3. Parcours commentés

Cette première partie regroupe, pour illustration, les transcriptions de quatre parcours commentés effectués lors du premier contact avec le trajet urbain, en session 1. Les participants se déplacent au bras du chercheur en technique de guide (la main posée sur le coude du guide voyant, un pas en arrière, position qui permet une anticipation des arrêts, etc.). L’ensemble des échanges est enregistré sur un enregistreur numérique.

Norbert est un homme de 30 ans, ayant perdu la vue tardivement et accidentellement à 18 ans. Il se déplace à l’aide d’une canne banche et fait partie des marcheurs les plus rapides parmi l’ensemble des participants.

00:00. Ruelle A.

Chercheur : C'est parti !

‘Participant : « Tu chronomètres aussi ? »’

Oui, mais ce n'est pas une course !

‘« C'est une petite rue plutôt étroite. »’

Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

‘« L'écho ! Les gens aussi qui sont de l'autre côté de la rue. Il y a une sensation... ce n'est pas une sensation, c'est même du froid. Donc, il n'y a pas de soleil ! Le soleil ne s'engouffre pas... Ou alors très en hauteur. Je me demande si elle n'est pas en sens unique ? Bon, je n'ai pas suffisamment d'éléments pour te le dire ! »’

01:00. Ruelle A.

D'accord.

‘« Il y a un véhicule. Je pense que c'est un camion ou un Fenwick ou quelque chose comme ça qui fait des livraisons. J'ai entendu qu'il partait dans le sens opposé. Là, il y a du soleil ! On arrive à un carrefour : ici c'est baigné de soleil. »’

Comment le sais-tu ?

‘« C'est la sensation de chaleur sur ma peau. C'est marrant parce qu'il y a très peu de circulation ! Je ne sais pas si on est en zone piétonne ou pas ? »’

02:00. Ruelle A.

On en parlera tout à l'heure.

‘« J'entends quelque chose : un moteur ! ’ ‘Il y a une voiture dans notre dos, ce n'était donc pas forcément une rue piétonne ! Alors là, on retrouve une sensation de froid. Il y a du vent. Donc avec le parcours qu'on vient de faire jusque là, je pense que si le soleil tape quelque part c'est sûrement à droite… »’

A droite ?

‘« Sur le trottoir de droite je veux dire. Il y a des oiseaux : j'entends des oiseaux. Alors, est-ce que ça veut dire qu'il y a des jardinières ou des arbres ? Je ne sais pas, je ne peux pas te le dire, mais en tout cas... [Bruit de voiture qui manœuvre] Donc, là, il y a des voitures garées le long du trottoir ! »’

03:20. Ruelle A.

Comment tu te sens pour le moment ?

‘« Moi, je ne suis pas stressé de nature. C'est très difficile de me stresser… Alors là, c'est curieux ! Il y a des escaliers et une rue en contrebas… »’

Curieux ?

‘« Ben, parce que j'essaie d'analyser ! Comment ça peut s'envisager ? Une rue avec des escaliers au bout… Est-ce que c'est un pont ? »’

Un pont ?

‘« C'est sûrement ça ! Là, il y a une légère montée, une légère inclinaison du trottoir. Donc, si on se dirige quelque part c'est vers le Rhône. Je pense vers les berges ! Ou vers un pont ou quelque chose comme ça. [Tintement du feu sonore] Il y a un feu !’

04:15. Place.

Comment est l’environnement ?

‘« Alors là, j'ai une impression de grand espace sans bâtiments, comme si on arrivait à un grand carrefour ou en tout cas c'est assez dégagé, c'est très dégagé ! »’

Très dégagé ?

‘« L'écho est différent. On n'est plus dans des petites ruelles comme tout à l'heure… Sur la droite, tu as la circulation. Les trottoirs sont assez larges. Tu as la circulation qui est là… Les gens qui sont sur ma gauche qui sont là. Donc, il y a pas mal d'espace ! Et puis ma voix n'est pas renvoyée/ Les bruits ne sont pas renvoyés en fait… Comme s'ils s'en allaient au loin, sur la droite... Là, il y a un obstacle ! Escaliers ? On descend, donc je pense qu'on va à la Marquise ou quelque chose comme ça ? »’

05:40. Berges.

La Marquise ?

‘« Oui, la péniche sur la berge ! Tiens, sur la gauche, de la musique... on dirait ? Je ne sais pas trop. Un petit groupe de musiciens… Alors est-ce que c'est une péniche parce qu'il y en a beaucoup ici ! Il y en a pas mal de péniches qui proposent de venir swinguer [Rires de l'accompagnatrice] ou bien écouter du Blues. J'en ai fréquenté quelques-unes… j'ai même participé à la fête de la musique ici ! »’

06:20. Berges.

Ah, c'est intéressant !

‘« On descend. Là, tu vois, on n'entend plus la circulation ! On est descendu… La circulation qu'on entend est très haut… là-haut.’ ‘…. Au fait, je sais nager aussi ! Dans le parcours, je ne sais pas si c'est prévu ? [Rires]

Non, non, je ne vais pas t'amener à l'eau !

‘« Alors, là tu vois, il y a le vent qui est face à nous. Donc, c'est dégagé en face, c'est certain… »’

07:00. Berges.

Que dirais-tu de notre environnement ?

‘« Je pense qu’on est sur le quai.’ ‘Là, c'est encore plus dégagé que tout à l'heure, sur la gauche et sur la droite… Je me demande s'il n'y a pas une piste cyclable là ? Non ? »’

Peut-être !

‘« Il y a eu trois vélos quand même ! Donc, ils ont dû aménager une piste cyclable, il n'y a pas très longtemps… Parce que ça n'y était pas. Il y a un roller qui file tout droit ! Bon, s'il file tout droit, on doit avoir le Rhône plutôt sur notre droite ? »’

08:05. Berges.

Plutôt sur notre droite le Rhône ?

‘« Attends, je vais te dire ça. On a traversé... Non, franchement, je ne peux pas te dire…’ ‘Attends ! Il y a du monde là ! Il y a une circulation qu'on entend là et là-haut ! Mais vraiment là-haut ! Donc, ça peut être là aussi ! »’

Le Rhône peut être là aussi ?

‘« Oui, je pense ! Heu, je ne sais pas, je ne pourrais pas dire… Aucune idée. En tout cas, il était parallèle à la piste cyclable ! J'ai le sentiment… »’

09:05. Berges.

Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

‘« Ben, je les vois mal aménager un truc perpendiculaire, si tu veux ! »’

En effet !

‘« Ah, du gravillon… Donc, les personnes assises sont sur des bancs, c'est ça ?’ ‘Donc… c'était sur ma gauche, tout à l'heure, le Rhône.’ ‘Alors, là, on va remonter ! On revient vers la circulation ? »’

10:15. Berges.

Comment tu te sens là ?

‘« Ça va… C'est agréable. Et pollué surtout ! [Rires] ’ ‘En tout cas, pas de stress, ça va ! Mais c'était plus agréable en bas. »’

Pourquoi ?

‘« Moins de circulation, moins de sons ! [Bruit de feu sonore] »’

Tu passes au rouge ?

‘« Je ne sais pas, j'écoutais les voitures ! [Annonce du feu sonore] Attends, les messages sont différents ? »’

Tu écoutes plutôt le bruit des voitures ?

10:55. Rue.

‘« Oui ! Allez, hop, on y va !’ ‘Pour te répondre, en fait, ça dépend du carrefour. Si je sens que ce n'est pas compliqué et que la rue est plutôt étroite, je sais qu'il n'y a pas de risque… Donc, voilà. Je peux m'aventurer à traverser dès qu'il n'y a pas de voitures… »’

D'accord !

‘« Alors que là, il y a un feu qui n'était pas compliqué, enfin je ne l'espère pas ! Ce n'était pas un carrefour ?? C'était un T je pense ? »’

Comment est l’environnement ici ?

‘« C'est toujours moins agréable que sur les quais… C'est moins agréable, oui. Dès que tu reviens à la circulation, ça redevient forcément moins évident ! »’

Pourquoi ?

‘« À cause du bruit, toujours pareil… Mais en même temps, c'est une indication ! Moi, je garde une trajectoire plutôt rectiligne parce que je sais que la circulation est à ma droite. Donc, je n'ai même pas besoin d'aller toucher ce mur-là ou le trottoir ici, si tu veux. Je peux rester pile-poil au milieu du trottoir. »’

12:05. Rue.

D'accord !

‘« Alors là, on est en train de descendre. Enfin, pour moi, hein… Le trottoir s'incline et on s'éloigne du Rhône. Et, j'ai le sentiment, mais ce n'est pas certain encore, qu'on est à une parallèle de ce qu'on avait pris tout à l'heure pour regagner le Rhône ? »’

Ah oui ?

‘« Et qu'on la prise un peu plus sur notre droite forcément puisqu'on est remonté sur la droite ! »’

13:00. Rue.

Pourquoi tu dis ça ?

‘« Parce que, en fait... C’est, ma représentation mentale. Je vais t'expliquer comment elle fonctionne. C'est un... si on veut prendre une image pour comparer la chose, ce serait plutôt un puzzle ! Donc, moi, je ne connais pas forcément tous les endroits où je vais. Je vais volontiers à l'aventure… Mais petit à petit, j'assemble ces morceaux. Ça peut être parcellaire au début. Mais, tu m'as montré un petit quartier-là ! »’

C’est intéressant !

‘« Il se trouve que je connais la Guillotière, tout ça, mais je ne connaissais pas forcément cet endroit. Eh ben, dans ma représentation mentale, je vais raccrocher tous ces morceaux un peu éparpillés ! »’

Aux précédents ?

‘« Oui, tout à fait ! Alors, ce n'est pas toujours aussi précis qu'un voyant, ça c'est clair, mais c'est comme cela que je fonctionne. Morceau par morceau, tout s'imbrique au bout d'un moment… Et puis des fois, il reste des cases ou des morceaux où c'est le vide du puzzle, où c'est pour moi l'inconnu, mais en même temps ça ne dérange pas d'y aller. Et d'aller découvrir l'endroit ! Au contraire, ça va me permettre de le compléter, peut-être de gagner en efficacité dans la locomotion, parce qu'il peut y avoir des raccourcis par cet endroit-là ! Etc. etc. »’

14:15. Rue.

C’est très intéressant !

‘« Alors, là, on revient dans un espace assez... je ne sais pas, je dirai large ! Il y a assez peu de monde dans ce coin ! Il y a le tram là-haut, qu'on entend passer, qui arrive, vers nous…’ ‘Il est proche ! »’

Proche de nous ?

‘« Oui. À trois mètres, trois ou quatre mètres. En tout cas, on longe la ligne des rails du train… Ah, je me demande si ce n'est pas le cours de la Liberté, ça ? »’

15:00. Rue.

Le cours de la Liberté ?

‘« Le tram, il passe par là, alors forcément... Ah, petite rue, étroite si on peut dire ! [Tintement de la canne contre un poteau] Poteau ! »’

16:20. Ruelle B.

Comment tu te représentes l'espace ici ?

‘« Comment je me le représente ? Ben, ça ne m'inspire rien du tout… C'est une petite rue. Elle n'est pas animée en tout cas ! Pas très commerçante… Elle est perpendiculaire au cours de la Liberté. C'est plutôt résidentiel pour moi. On entend des oiseaux pas loin… »’

Et voilà, rue Jean Larrivé… tu es arrivé !

‘« D'accord, OK »’

Comment ça s'est passé ce parcours ?

‘« Bien, bien ! »’
Lilou est une femme de 28 ans, ayant perdu la vue tardivement à partir de 8 ans. Elle se déplace à l’aide d’une canne banche et se montre très à l’aise dans la locomotion lors de ce trajet.

00:00. Ruelle A.

Chercheur : C'est bon ? Voilà je me mets à votre droite. Ça commence maintenant !

‘Participant : « C'est une rue plutôt calme. Le trottoir n'a pas l'air super-encombré, donc jusqu'à maintenant. Il y a des voitures sur le côté que je sens. Je ne sais pas si on vous a parlé du sens des masses mais voilà. Donc, je sens les voitures. Je ne les vois pas, je les sens vraiment. Les gens qui ne connaissent pas grand-chose appellent ça un 6ème sens. En fait ça s'appelle le sens des masses ; on sent une espèce de déplacement de l'air ; en fait, c'est l'air qui cogne sur un obstacle quand il est gros ; quand il est petit ça ne sert à rien. Voilà ! C'est pour cela qu'on peut éviter les voitures. Je sens les voitures à ma gauche et le mur à ma droite. C'est pour cela que je ne prendrai ni l'un ni l'autre. »’

01:00. Ruelle A.

