4.3. Un environnement hostile

L’architecture, l’urbanisme, mais aussi la voierie et le mobilier urbain sont hélas conçus sur des bases fonctionnelles et esthétiques qui privilégient majoritairement le visuel, négligeant bien souvent les autres sens. Non seulement cela handicape les aveugles et malvoyants, mais cela constitue aussi une approche réductrice de la perception de l’environnement par l’ensemble de ceux qui se déplacent en ville (Amedeo & Speicher, 1995). Quelques progrès ont été faits ces dernières années en matière de « paysage sonore » (Murray Shafer, 1979), mais les efforts restent limités à quelques situations particulières. Pourtant, les travaux du Centre de Recherche sur l’Espace Sonore et l’Environnement Urbain (CRESSON)11 révèlent depuis quelques années déjà, l'efficacité des ambiances architecturales et urbaines. L’environnement visuel et/ou sonore d’un individu participe alors à son positionnement dans l’espace ainsi qu’à son action.

‘« Le son participe également d’une recomposition des territoires urbains. L'analyse du paysage sonore (Augoyard, 1991), comme celle de l'usage du baladeur en ville (Thibaud, 1992), montre comment la manipulation de l’environnement ou d’objets sonores permet à la fois des jeux de distanciation (ou de rapprochement) entre les individus et une redéfinition des limites spatiales des lieux : la distribution des formes sonores du lieu ne correspond pas nécessairement à ce que l’organisation visuelle nous donne à voir (...). » (Thomas, 2004b, p.244)’

Traverser une rue (fig. 11), éviter les obstacles, assurer son positionnement dans l’espace et la rectitude de son déplacement, peuvent s’avérer extrêmement problématiques chez une personne privée de vision, comme nous l’avons évoqué précédemment.

Figure 11 : Participant à notre recherche, s’apprêtant à traverser la chaussée
Figure 11 : Participant à notre recherche, s’apprêtant à traverser la chaussée Cette photo peut paraître surprenante : en effet, les marcheurs aveugles gardent habituellement la main opposée à la canne comme support sécurisant pour les obstacles non repérés avec celle-ci. Ce participant nous a expliqué justement qu’en se positionnant de la sorte, il évite de cogner constamment sa main contre le mobilier urbain.

Source : Baltenneck (2010)

L’évitement des obstacles, par exemple, demeure certainement la pratique qui, chez l’aveugle, suscite l’actualisation des savoir-faire les plus divers. Deux grandes catégories d’obstacles, propres à l’aménagement urbain, entravent principalement la locomotion chez l’aveugle : les obstacles immobiles de petite taille et les obstacles immobiles plus volumineux.

‘« Les premiers englobent l’ensemble des potelets porteurs de panneaux indicateurs au-dessus de 2,20 mètres et les objets au sol de hauteur égale ou supérieure à 0,30 mètre et de longueur égale ou supérieure à 0,90 mètres. […] Les seconds sont constitués par le mobilier urbain de type abribus, cabine téléphonique, bancs publics, etc. Ils sont donc l'objet de heurts soudains et brutaux. » (Hugues, 1989, p. 36)’

Leur détection perturbe la déambulation (arrêt brutal, hésitation, désorientation), pouvant ainsi affecter la poursuite du trajet. Ce type de mobilier urbain n’est perceptible qu’au toucher de la canne et leur détection ne peut être en aucune manière anticipée par l’aveugle, sinon par mémorisation de son emplacement lors des trajets de reconnaissance. Ces obstacles, quels qu’ils soient, réclament une grande vigilance et une adaptation permanente à la structure environnementale.

Notes
11.

Voir le site web : http ://www.cresson.archi.fr/

12.

Cette photo peut paraître surprenante : en effet, les marcheurs aveugles gardent habituellement la main opposée à la canne comme support sécurisant pour les obstacles non repérés avec celle-ci. Ce participant nous a expliqué justement qu’en se positionnant de la sorte, il évite de cogner constamment sa main contre le mobilier urbain.