Document 9 : Question écrite de Pierre Lelong au ministre de l’Agriculture, le 26 janvier 1972.

« 22134 : 26 janvier 1972. M. Pierre Lelong rappelle à M. le ministre de l’agriculture que le décret du 26 septembre 1969 a modifié le régime électoral des chambres d’agriculture et que si dans l’ensemble ce texte est très satisfaisant, il convient cependant de s’inquiéter du contenu de l’article 18 qui limite à 18 années consécutives les fonctions de membres de bureau de chambres d’agriculture. Cette disposition n’est pas encore appliquée puisque le texte du décret prévoit qu’elle entrera en vigueur lors des prochaines élections aux chambres d’agriculture, soit en principe en mars 1973. Une telle réforme ne manque pas de poser de très sérieux problèmes, car elle remet en cause la notion de suffrage universel, base de la démocratie et élément essentiel de nos principes républicains. En effet, les membres de chambres d’agriculture sont élus au suffrage universel, notamment par les propriétaires fonciers, les exploitants et les salariés agricoles, selon la même procédure que celle retenu en matière d’élection politique. En entravant le libre exercice de ce suffrage universel, puisque cette réforme rend inéligibles certains candidats au bureau des chambres d’agriculture, on prive l’électeur d’un droit fondamental à une époque où on recherche une ouverture toujours plus large du suffrage universel et une meilleure représentativité des représentants des différents secteurs économiques, sociaux et culturels. Une telle limitation de mandat a été également prévue pour les chambres de métiers et les chambres de commerce et d’industrie, et l’on peut se demander pourquoi demain certains ne seront pas tentés de l’appliquer aux élections des conseils municipaux ou généraux ainsi qu’aux sénateurs et aux députés. Pour ce qui est de l’application aux chambres d’agriculture de cette règle de limitation de mandat, on ne peut qu’être surpris qu’une telle mesure ait été décidée. En effet, le pourcentage de participation aux élections des chambres d’agriculture varie autour de 50 % selon les consultations électorales, ce qui constitue pour une élection professionnelle un chiffre très important surtout si l’on se réfère à ce qui se passe dans les autres secteurs où ce taux est beaucoup plus faible. De plus, le renouvellement qui intervient à chaque élection est très loin d’être négligeable puisque, par exemple, lors des dernières élections de 1970, sur 89 présidents soumis aux élections on a pu constater l’élection de 23 présidents nouveaux et estimer à 50 % le taux de renouvellement de l’ensemble des membres. De même on constate qu’actuellement 22 présidents ont moins de cinquante ans et cinq seulement ont plus de 70 ans. Cette réforme du régime électoral va concerner 13 présidents de chambres d’agriculture qui vont devenir inéligibles en 1973, mais parmi ceux-ci, six, au minimum, ont déjà manifesté leur intention de ne pas se représenter, car ils auront, alors, plus de 70 ans. C’est d’ailleurs ce qui s’était déjà passé en 1970 lors des dernières élections aux chambres d’agriculture. Par contre, parmi ces 13 présidents, quatre ont moins de 65 ans. Ils vont être pénalisés pour s’être engagés trop tôt dans la vie professionnelle, alors que certaines personnes âgées de plus de 65 ans pourront être élues et avoir 18 ans de mandat devant elles. En définitives, sur le plan pratique, à court terme, cette réforme aura peu d’intérêt et il faut bien reconnaître que si les chambres d’agriculture ont intenté un recours devant le conseil d’État ceci n’a pas été fait pour des questions personnelles, mais pour des questions de principes. Ce recours avait également pour objet de préserver l’institution que représentent les chambres d’agriculture. Celles-ci sont auprès des pouvoirs publics des conseillers légaux et quasi-permanents, ainsi que des interlocutrices privilégiées dont la représentativité est incontestée. L’application de cette réforme risque donc, à terme, de limiter leur représentativité en permettant l’élection à la tête des chambres d’agriculture des professionnels qui n’auraient pu l’être par la voie du suffrage universel. Enfin, sur un plan politique, cette réforme risque d’avoir des conséquences certaines dans la mesure où elle va permettre progressivement à des minorités agissantes contrôlées souvent par des partis politiques d’extrême gauche, de prendre des responsabilités importantes dans les chambres d’agriculture, alors que jusqu’ici la règle du suffrage universel ne le leur avait pas permis. On remplacera ainsi de véritables responsables professionnelles ayant une réelle conscience de leur responsabilité et de leur mandat public, par des hommes dont les objectifs politiques priment sur leur engagement professionnel. Dans ces conditions, observant que la modification de la durée de mandat des membres du bureau des chambres d’agriculture doit entrer en application lors des prochaines élections en 1973, il lui demande s’il ne juge pas opportun de modifier le décret de 1969 sur ce point et d’en revenir au régime antérieur »

Source : Journal officiel de la République française, 29 janvier 1972, p. 218.