Donc vous vous situez assez bien ?

‘« Oui, oui ! »’

Vous pouvez utilisez la canne.

‘« Moi, je n'utilise jamais la canne quand je suis au bras de quelqu'un. Tiens, il y a des travaux de l'autre côté. La rue dans laquelle on vient de tourner est a priori assez calme aussi, sauf un camion qui est garé en plein milieu de la route ! »’

01:35. Ruelle A.

Qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

‘« Je l'entends ! J'entends le moteur… Ça ne roule pas. C'est sur place ; c'est donc un camion garé sur la route. »’

Comment vous sentez-vous pour le moment ?

‘« Tranquille ! Ça va ! C'est agréable ici. »’

02:00. Ruelle A.

On va tourner. On laisse passer ce camion. On descend, hop ! Vous pouvez continuer à décrire ce qui vous entoure.

‘« Cette rue-là dans laquelle on vient de tourner est calme aussi ; il n'y a pas de camion en plein milieu de la route, des voitures qui roulent... Et c'est agréable parce que le trottoir n'est pas encombré ! Ce qui n'est pas évident dans une grande ville où on se gare. »’

02:55. Ruelle A.

Que dire de l’environnement ici ?

‘« C'est vraiment calme parce que c'est une petite ruelle, mais... voilà … C'est toujours agréable pour l'instant ! [Choc] Un obstacle !... On va monter des escaliers ? »’

Oui ! Vous avez l'habitude de traverser un quartier comme celui qu'on vient de passer ?

‘« Oui, parce que j'ai fait mes études à Paris; Je me promenais beaucoup sur les bords de Seine, le quartier latin, tout ça... et après j'ai rencontré mon copain à Marseille où j'ai vécu 8 ans. J'ai fait tous les environnements possibles et imaginables ! Savoir les petits quartiers mal entretenus très encombrés comme la mer, la plage... »’

04:25. Place.

Vous entendez-là, le feu sonore ?

‘« Oui ! Mais je ne m'en sers pas beaucoup. Je me fie bien à la circulation... Je l'ai sur moi la télécommande : elle est là, mais.... Sauf si c'est un carrefour super-compliqué, je ne m'en sers pas ! »’

Il est comment ce carrefour-là ?

‘« Pour ce que j'en perçois, ce qui n'est pas une vérité, c'est un grand carrefour. Il y a des voitures qui roulent sur la droite. En locomotion, ils appellent ça soit des carrefours en T, donc si c'est un T, soit les carrefours en croix. Là, il y a une grande rue sur la droite. Donc pour ça, j'ai plus l'impression que c'est... un carré avec une route sur le devant et une rue à droite ! »’

05:20. Place.

Comment vous sentez-vous ?

‘« Ça va ! Donc là, c'est un environnement assez dégagé, ce qui est pour nous assez compliqué parce qu'on n'a pas de point de repère en fait ; c'est-à-dire qu'il faut une grosse masse, un mur ou... je ne sais pas, quelque chose pour aller droit en fait ! Ah, j'entends des enfants ici ! »’

06:05. Place.

C'est quoi ce bruit ?

‘« Vu ce qu'il en fait, je ne suis pas convaincue que cela soit un vélo sauf s'il descend les marches avec... Vélo ou trottinette... Ben oui ! Vélo puisqu'il roule avec, c'est un vélo ! »’

06:30. Berges.

D'accord ! … Comment vous percevez votre environnement ici ?

‘« Mon environnement est dégagé, calme et agréable ! On est sur un pont parce qu'il est en bois ! Voilà, on est sorti du pont, on est descendu du pont. On a traversé ! »’

D'accord !

‘« Là, on passe sous une voûte, enfin sous un pont ou une voûte ! »’

07:30. Berges.

Qu'est ce qui vous fait dire ça ?

‘« La résonnance ! Là, on est sorti ! »’

Toujours avec la résonnance ?

‘« Toujours avec la résonnance ! »’

Comment vous vous sentez là ?

‘« C'est agréable. Et puis bon : ce n'est pas la mer, mais c'est presque pareil ! Il y a des gens au-dessus, sur les... pas sur les quais, sur la rambarde en haut à droite ; il y a un vélo qui vient de passer à gauche... et des gens qui se promènent ! »’

08:25. Berges.

Comment est l’environnement ici ?

‘«  C'est vaste ! C'est dégagé et c'est calme... et on peut marcher à quatre sur la même largeur... parce qu'il y a des personnes qui sont passées tout à l'heure ! Cela veut dire que c'est large ! ... Tiens, un autre pont… parce qu'il est en bois ! On est redescendu, donc on va remonter des marches ? »’

09:30. Berges.

Oui ! C’est comment ici ?

‘« Le revêtement du sol est super gênant... parce que la canne se prend dedans ; Si la canne se heurte à quelque chose, c'est gênant voilà ! »’

10:05. Berges.

Ce qui est gênant c'est sur l'escalier ou sur le palier ?

‘« Non! Sur les paliers ; les escaliers sont en béton... C'est juste que la terre, la canne se prend dedans. Quel que soit le type de revêtement d'ailleurs ; si c'est une plaque d'égout c'est pareil, c'est un peu gênant. C'est mieux quand c'est plat !’

10:30. Rue.

D’accord. C’est comment ici ?

‘« Ca change d’ambiance. On est revenu sur la route après les escaliers. On va traverser ! Ça circule beaucoup ! »’

Comment vous vous sentez ?

‘« Pas stressée ! Pas stressée parce que j'ai l'habitude ! »’

11:00. Rue.

[Bruit de feu sonore rouge] Là, vous traverseriez là maintenant ?

‘« Si c'est moi toute seule, oui ! Parce qu'il n'y a pas de voiture. Et puis je les entends assez loin pour savoir qu'il n'y a pas de danger. Allez, on y va. »’

Le feu était rouge quand nous sommes passés !

‘« Oui, je sais ! Non, mais moi je traverse ! Parce que je suis quelqu'un d'assez speed, je n'ai pas de patience. Poireauter deux minutes… je n'ai pas envie. Si je vois qu'il n'y a pas de danger évidemment ! »’

On revient à notre petite description ?

