2.6. Conclusion

En guise de conclusion, nous souhaitons mettre en tension ces résultats issus de la grande variété des données recueillies dans cette recherche. Ceux-ci s’articulent autour des deux variables indépendantes, constituées par les « scènes » (c.-à-d. l’ambiance urbaine), d’une part, et les « zones » (c.-à-d. les nœuds de prise de décision), d’autre part. Elles représentent deux facteurs qui, selon nous, sont de premier ordre dans un déplacement urbain sans vision.

Le premier facteur est constitué par « l’ambiance urbaine ». C’est une donnée sensible de l’environnement (Thomas, op. cit.). À ce titre, ses variations ont un effet sur les ressentis des personnes aveugles concernant notamment le plaisir, l’anxiété ou le sentiment de sécurité. Le stress et la vigilance sont également éprouvés différemment en fonction de la nature de l’ambiance urbaine et de ce qu’elle offre comme informations auditive, tactile et proprioceptive. Cette observation est confirmée par les fluctuations mesurées au niveau de l’activité électrodermale, témoin de l’activation du SNA et par conséquent de l’éveil et de la vigilance de la personne qui se déplace. Les caractéristiques cinétiques de la marche s’en trouvent, elles aussi, affectées. Comme nous l’avons vu, une scène comme la rue entraine un niveau de stress et de vigilance moindre ; le déplacement y est, par ailleurs, significativement plus rapide et plus aisé. À l’inverse, une scène comme la place nécessite un niveau d’éveil plus important. Les affordances sont plus rares, plus difficiles à saisir et le déplacement se fait alors plus prudent et plus lent, nécessitant plus d’effort. Les marcheurs rencontrent plus de difficultés pour se repérer efficacement, comme en témoignent en particulier les erreurs significativement plus nombreuses dans le parcours lors des changements de direction. Enfin, l’ensemble de ces effets peut être inséré dans une relation à double sens avec la représentation du parcours. Cette dernière s’avère elle aussi influencée par l’ambiance de l’environnement.

Un second facteur qui nous a semblé important dans les déplacements, réside dans la présence de certaines zones du parcours qui nécessitent de prendre une décision pour poursuivre son chemin. Ces lieux, les « nœuds », ont été décrits par Lynch (1960/1998) dans sa conception de la cité. Dans nos résultats, ils nous ont servi à évaluer la représentation mentale du trajet ainsi que la gestion du déplacement in situ. Mais ces lieux sont également ressortis clairement de l’analyse descriptive de l’activité électrodermale. La comparaison entre les « zones noires » et les « zones blanches » nous indique l’importance qu’ils ont dans le processus de déplacement d’une personne privée de la vue, en nécessitant une attention maximum.

Nous proposons figure 61 un modèle circulaire du déplacement urbain, sous la forme de cercle vertueux se situant à l’articulation des dimensions de perception, d’action, de représentation et de ressenti, que nous avons conjointement explorées dans ce travail.

Figure 61 : Vers un cercle vertueux dans les déplacements sans la vue
Figure 61 : Vers un cercle vertueux dans les déplacements sans la vue

Ce modèle circulaire soutient l’idée que des améliorations apportées à l’un des niveaux bénéficieront à l’ensemble des autres niveaux.