2.1.1.1. Utilisation des modalités sensorielles

Le graphique 2 ci-dessous présente, pour les 26 sujets, le nombre de commentaires faisant référence aux modalités sensorielles identifiées dans les corpus. Les données sont présentées et analysées sous forme de fréquence spatiale de commentaires, dont l’unité est en « commentaires par mètre ».

Graphique 2 : Fréquence spatiale des commentaires en fonction des modalités perceptives
Graphique 2 : Fréquence spatiale des commentaires en fonction des modalités perceptives

L’analyse de variance indique qu’il y a bien une différence significative entre les six modalités perceptives décrites ci-dessus, F(5, 120) = 93,73, p < 0,001. Toutefois, nous ne rapportons pas d’effet du facteur « type de cécité », F(1, 24) = 0,00, p > 0,05 ni d’interaction entre les facteurs « modalité sensorielle » et « type de cécité », F(5, 120) = 0,55, p > 0,05.

Le tableau ci-dessous présente les résultats de l’analyse de contraste entre les modalités sensorielles évoquées dans les commentaires.

Tableau 9 : Contrastes orthogonaux entre les différentes perceptions sensorielles évoquées
    DDL Erreur F Niveau P
Audition (-5) VS autres (+1) 1 24 162,92 <  0,0001
Masses (-4) VS autres (+1) 1 24 4,56 <  0,05
Tactile (-3) VS autres (+1) 1 24 19,33 <  0,001
Thermoacuité(-2) VS autres (+1) 1 24 8,56 <  0,05
Proprioception VS odorat 1 24 5,13 <  0,05

Ces contrastes orthogonaux entre les scènes nous indiquent que la modalité « auditive » est significativement la plus évoquée, suivie du « sens des masses », des informations « tactiles », de la « thermoacuité » et enfin des informations « proprioceptives » et « olfactives ». Cela confirme l’importance de l’audition, qui est le sens sollicité dans la majorité des commentaires (0,58 commentaire/mètre, avec un total de 375 commentaires).

Une analyse plus qualitative du contenu des parcours commentés a montré que l’audition permet d’identifier en particulier (graphique 2 ci-dessous) :

  • la circulation automobile (dans 40 % des commentaires pour l’audition),
  • les personnes (18 %) par le bruit de leur déplacement que ce soit à pied ou à vélo, leur conversation, le bruit des jeux (skateboard),
  • les feux sonores (15 %) après leur déclenchement à la télécommande,
  • les passerelles par le bruit de frottement de la canne sur les planches de bois (9 %),
  • la voûte du pont de la Guillotière en raison de la réverbération (7 %),
  • le tram en circulation dans le cours de la Liberté (4 %),
  • d'autres éléments divers (7 %) tel le vacarme des travaux sur l'infrastructure ou le ronronnement de ventilations de magasins...
Graphique 2 : Éléments identifiés grâce à l’audition
Graphique 2 : Éléments identifiés grâce à l’audition

Nous savons ce qu'il peut y avoir d'ambigu à séparer le sens des masses de celui de l'audition (spatiale). Néanmoins, il est possible que celui-ci bénéficie de la synergie d’autres sens agonistes comme la sensibilité superficielle par le biais des mouvements de l'air perçus au niveau du visage. Après l’audition, le sens des masses est le plus évoqué (0,13 commentaire/mètre, avec un total de 101 commentaires). Il permet de détecter la présence de masses (56 % des cas) constituées le plus souvent par les façades des immeubles, mais aussi par des véhicules garés le long du trottoir et exceptionnellement par le mobilier urbain. A contrario, l'absence de masse, autrement dit, le vide (38 %), est perçue dans les grands espaces dégagés tels que la place Raspail ou les berges du Rhône. C’est aussi le cas lors du croisement d'une rue perpendiculaire au cheminement (les axes secondaires traversés dans la scène « Rue », par exemple).

La sensibilité superficielle tactile (0,11 commentaire/mètre avec un total de 69 commentaires) est utilisée le plus souvent par l'intermédiaire de la canne (majoritaire dans notre échantillon). Elle permet de détecter les obstacles tels que le mobilier urbain (14 % des cas) ou de suivre le contour d'une bordure de trottoir afin d'en déterminer la largeur et l'orientation (42 %). Elle permet également de tester la nature du sol, comme sur les berges du Rhône avec les passerelles en bois (23 %).

La sensibilité superficielle thermique ou thermoacuité (0,09 commentaire/mètre, avec un total de 51 commentaires) favorise la détection, au niveau du visage, de l'intensité du vent et de l'effet calorique du soleil. Naturellement, elle varie en fonction des conditions météorologiques, assez diverses au cours de la période d'expérimentation (février, mars, avril). Elle est particulièrement éprouvée dans les espaces dégagés (la Place Raspail et les berges du Rhône) ou quand la rue fait office de couloir de circulation de l'air (Rue Combalot avec ses escaliers terminaux donnant sur le secteur ouvert des quais du Rhône).

La sensibilité profonde ou proprioception (0,05 commentaire/mètres, avec un total de 27 commentaires) est ressentie, en partie, au niveau des barorécepteurs articulaires des chevilles et permet le repérage des brusques dénivellations du sol (76 % des cas) lors du passage sur les sorties de garage ou les abaissements de trottoir destinés à la traversée des personnes à mobilité réduite. Cette sensibilité est aussi utilisée pour détecter, plus finement, la faible inclinaison globale du trottoir de la rue Aimé Collomb depuis les quais jusqu'au cours de la Liberté (11 %).

Enfin, l'odorat joue un rôle très marginal (0,03 commentaire/mètres, avec un total de 22 commentaires) dans la détection des commerces. Cela aurait probablement pu être plus marqué, notamment avec les restaurants asiatiques du quartier chinois… Mais les références à l’odorat sont finalement assez rares, excepté pour deux participants aux narines particulièrement affutées, les devantures étant closes en hiver.