‘« [Bruit d'entrechoquement de métal]... Tiens… des travaux qu'on atteindra sûrement ! »’

C'est le bruit qui vous fait dire cela ?

‘« Oui ! Le bruit de tôles, de gros matériels ! »’ ‘« Ça circule ! Il y a le tram pas loin... et ça circule un peu ! »’

Comment vous sentez-vous ?

‘« Toujours tranquille »’

12:30. Rue.

Comment est l’environnement ?

‘« Je ne perçois pas de masses… Comme là, la route qu'on vient de traverser; Je sais qu'on traverse parce qu'on descend. Je sais qu'on traverse parce que ça descend et qu'il y a un vide à gauche. Voilà, ce sont les deux éléments qui me font dire qu'il y a une route... Là, le trottoir est encore relativement dégagé... Oh, il est très dégagé même ! »’

13:05. Rue.

Ça serait une ballade que vous feriez toute seule ?

‘« Oui ! La partie qui est sur les quais. …Après non ! »’

Pourquoi ?

‘« Parce que ce n'est jamais très agréable de se promener en ville... Par contre sur les quais oui ! Sur une grande avenue où il y a des boutiques, oui si je suis avec quelqu'un. »’

13:30. Rue.

Avec quelqu’un ?

‘« Oui… Parce que ce n'est pas mon tempérament ! Je ne me promène pas pour me promener, sauf si c'est un endroit agréable, ce qui n'est pas... Je ne suis pas stressée mais je veux dire que je ne sens pas l'utilité de marcher sur un trottoir dans une ville pour aller je ne sais pas où ! »’

13:50. Rue.

Et on tourne. Ici, comment vous vous représentez l'espace urbain ?

‘« Ici, c'est un trottoir assez large ! Je sens le mur à ma gauche qui est loin. Et toujours dégagé, pas de mobilier urbain trop gênant. Et là, je sens quelque chose... Je sens quelque chose en fait... On sent, on a le sens des masses mais on ne sait pas si c'est dû à quelque chose de très loin devant, c'est à dire des marches ou quoi ou bien si c'est un dépassement de mur sur le haut, c'est-à-dire une terrasse en hauteur ou un truc comme cela. C'est vrai que c'est assez trompeur si on est loin. En plus moi j'ai le sens des masses super-prononcé ; donc c'est dire que la moindre chose je la sens... ben, je la sens... mais je peux me tromper. [Bruit du tram]... Le tram ! »’

15:00. Rue.

Oui ! Il est bruyant ?

‘« Ben oui ! J'ai le sens des masses assez prononcé. Je me trompe rarement ! Il m'arrive de me tromper aussi… Parce que je crois qu'il y a des marches au bout... mais en fait, non, ce n'est pas ça ! C'est un balcon en haut en fait.’

15:30. Ruelle.

Il aide ce sens des masses ?

‘« Oui, oui ! Pour moi oui ! Il y en a qui ont la perception plus ou moins développée. C'est vrai que moi, je l'ai pas mal. Et c'est super-trompeur en même temps... Ben parce que les gens croient qu'on voit, qu'on voit un peu je veux dire. Donc, c'est souvent trompeur. Et puis ça peut porter préjudice aussi parce qu'on ne nous croit pas forcément tout le temps… Surtout si on n'a pas les yeux abîmés en fait ! C'est vrai que si les yeux ne sont pas touchés, qu'on a le sens des masses très prononcé, qu'on évite les trucs à deux mètres, alors qu'on a la canne à la main, qu'on dit qu'on ne voit rien du tout ! Les gens se posent des questions ! On traverse un trottoir étroit, plus étroit que ceux qu'on a pris jusqu'à présent, un peu en pente et calme ! C'est une rue calme ! Ça ne circule pas du tout ! »’

16:40. Ruelle.

Comment vous sentez-vous ?

‘« C’est agréable… Je me sens assez en sécurité ici. »’

17:00. Ruelle.

Alors là on est arrivé. Nous sommes rue Jean Larrivé. Quelle est votre impression globale sur la totalité du parcours ?

‘« Parcours pas trop encombrant, c'est-à-dire par rapport au mobilier urbain, je trouve, après peut-être parce que vous marchez à côté de moi, du coup, vous n'allez pas me faire prendre des trucs quand même! Ça ne se fait pas ! Non, mais pas trop encombré, et une partie très agréable, donc forcément parce qu'on est sur les berges donc c'est plus agréable ; il y a des avenues qui circulent plus et a contrario des rues où ça ne circule pratiquement pas. Et donc globalement pas stressée. »’
Sonia est une femme de 32 ans. Elle a perdu progressivement la vue dans l’enfance. Elle se déplace avec sa canne blanche de façon fluide et prudente, et se montre très attentive à son environnement.

00:00. Ruelle A.

Chercheur : Voilà ! C'est parti !

‘Participante : « Donc là, il y a une poussette devant nous. Là, ça a l’air d’être une rue pas trop encombrée comme là où l’on était tout à l’heure, où il y avait plus de circulation ! »’

D’accord.

‘« Il me semble qu’il y a des magasins, des odeurs... il y a des épices ou je ne sais pas ce qu’il y a à côté, là… C'est un petit magasin, oui. Il doit y avoir un toit ! Enfin, au-dessus... ’

01:00. Ruelle A.

Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

‘« C'était un petit peu le côté fermé des choses… Comme si j’étais entourée.’ ‘ [Bruit de toux d'un passant] Là, il y a des gens autour. Ça m’a l’air d’être une rue bien commerçante en tout cas… Là, je sens des ouvertures de magasins. Là, on tourne à droite ! C'est donc la rue perpendiculaire à celle où on était.’ ‘Là aussi, c'est... on sent...je ne sais pas, un magasin ou un restaurant, je ne sais pas ! »’

Ça sent quoi ?

‘« Ça sent une cuisine un petit peu exotique. »’

01:50. Ruelle A.

‘« Donc, là aussi, c’est une rue assez calme. Rien à voir avec notre point de rencontre... Là, je pense que c‘était une sortie de garage à l'instant ? Il y avait comme un abaissement du trottoir. »’

Exactement.

‘« Là, je crois qu’il y a des vitrines à côté, mais...’ ‘Pas d’ouverture. »’

Des vitrines ?

