3.5.3. L’écholocalisation

‘« L’écholocalisation est définie comme l’habileté à traiter l’information acoustique contenue dans les échos produits par la réflexion des sons produits par le sujet, sur les objets de l’environnement. » (Arias, 1996, p. 704)’

L’étonnante capacité de certaines personnes aveugles à percevoir des obstacles sans contact physique, c’est-à-dire simplement sur la base de l’écholocalisation, a été décrite dès 1749 par Diderot dans la « Lettre sur les aveugles à l'usage de ceux qui voient ».

‘« Saunderson avait de commun avec l'aveugle du Puisaux d'être affecté de la moindre vicissitude qui survenait dans l'atmosphère, et de s'apercevoir, surtout dans les temps calmes, de la présence des objets dont il n'était éloigné que de quelques pas. » (Diderot, 1749/1990)’

Dolanski (1930) a, par la suite, introduit la notion de « sens de la distance » qu’il considérait comme étant plus aigu dans les environs de l’oreille et de l’œil, plus faible sur les tempes et le front, encore plus faible sur les joues et les lèvres.

‘« L’allée provoque une sensation particulière et trouble chez l’aveugle. Il perçoit les arbres ordinaires à une distance de 2,5 mètres, dans la rue. Il ne peut définir la forme des objets, mais seulement leur présence. Enfin, quand l’aveugle, dont l’attention est dispersée, s’approche rapidement d’un objet, le sens de l’obstacle n’apparaît point, et au contraire, lorsqu’il approche lentement il devient plus aigu. […] Le son, qui fait percevoir les objets se trouvant à la portée du sens de la distance, sert le mieux à aiguiser ce dernier [le sens de la distance]. Aussi lorsque les aveugles veulent trouver la situation d’un lieu, ont-ils recours aux bruissements. Un son fort n’aide pas davantage qu’un son faible, au contraire, un son très fort et plein, gêne. » (Dolanski, 1930, p. 4)’

Mais ce sont Supa, Cotzin et Dallenbach (1944) qui ont étudié, les premiers, cette capacité à percevoir des obstacles sans contact physique, de manière expérimentale et systématique. Ils ont fait cheminer deux personnes aveugles, dix personnes sourdes et aveugles et deux voyants, tous, les yeux bandés, sur un parcours variant en fonction des obstacles qui s'y trouvaient (panneaux en bois aggloméré). Supa et coll. (op. cit.) ont demandé aux participants l'instant où ils percevaient l'obstacle (première perception), puis de s'arrêter le plus près possible de l'obstacle sans le toucher (évaluation finale). Grâce à cette recherche, certains aspects importants de l’écholocalisation ont pu être compris. Supa et coll. (op. cit.) ont montré en particulier que le traitement de l’information auditive constitue la base sensorielle de l’écholocalisation et que le changement de hauteur tonale des sons en est la condition nécessaire et suffisante. L’écholocalisation est un mécanisme d’extraction de l’information qui repose sur des boucles sensori-motrices et qui étaye en ce sens la perception. Comme nous l’avons vu, elle est définie comme l’habileté à traiter l’information acoustique contenue dans les échos déterminés par la réflexion des sons produits par le sujet lui-même. Dans le monde animal, cette capacité est connue pour être utilisée par les chauves-souris (plus particulièrement les microchiroptères). Griffin (1959) fut le premier à en démontrer l’existence.

Köhler (1964) a souligné que l’écholocalisation correspond à une capacité « naturelle » des êtres humains. Dans sa recherche, il a comparé les performances de sujets aveugles à celles de sujets voyants avec occlusion de la vue sur des tâches de détection de cible (présence, absence) et des tâches de discrimination entre différentes cibles (taille, distance). Kölher (op. cit.) a montré que l’ensemble des sujets effectuait des jugements assez précis concernant la distance qui les séparait d’obstacles placés dans leur environnement immédiat. Tous étaient capables de porter des jugements corrects sur la taille des cibles et même sur la nature de leur constitution (bois, métal, etc.) ! Néanmoins, l’ensemble des sujets détectait plus facilement la présence ou l’absence des cibles, plutôt que leurs caractéristiques spécifiques, comme la forme, la texture, etc.

Köhler (op. cit.) ainsi que Clarke, Pick et Wilson (1975) ont montré qu’après un programme d’entraînement, les participants respectifs de leurs expériences ont été capables d’améliorer significativement la précision avec laquelle ils détectaient les obstacles. Hausfeld, Power, Gorta, et Harris (1982) ont également constaté que les sujets voyants avec occlusion de la vue pouvaient, après entrainement, atteindre des performances de discrimination parfois analogues à celles obtenues par les sujets aveugles. Cette capacité d’écholocalisation est donc particulièrement sensible à l’entraînement. Toutefois, pour la discrimination entre des cibles variant par leur forme (carré, cercle, triangle) ou par leur texture (tissu, bois, plexiglas), le sujet aveugle atteint un niveau de performance optimal. Par ailleurs, Hausfeld et coll. (op. cit.) ont remarqué que le sujet aveugle était le seul à avoir effectué des mouvements d’oscillation de la tête pour discriminer les cibles de différentes formes : ce comportement moteur est qualifié de scanning (balayage). Plus récemment, Kish (2009) a proposé un programme d’entrainement basé sur l’écholocalisation active (qu’il qualifie de Flash Sonar 9), à l’attention des personnes aveugles, pour les aider à compléter les informations qu’elles perçoivent de leur environnement.

Notes
9.

Voir site internet : http ://www.worldaccessfortheblind.org/files/snr-prgrm0409.htm