procédé auprès des chambres départementales.

Pour cette période de l’entre-deux-guerres, le recours aux procès-verbaux des sessions des chambres départementales est également utile : ceux-ci sont conservés généralement très scrupuleusement dans les locaux des chambres d’agriculture, versés souvent aux archives départementales par l’intermédiaire des préfectures, et de façon moins habituelle aux archives nationales. Pour ce qui est de la correspondance, les déménagements successifs de l’APCA — qui a du notamment abandonner le 11bis rue Scribe pendant la seconde guerre mondiale pour ne réintégrer ce lieu qu’en 1950 —, expliquent le fait que les archives de l’institution n’aient pas été conservées, hormis les comptes rendus de session. Il reste que le sondage effectué dans les caves de la chambre départementale de la Savoie révèle que des éléments de correspondance sont susceptibles d’avoir été sauvés dans les chambres d’agriculture, ce qui permettrait, sur un thème ou pour une période donnée, de reconstituer une part de l’activité consultative par ce biais, moins informel que les sources imprimées.

Après que les chambres d’agriculture ont repris leurs activités en 1949, c’est une revue intitulée Chambres d’agriculture qui voit bientôt le jour. Celle-ci ne publie plus que des comptes rendus analytiques ou projets de procès-verbaux, qui sont les principales traces des sessions, dans la mesure où les dossiers constitués des rapports et notes, qui n’ont pas été conservés ou classés de façon régulière, ne sont pas toujours à notre disposition. Les vœux — désormais appelés délibérations — sont moins nombreux 4479 mais plus conséquents, construits suivant un développement plus argumenté. Les discussions sont rapportées à la troisième personne du singulier, donc forcément lissées, quoique les saillies et les débats soient assez lisibles. Les rapports sont fortement condensés, des raccourcis sont faits. Il est fait moins de place aux sessions de l’APCA donc, mais aussi aux chambres départementales dans leur rôle consultatif — on ne reprend plus que rarement les vœux des chambres d’agriculture, et toujours pour appuyer un sujet particulier, non plus pour donner un large éventail des thèmes abordés.

La visibilité du cheminement consultatif s’accroît néanmoins considérablement dans cette deuxième partie du siècle pour le chercheur qui bénéficie d’un accès à l’ensemble des sources existantes. Pour énumérer rapidement les moyens qui s’offrent, relevant de la vaste catégorie de la correspondance et des documents internes, citons les circulaires adressées aux chambres départementales, l’ensemble de la correspondance entretenue avec celles-ci, les procès-verbaux de session que les chambres envoient à l’APCA de façon régulière depuis 1950 et qui sont relativement bien conservés dans les archives, mais aussi la correspondance avec les pouvoirs publics (ministère, députés et sénateurs, conseillers économiques, autres instances nationales ou régionales) et avec les organisations agricoles en général, et enfin les documents internes tels que les procès-verbaux de réunion du Comité permanent général et du bureau — ces derniers n’étant conservés que depuis 1960 —, mais aussi les innombrables dossiers constitués par les services de l’APCA ou des chambres départementales.

Rapidement, dès lors que l’on se familiarise avec ces documents, s’esquisse la ligne d’un cheminement théorique qui peut se fractionner en huit étapes. Au commencement vient l’initiative première, individuelle ou collective, portée par le président de la chambre d’agriculture, par son suppléant, ou par l’ensemble des membres en session, voire par des agriculteurs de la circonscription ; impulsion qui peut tout aussi bien être extérieure à l’institution, imputable par exemple à une organisation agricole. Déférée devant l’APCA qui accepte de la considérer, il est alors généralement, quoique de façon peu visible et variable, procédé à la rédaction d’une note très documentée, de la part d’un individu, président de chambre d’agriculture, suppléant délégué, agent des services de l’APCA ou d’une chambre, ou encore personne extérieure choisies pour ses compétences particulières, note qui est diffusée aux chambres d’agriculture pour donner une assise à leur réflexion, pointer l’acuité de certains problèmes, orienter les travaux. Un questionnaire est ensuite rédigé, composé de points généraux relatifs aux questions que posent à la profession agricole la thématique retenue, composé bien souvent aussi de demandes plus spécifiques ne concernant que certains interlocuteurs : ce formulaire est ensuite envoyé dans les départements, au siège de chaque chambre, souvent aussi au domicile de son président.

La quatrième étape n’est que l’objectivation du processus plus ou moins long d’étude de la question et d’énonciation des réponses. Plusieurs voies sont discernables : dans certains cas, principalement pour les questionnaires courts, le président de la chambre d’agriculture, ou son secrétaire, complète seul le formulaire, ou rédige une note répondant précisément ou non aux questions posées ; souvent, la question est soumise à l’ensemble des élus de la chambre et le procès-verbal qui en résulte et qui consigne donc les observations émises sert de base pour remplir le questionnaire, ou tient lieu de réponse à celui-ci. Celles parvenues à temps à l’APCA sont ensuite dépouillées, avec une constance qui varie obscurément suivant les périodes : il semble que ces réponses individuelles aient rarement été conservées. Une ou plusieurs personnes, élus ou administratifs de l’APCA, sont chargées d’en faire la synthèse : ces compositions peuvent prendre des formes variées suivant le rédacteur, des plus laconiques qui effacent toutes aspérités et toutes divergences locales, à celles qui classent méthodiquement les réponses en catégories et citent patiemment les départements concernés.