‘« [Rires] À côté... enfin, au niveau des murs je dirais que ce n'était pas un mur franc. On ne sent pas vraiment un mur en béton… On sentait un petit peu quelque chose de lisse, un mur un peu lisse, un peu vitré quoi ?’ ‘Alors là, on est parti sur la rue perpendiculaire à celle qu’on vient d’être, où on a traversé. »’

02:55. Ruelle A.

‘« Et puis là, donc on est... on a le mur qui est sur la gauche maintenant. Un abaissement là, au niveau du trottoir. Une rue assez calme, là aussi ! Je parle trop ou ça va ? [Rires] »’

Non, non, c'est parfait au contraire !

‘« Au niveau de l’air, je sens une arrivée d’air assez importante. Donc, qui me signifie qu’on va peut-être arriver sur une place… »’

De l’air ?

‘« En tout cas, c’est beaucoup plus large ! Enfin, ça va s’élargir parce que l’air qui vient... Donc là on monte des escaliers. Ah, donc, d’où l’air peut-être qui venait ? »’

03:55. Place.

C’est l’air qui vous aide ?

‘« Oui, oui, tout a fait. Ça donne un indice assez important quand même… Voilà : donc, là, c’est très large pour moi. Enfin, je sens... je ne sens pas un immeuble tout de suite à côté par exemple… Donc un peu comme une place. »’

Oui ?

‘« Donc, là, on va sur la perpendiculaire de la rue où on était. Et par contre, là, normalement, il doit y avoir le mur sur ma droite ? »’

Exactement !

‘« Donc, ça a l’air plus spacieux. De mon côté gauche, oui, oui… beaucoup plus spacieux. Et là, par contre, une circulation beaucoup plus importante que les rues où on était tout à l’heure... Donc là, un feu sonore. Ah, maintenant, c’est vert pour nous. »’

04:55. Place.

Oui ?

‘« Mais je n'ai pas entendu le nom de la rue, exactement ! Elle dit “Rouge piéton" mais je ne sais quelle rue c'était… Il y a trop de bruit. »’

On en reparlera tout à l'heure. Et ici alors ?

‘« Donc, là, pour moi, c'est... on est comme dans une place, en fait. Oui, pour moi, ça fait vraiment place. Des voitures qui sont sur ma droite, mais je peux imaginer que comme il n’y a pas de mur sur ma gauche, ça a l'air d'être une place… Donc, il y a de la circulation de l'autre côté, mais beaucoup plus loin ! Et je sens... enfin, je ne sais pas, j'ai l'impression qu'il y a un peu des arbres... Enfin, chaque fois que je marche, je pense qu’il y a des arbres un petit peu sur le long du chemin… ou des poteaux. »’

Des arbres ?

‘« Donc, là on traverse une route.’ ‘Les arbres, ça veut dire que, quand j’avance, c’est comme si je sentais comme un grand bâton en fait. Mais, ça passe très vite… Donc, c’est ou un arbre, ou un poteau pour moi. »’

05:55. Place.

D'accord !

‘« Donc, là, on est... on a... c’est comme si on avait quitté la place, enfin si c’est une place ? [Rires] Et on est sur l’autre côté de la place.’ ‘Escalier qui descend !’ ‘Ah donc, ça fait un peu une symétrie par rapport à où on était tout à l'heure pour moi, là ! Parce que tout à l’heure on a monté des escaliers, on se retrouve sur une place, et là de l’autre côté, il y a des escaliers qui descendent, un peu comme une symétrie… »’

D’accord, c'est noté !

‘« [Rires] Donc, là, il y a des enfants qui sont en train de faire du skate. Voilà, oui, je pense que c’est du skate ? »’

C‘est ça !

‘« Donc, c’est les vacances, ce qui explique qu'ils sont là ! [Rires] Et là, on redescend encore ! Donc, je crois savoir, si je ne me trompe pas, qu'on est sur les berges… Avec la musique et des gens qui jouent de la guitare là-bas. Ça fait ambiance berges, et comme je connais un peu... enfin, je sais qu’il y a un coin où les enfants jouent… enfin font du skate, donc pour moi, ça me rappelle ce coin-là ! »’

07:20. Berges.

‘« Pour moi c’est très, très clair devant moi ! C'est très, très dégagé en fait comme un espace… Donc, là, on est sur une autre nature du sol. Là, quelqu’un vient de passer à vélo ! Oui, pour moi, ça me rappelle les berges. »’

On est sur les berges du Rhône ?

‘« Oui, c'est ça ! [Reniflements] Donc, un peu une odeur de… effectivement de... de fleuve ! »’

Une odeur de fleuve ?

‘« Oui ! »’

Ça sent quoi ?

‘« Ça sent l’eau... ça sent l’eau... du Rhône, quoi ! [Rires] »’

08:05. Berges.

‘« L'eau polluée… Bien verte… [Rires] Ah, là, il y a un écho ! Comme si on était passé... je ne sais pas ! Pourtant je ne sens pas de pont ? Mais, je ne sais pas, un écho en fait dans la voix, quand je suis passée. »’

Comme un pont ?

‘« Ah, c'était ça alors, oui... Donc, là, c'est très dégagé, il y a de l’air à ma... à ma gauche, donc c’est là, le Rhône. »’

Comment vous sentez-vous ?

‘« C’est agréable. Surtout au bras de quelqu’un avec qui on n'a pas à stresser ! »’

Toute seule ici, vous seriez stressée ?

‘« Ah oui, complètement ! Personnellement, je ne serais jamais venue ici toute seule…’ ‘Non, parce que justement c’est très compliqué. »’

09:00. Berges.

Compliqué ?

‘« Parce que d’abord il faut trouver l’entrée des berges, chose qui n'est pas facile. Ensuite, est-ce qu’on est bien sur la piste cyclable, est-ce qu'on est sur... là où marchent les piétons ? Et comme, en fait, quand on n'y voit pas, on ne marche pas droit ! J’aurais toujours peur d’aller trop vers la gauche et donc vers l’eau ! »’

D’accord ! Donc une peur de tomber dans l’eau ?

‘« Oui, oui ! [Rires]... Donc il y a des gens là-bas sur ma droite qui rigolent, qui doivent être en groupe. Un vélo qui nous dit “poussez-vous” là ! »’

09:55. Berges.

Là, on tourne à droite !

