3.6. Conclusion

Que ce soit dans la petite enfance ou à l’âge adulte, les perceptions de la personne aveugle s’étayent sur des capacités originales. Le transfert intermodal, par exemple, permet d’intégrer et de coordonner des perceptions tactiles, auditives et proprioceptives qui contribuent toutes à construire un environnement stable et permanent. La cécité entraine, malgré tout, des spécificités dans la construction de l’espace. Ainsi, le champ perceptif tactile, bien plus réduit que le champ visuel, ne permet pas une appréhension de l’espace proche et lointain. Les modalités proprioceptives, tactilo-kinesthésiques et auditives dont dispose le sujet aveugle pour percevoir et construire son environnement participent ainsi à suppléer l’absence de vision, mais de manière relative.

L’homme possède des capacités perceptives tout à fait étonnantes, qui prennent toute leur importance en l’absence de vision. L’audition, par exemple, nous permet d’entendre, mais aussi de localiser assez finement et dynamiquement des sources sonores dans notre environnement distant. Dans son article intitulé What is it like to be a bat?Nagel (1974) considère que l’écholocalisation de la chauve-souris, bien qu’étant une forme de perception, n’est similaire dans son fonctionnement à aucun de nos sens. Pour lui, il n’est pas possible de ressentir ou d’imaginer les sensations produites par cette perception. « Nous ne savons pas ce que cela fait d’être une chauve-souris, car nous ne savons pas ce que cela fait de se localiser par l’écho ». Pourtant, il a été montré que l’utilisation de l’écholocalisation, qui repose sur des capacités de traitement auditif de premier ordre, permet chez l’homme (voyant ou aveugle) d’identifier la nature et la position d’objets et de cibles dans son environnement, à la manière des chauves-souris. Cette capacité, bien que reposant sur l’audition, est aussi à l’origine de sensation synesthésique. En effet, les personnes aveugles ont pu rapporter, dans différentes recherches, la sensation de sentir tactilement l’obstacle sur le visage. Cependant, malgré ces capacités étonnantes, la locomotion en ville reste une situation potentiellement anxiogène pour une personne se déplaçant sans la vue.