2.4. Cécité précoce, cécité tardive et mode de déplacement

Dans notre revue de la littérature (premier chapitre, paragraphe 5.4.1), nous avons évoqué plusieurs recherches mettant en évidence des différences entre les personnes atteintes de cécité précoce et tardive concernant la représentation de l’espace (Gaunet & Thinus-Blanc, 1996 ; Lederman et coll., 1985 ; Rieser et coll., 1980). Cependant, avec la population de notre recherche, composée de 9 personnes atteintes de cécité précoce et de 17 personnes atteintes de cécité tardive, nous n’avons pas retrouvé de différence en faveur des personnes ayant une connaissance visuelle préalable, que ce soit dans l’évaluation des distances ou des angles.

Il faut toutefois rappeler que notre protocole expérimental inclut l’utilisation d’un plan en relief représentant le trajet. L’objectif était précisément de faciliter, chez nos participants, le déroulement du trajet autonome en troisième session. Plusieurs recherches ont reconnu l’efficacité de cette méthode (Espinosa et coll., 1998 ; Picard Pry, 2009 ; Spencer et coll., 1989). L’utilisation de cette aide entre les sessions 2 et 3 est probablement à l’origine d’un nivellement des performances entre les personnes atteintes de cécité précoce et tardive. Les connaissances sur le parcours (angles, distances) ont ainsi été fixées par cette représentation cartographique qui vient corriger une représentation mentale éventuellement inexacte à la suite des deux premiers trajets de reconnaissance in situ. Certaines recherches ont montré qu’il n’y a pas de différence significative en termes de performance spatiale entre des personnes aveugles et malvoyantes dès lors qu’elles utilisent un plan tactile (Caddeo et coll., 2006 ; Ungar et coll., 1993, 1997). Il s’agit pour nous d’un effet recherché, puisque nous souhaitions étudier l’effet de l’environnement (la « scène urbaine », facteur intragroupe) et non l’effet du « type de cécité » (facteur intergroupe). Nos résultats confirment l’intérêt et l’apport bénéfique du plan en relief, puisque nous n’observons pas de différence entre ces deux populations sur nos mesures.

Figure 60 : Participante explorant le plan tactile du parcours en fin de session 2
Figure 60 : Participante explorant le plan tactile du parcours en fin de session 2

Source : Baltenneck (2009)

Nous soulignons enfin que malgré l’utilisation d’un plan en relief permettant une structuration importante de la représentation mentale (Spencer et coll., op. cit.), nous avons observé que les erreurs dans les dessins (estimation des distances, angles) varient significativement en fonction de l’environnement. Ce facteur environnemental garde donc une influence particulièrement importante sur la représentation mentale et nous renforce dans une conception écologique du déplacement : le sujet construit bien une représentation à partir de son point de vue et de seseffectivités, ainsi que des affordances qu’il a saisies entre perception et action.