‘« Des gens qui courent… »’

Qui font du sport ?

‘« Oui, j’espère... Donc là, on se dirige comme si on sortait, peut-être ? »’

On sort des berges ?

‘« Voilà, tout à fait… Des escaliers qui mènent là haut. »’

C’est comment ici ?

‘« Il y a plusieurs séries de marches séparées par des paliers un peu sableux. »’

10:50. Berges.

Oui ?

‘« Et fatigantes ! [Rires]. Voilà, on arrive en haut. On entend la circulation des voitures.... Et là, je sens une bande podotactile pour traverser effectivement le feu rouge. »’

Le feu est rouge ?

‘« Oui !’ ‘Vous avez remarqué la bande podotactile au sol ? Je les cherche en général. Mais ce qui m’aide beaucoup surtout, avant de trouver la bande podotactile, c’est quand il y a un feu sonore : je me dirige vers le son du feu ! »’

D'accord ! Alors, ici, comment vous vous représentez l’environnement ?

12:15. Rue.

‘« Alors… on est sur une rue. Donc, le bâtiment est sur ma gauche.’ ‘Donc, là un abaissement... une rue. Voilà, on traverse une rue.’

C’est l’abaissement qui vous a fait dire qu’on traversait une rue ?

‘« Oui, tout à fait, l’abaissement, oui, oui, et l’ouverture… Voilà, une petite rue assez calme, là, ça va. Pas trop de circulation, donc tranquille en fait quand on veut marcher ! Il n'y a pas trop de stress ! »’

Là, ce n’est pas stressant ?

‘« Non, pas stressant, parce que justement… il n'y a pas trop de circulation. Donc pas trop de bruit... Donc, là, on a traversé une autre rue ! »’

13:00. Rue.

Oui ?

‘« Je l’ai senti avec... pareil ! L’abaissement du trottoir !’ ‘Ici, ça va, c’est agréable… Il y a des gens devant nous ! »’

Oui ?

‘« Un groupe d’hommes ! Je peux le dire à la voix… »’

D'accord !

‘« Et qui restent immobiles, en fait ! Qui ne bougent pas…’ ‘Un vélo ! C’est une rue bien tranquille. Oui ! »’

14:00. Rue.

Vous avez l’habitude de vous déplacer dans ce genre de rue ?

‘« Ici, dans ce quartier ? Non. Une moto qui est partie de l’autre côté sur la perpendiculaire que l’on suit ! Là, on a tourné à gauche ? »’

Oui.

‘« Là, ça a l’air… Par contre... peut-être plus de circulation, une rue beaucoup plus large ! Je le sens par rapport à l'espace… Il y a une petite terrasse là, je crois ! Non ? Pas une terrasse, mais des gens qui discutent ? »’

14:40. Rue.

Oui, c’est ça !

‘« Une rue plus importante celle-là, je pense, que celle qu’on vient de passer. Donc, il y a de la circulation et des gens qui marchent, là. Il y a un petit enfant là-bas, que j'entends... qui marche aussi. Les trottoirs sont, j'ai l'impression, un peu plus larges là ! Je ne pense pas qu’il y ait trop de magasins dans cette rue ? Ça fait... non, peut-être plus habitation ? »’

Qu’est-ce qui vous fait dire ça ?

‘« Parce que je ne sens pas... comme au tout début des entrées de magasins ! Des choses comme ça, en fait ! »’

16:00. Rue.

D'accord !

‘« Il n'y a pas spécialement d’odeurs spécifiques, aussi. Là, on va arriver à un croisement ! [Bruit de moteur de moto] Je le sens par rapport à la moto là ! »’

D'accord !

‘« On tourne, là... ça dépend, là. Je ne sais pas…’ ‘On tourne, voilà, sur la gauche ! »’

Hop, on a évité des personnes !

‘« OK ! Là, on retrouve une rue calme comme la parallèle de tout à l’heure.’ ‘J’apprécie bien ce genre de rue. Là, un abaissement… Je pense à un garage ? Une entrée de garage, oui. Là, on va traverser. Je le sens par rapport à l’abaissement de trottoir ! »’

17:20. Ruelle B.

D'accord ! Voilà ! Rue Jean Larrivé… nous sommes arrivés ! Alors, une première impression sur ce parcours, sur cette première étape ?

‘« Mon impression ? On est passé par des endroits très calmes et aussi, à la fois, où il y avait beaucoup de circulation ! Mais, bon… comme je vous le disais, tant qu’on est à un bras, on n'est pas stressé quoi ! »’

18:15. Ruelle B.

D'accord !

‘« Seule, surtout moi au niveau des berges, oui, j’aurais vraiment, je pense, été très, très, très stressée ! Oui, oui ! C’est sympathique de se balader comme ça ! Là... si vous le voulez... les abaissements de trottoirs, les choses comme ça, on ne s'en rend pas compte, en fait ! Notre cerveau, je pense qu'il analyse immédiatement. Mais le fait de le sentir et de le dire, c'est vrai que ça... comment dire ? »’

19:05. Ruelle B.

Ça vous perturbe ?

‘« Non, ça ne perturbe pas, mais on essaie de se dire mais en fait ‘Il y avait bien tout ça !’ C’est tellement automatique, si vous voulez, dans le quotidien, qu'on ne réalise pas que... en fait, quand on le dit, il y a effectivement un certain nombre de choses pour nous aider en fait ! »’

Oui, je comprends.

‘« Là, enfin, on le vit, si vous voulez, au quotidien… Mais là, on le dit ! Et quand on le dit, on se rend compte effectivement, enfin, qu'il y a vraiment des choses pour nous aider, en fait, oui ! »’

D'accord !

‘« Et que ça pourrait se développer encore davantage à des endroits. »’

Davantage ?

‘« Oui ! »’
Frank est âgé de 56 ans. Il a perdu tardivement la vue. Il se déplace régulièrement pour aller travailler, à l’aide de sa canne blanche. Il apprécie beaucoup la randonnée en montagne et à la campagne, plus que les déplacements urbains.

00:00. Ruelle A.

Chercheur : Alors on est parti ! Donc, on est sur le début du parcours.

‘Participant : « Eh bien, tout de suite on est plus au calme, par rapport au point de rendez-vous ! »’

Plus au calme ?