Le compte rendu d’une enquête, souvent discuté au sein du Comité permanent général ou du Bureau, est ensuite présenté sous la forme d’un rapport devant l’APCA, tel quel ou condensé, suivant sa teneur. S’ensuit généralement une discussion, la proposition d’un projet de vœu ou délibération, et au cours de la même séance ou après de longs mois, voire années, le vote d’une motion à l’endroit des pouvoirs publics, dont les circonstances sont en elles-mêmes révélatrices. Ce vœu est donc adressé, en de multiples exemplaires, à chacun des partenaires concernés, dans chaque cabinet, et souvent tous au ministre de l’Agriculture et chef du pouvoir exécutif. Les suites sont données irrégulièrement, au début de chaque session avant 1940, mais de façon très formelle, au fil des publications internes ou officielles.

On comprend évidemment que ce cheminement est purement abstrait : non seulement beaucoup de prises de position finales ne franchissent pas la totalité de ces étapes, mais il n’est pas procédé à une enquête pour chacun des sujets abordés ; plusieurs motions peuvent découler d’une même procédure de consultation, l’élaboration de nouveaux questionnaires recentrant l’attention sur les problèmes les plus aigus. Trahissant un extrême formalisme dans les années 1920 et 1930, peut-être illusoire et que l’apport d’autres sources contredirait, ce corpus partiel change de visage après-guerre et dévoile des voies de consultation plus souterraines.

Un tableau reprenant pour ces trois périodes successives les possibilités de suivi au plus près des réalités de l’activité consultative serait sans doute plus lisible :

Étape Cheminement
théorique
1927-1930 1930-1940 1949-1974
1 Mise au jour d’un
problème particulier
(ou initiative)
* comptes rendus
sténographiques
des sessions
de l’APCA
* comptes rendus
des chambres
départementales
* comptes rendus
sténographiques
des sessions
de l’APCA
* revue TCA
* comptes rendus
des chambres
départementales
* comptes rendus analytiques
des sessions de l’APCA
dans la revue
Chambres d’agriculture
* procès-verbaux de session
des chambres départementales
* correspondance avec les
chambres départementales et
avec les organisations agricoles
2 Note préliminaire
à une enquête
(ou documentation)
* non publié
* non conservé
* revue TCA
(de façon
non systématique)
* comptes rendus analytiques
des sessions de l’APCA
dans la revue
Chambres d’agriculture
* dossiers CPG, divers
3 Questionnaire
d’enquête
(et sa diffusion)
* non publié
* non conservé
* revue TCA
(de façon
non systématique)
* revue Chambres
d’agriculture
4 Résultats
individuels
par département
* non publiés
* non conservés
* non publiés
* non conservés
* non publiés
* conservés rarement et de
façon aléatoire
5 Synthèse ou
compte rendu
analytique
des résultats
de l’enquête
* comptes rendus
sténographiques
des sessions
de l’APCA
* comptes rendus
sténographiques
des sessions
de l’APCA
* revue TCA
* revue Chambres
d’agriculture
* notes internes
6 Rapport devant
l’APCA
* comptes rendus
sténographiques
de l’APCA
* comptes rendus
sténographiques
des sessions
de l’APCA
* revue TCA
* comptes rendus analytiques
des sessions de l’APCA
dans la revue
Chambres d’agriculture
7 Vote d’un vœu
par l’APCA
* comptes rendus
sténographiques
des sessions
de l’APCA
* comptes rendus
sténographiques
des sessions
de l’APCA
* revue TCA
* comptes rendus analytiques
des sessions de l’APCA
dans la revue
Chambres d’agriculture
8 Suites données
par les
pouvoirs publics
* comptes rendus
sténographiques
des sessions
de l’APCA
* Journal officiel
de la République
française. Débats
parlementaires.
* comptes rendus
sténographiques
des sessions
de l’APCA
* revue TCA
* Journal officiel
de la République
française. Débats
parlementaires.
* comptes rendus analytiques
des sessions de l’APCA
dans la revue
Chambres d’agriculture
(de façon laconique)
* revue Chambres
d’agriculture

* correspondance avec le
ministère, les élus, les
pouvoirs publics et
l’administration en général
* Journal officiel de la
République française.
Débats parlementaires.

Il n’existe pas de méthode miraculeuse pour traiter une information aussi pléthorique, et nous l’avons montré, inégale. L’informatisation permet de gérer cette abondance, mais induit également des biais importants. Le recours aux bases de données a ici surtout un but organisationnel, de classement, si l’on peut dire. Le traitement statistique de données aussi diverses et changeantes pourrait vite atteindre l’absurde. Une réelle prise en compte de l’activité consultative ne peut se faire sans doute que par la confrontation de l’ensemble des documents dans leur intégralité non tronquée par l’informatisation. Une base de donnée centrale reprenant schématiquement le cheminement théorique déjà exposé a toutefois été construite, qui permet de lier entre elles les étapes multiples suivant une clé de lien thématique. Outre les ressources pratiques d’une telle méthode, cette base de donnée permettra sans doute de mesurer avec plus de précision l’importance prise par les thématiques relativement les unes aux autres, du fait qu’elles ont abouti, mais aussi par la quantité d’énergie mobilisée pour l’activité consultative.

Notes
4474.

Journal officiel de la République française, vendredi 4 janvier 1924, Loi du 3 janvier 1924 relative aux chambres d’agriculture, pp. 130-133. (article 2, p. 130)

4475.

Journal officiel de la République française, jeudi 31 octobre 1935, Décret du 30 octobre 1935 instituant une assemblée permanente des présidents des chambres d’agriculture, pp. 11 641‑11 642. (article 1er, p. 11 641)

4476.

Documentation APCA, Assemblée des Présidents des Chambres d’Agriculture de France, Compte rendu de la séance du 24 octobre 1927.

4477.

Documentation APCA, Les Travaux des Chambres d’Agriculture, n° 1, 10 octobre 1930, p. 2.

4478.

Ses constats se basent sur une vérification méthodique effectuée dans les départements de la Savoie et du Rhône tout au long d’une même période d’intersession.

4479.

Voir Annexe 5.