‘« Oui. On est plus au calme… Bon, c'est une rue qui paraît, ma foi, pas très passante. Est-ce qu'elle serait piétonne, je n'en sais rien ? Je ne peux pas le dire maintenant. Mais, finalement, on se croirait... ça fait du bien. Ça repose la tête ! »’

Vous aimez mieux ce genre de rue là ?

‘« Ah, oui, oui, bien sûr ! Moi, je fuis ce qui est bruit, mais un petit peu de circulation, une voiture de temps en temps ou un truc comme ça, ça permet de savoir un petit peu l'orientation de la rue, des trucs comme ça, quoi, hein. »’

D'accord !

‘« Comme là, par exemple, il y aurait une voiture qui arriverait un petit peu de loin, je saurais si... Là, on n'en sait rien ! Là, c'est un peu le vide… »’

01:00. Ruelle A.

Le vide ?

‘« Oui, c'est le vide ! Il n'y a pas l'air d'y avoir beaucoup, beaucoup de personnes sur les trottoirs. D'ailleurs, je ne sais pas si c'est un trottoir ou une rue ?’ ‘Là, on vient de tourner à droite ! Là, il doit y avoir peut-être une boulangerie pas loin… Non, pas sûr ! J'ai entendu une petite vibration-là, un petit ventilateur… »’

Oui, c'est un ventilateur ! On est passé à côté.

‘« Oui ! Bon, on a croisé quelqu'un qui ne nous a pas dit bonjour ! »’

Ah ? [Rires]

‘« Ça m'arrive dans les rues comme ça, quand il n'y a pas beaucoup de monde, quand je suis tout seul, si je croise quelqu'un, de dire bonjour ! Des fois, j'ai une réponse ! »’

Parfois, vous avez une réponse ?

‘« Oui, oui, et c'est comique !’ ‘Des fois les gens s'arrêtent et vous disent s'ils vous connaissent ou quelque chose comme ça… Et, ça m'arrive parfois de les connaître ! D'abord, moi, je travaille vers Vaise, dans des rues où il n'y a pas beaucoup de monde non plus sur les trottoirs... »’

02:00. Ruelle A.

On continue par ici.

‘« Et là, on arrive dans la circulation un petit peu ! Donc, des fois c'est même des gens qui me disent bonjour ! C'est rare, mais ça m'est arrivé il n'y a pas très longtemps qu'une personne me dise bonjour. »’

D'accord !

‘« Donc, là, c'est toujours pareil… On est toujours dans le même genre d'endroits. »’

Vous le qualifierez comment cet endroit ?

‘« Là, ça devient plus large ! Il y a de l'espace ! D'ailleurs, il y a de l'air ! »’

De l'air ?

‘« Oui. Mais, bon… Est-ce que c'est vrai ? Je n'en suis pas sûr ! Ça me fait l'impression d'avoir un peu plus d'espace ! On est dans une rue ? On a changé de rue ? »’

Oui !

‘« Donc, c'est la rue je ne sais pas quoi ! À mon avis, si, c'est quand même plus large que là où on était ! »’

Ça vous paraît plus large ?

‘« Oui ! Peut-être que je me trompe !’ ‘Mais je dis ça à cause du vent et puis... bon : ce n'est pas étouffant ! Et on n'a pas la même sensation au niveau de la résonnance d'ailleurs avec la canne... on n'a pas cette sensation de resserrement ! »’

03:00. Ruelle A.

On a des escaliers devant nous.

‘« C'est le nouveau truc qu'ils ont fait pour accéder au quai ? Pas sûr ! »’

Pour accéder au quai ?

‘« Je pense qu'on n'en est pas loin ! Il y a de plus en plus d'air… ’ ‘Et que j'ai l'impression qu'il y a un espace qui se dégage devant moi ! »’

De l'espace ?

‘« Oui, J'ai vraiment une impression d’espace ! Et puis, bon, c'est peut-être... ’ ‘Tiens il y a un aveugle pas loin ? »’

Non, c’est notre télécommande ! C'est Sarah qui est à côté, qui a une télécommande.

03:55. Place.

[Arrivé au croissement de la rue Cavenne]

Est-ce que l’on traverse ?

‘« Non, pas trop ! Je n'en sais rien ? Je n'ai pas encore repéré… Alors, je vais vous dire : je ne sais pas ! Je vais essayer de... Là, je ne me lancerais pas tout de suite ! »’

Vous vous ne lanceriez pas tout de suite ?

‘« Non, non, parce que je n'ai pas repéré le... tout, tout comment ça va ! Dans ce cas-là, moi, ce que je fais, j'attends un cycle du feu !’ ‘On aurait pu ... je ne sais pas ce qu'on va traverser mais je pense qu'on aurait pu traverser puis que les... Allez, on y va alors ! »’

On y va ?

‘« Oui ! »’

Comment vous sentez-vous ce genre d'endroits ?

‘« Pas très bien… »’

Pas très bien ?

‘« Non ! je n'aime pas trop parce que d'abord, je n'ai pas repéré le début... En plus, le feu, il n'est pas pour nous, là, si ? Le ding ding-là était pour nous ? »’

Oui !

‘« Eh ben ! Et on a traversé là ? »’

A votre avis on est dans quel genre d'endroits ici ?

‘« Là, je crois qu'on est en bordure... on est dans une espèce de rond-point... c'est un grand carrefour toujours ! »’

05:05. Place.

C'est un grand carrefour ?

‘« Oui, c'est un grand carrefour et ce qu'on a traversé là-bas… mais je n'en ai aucune idée ! J'avoue franchement que je n'ai aucune idée de ce que j'ai fait ! On a traversé un truc où il n'y avait pas de dénivellation pratiquement ! Et en fait j'ai senti quelque part sous les pieds des bandes de vigilance, mais il n'y avait pas du tout de dénivelé et ça m'a perturbé un petit peu ! »’

D'accord !

‘« Là, c'est une rue à grande circulation bien sûr ! [Tintement du feu sonore] ’ ‘J'entends le truc, mais je n'arrive pas à le repérer, je ne sais pas... Ça manque de repère ici ! »’

Ça manque de repère ici ?

‘« Oui, ce n'est pas précis, parce que là, on longe cette rue... ce quai ou je n'en sais rien ! »’

05:55. Place.

Alors, on va faire un petit virage sur la gauche ! On tourne un petit peu sur la gauche et puis on va continuer notre ballade !

‘« On descend ! Voilà ! C'est ça ! Vous êtes en train de me faire traverser le truc... la fosse aux Ours, c'est ça, non ? »’

Vous connaissez un peu le quartier ?

‘« Je le connaissais avant… Mais là, je crois qu'ils ont tout modifié la configuration ! À mon avis, on va arriver sous un petit soubassement-là. On est enterré déjà là, par rapport à la circulation… »’

C'est différent ici ?

‘« Oui ! Là, c'est très différent. Le soir, ça doit être glauque !’ ‘En fait, c'est quand même... je pense qu'avant il y avait... c'était plus fermé que ça ! Ça faisait un souterrain, tout ça, pour traverser ! Parce que là, apparemment c'est moins fermé qu'avant… »’

07:00. Berges.

Moins fermé ?

‘« Oui, plus ouvert que ce qui existait avant et il n'y a pas... il y a des oiseaux d'ailleurs, il n'y a pas la même sensation ! En plus, avant, je ne sais pas si vous connaissiez ? »’

Oui !

‘« Quand on traversait, c'était plutôt un lieu de commodités ! [Rires] »’

Oui, oui, tout a fait !

‘« Ça ne sentait pas très bon ! Là, il n'y a pas cette sensation…’ ‘On est sur les berges du Rhône ! »’

Comment vous savez ça ?

‘« Parce qu'il y a un grand espace et il y a des oiseaux…’ ‘Et puis il y a du vent ! Et puis les bruits sont assourdis ! On sent qu'on est en bas des quais. »’

On est en bas des quais ?

‘« Oui ! Parce que la circulation est en haut ! Et à mon avis, on ne doit pas être loin des berges du Rhône ! »’

D'accord !

‘« Alors, est-ce que j'entends clapoter l'eau, les petits poissons ? »’

Ah ! Vous entendez les poissons ?

[Rires] Vous n'entendez pas les poissons, vous ?’ ‘Ah ! Un bateau ! »’

08:00. Berges.

‘«  Là sur la droite, il y a une péniche ! Ce n'est pas un bateau ça ?’ ‘Je n'en sais rien ce que c'est ! C'est un train ? »’

Non, c'est un petit camion de nettoyage.

‘« Ils nettoient les berges, ils ramassent les poubelles ? »’

Exactement !

‘« Donc, là, on est sur les berges finalement ! »’

Si vous le dites !

‘« Ben, oui ! [Rires] »’

Pour le moment, vous vous sentez comment ?

‘« Je vais vous dire un truc. Là, vous êtes avec moi, mais...’ ‘Pour l'instant, je n'ai pas de repère physique mis à part que c'est du béton que j'ai sous les pieds ou je ne sais pas trop ce que c'est ! Donc, c'est le genre d'endroit où j'aime bien... oui mais… quand je ne suis pas tout seul ! Tout seul, je préfère avoir de la terre sous les pieds ! »’

De la terre ?

‘« Voilà encore un moteur… Donc, ici pour le moment, je n'ai aucun repère !’ ‘En plus, vous ne dites pas les choses qu'on... »’

09:00. Berges.

On en parlera sur le deuxième passage.

‘« Vous ne dites pas vraiment où je suis… Alors là, on va encore descendre ? On se prépare à... Et comment voulez-vous que je me repère avec un truc comme ça ! [Rires] Il faudrait que je chronomètre le temps que je fais. Aucun repère physique à la canne ! Ça va être coton après ! »’

Allez, on reprend des escaliers.

‘« Donc, on remonte… on va remonter à la surface !’ ‘Tiens, là, il y a un peu de terre. Ça fait plus à la campagne. »’

09:55. Berges.

Ça fait plus campagne ici ?

‘« Non… pas vraiment. Là où je suis vraiment à l'aise, c'est quand il y a des allées comme ça, qui sont bordées de pelouses, avec des arbres, un petit peu de terre par terre. Même si c'est un petit peu goudronné ! Mais quand il y a un grand espace comme celui qu’on vient de traverser où il n'y a aucun repère à gauche et à droite, eh bien ce n'est pas très facile.’ ‘Alors là, on arrive à un endroit qui est bruyant ! »’

Alors, on a un feu sonore… [Tintement du feu sonore]

‘« Oui, oui ! Il est beau ! [Rires] ’ ‘Oui, là, on l'entend ! Donc, on peut y aller ! »’

On peut y aller ?

‘« Quand on entend ding, on peut y aller ! Je suis d'accord. Mais celui-là est plus précis et les autres là-bas, sur la place, ils étaient un peu légers ! »’

Au niveau du volume ?

‘« Peut-être, c'était la distance ! »’

10:55. Rue.

Ah, la distance...

‘« Non, et puis même je n'arrivais pas à me le mettre dans l'oreille ! Je ne le sentais pas à gauche ! Et c'est vrai qu'il était à gauche finalement, de notre marche, sur la place, non ? Pas vraiment en face… C'est ça qui est perturbant ! Quand on a la rue à droite et que un feu est à gauche !’ ‘Là de nouveau une rue et du bruit ! »’

C'est notre matinée aujourd'hui ! Il y a des camions qui passent…

‘« Oui, oui, c'est bien ! »’

Elle est comment cette rue ?

‘« Elle est droite ! Elle est pavée… Non, même pas.’ ‘Elle est peut-être plus étroite ! »’

Plus étroite ?

‘« Peut-être, peut-être ! Mais elle est pareille, elle n'est pas très passante… Elle n'est pas très passante, je ne saurais pas trop dire. Elle roule dans un sens déjà ! Je ne sais pas si elle roule dans les deux ? »’

12:05. Rue.

‘« Alors, maintenant, il y a plus de circulation ! [Bruit du tram au loin] Tiens, on arrive vers le tram ! On est où ? Rue de Marseille ! Hein, c'est rue de Marseille ? »’

Et ce genre de rue, vous aimez bien ?

‘« Non ! Non, non, c'est des rues qui sont anonymes… Pour moi, elles sont anonymes. Il n'y a pas de magasins, il n'y a pas de cafés ! Pour moi, il n'y a pas de vie dans cette rue ! »’

D'accord !

‘« C'est ce que je ressens… »’

C'est ce que vous ressentez ?

‘« Alors bon, c'est lundi matin aussi ! »’

Oui, ça joue aussi [Rires]

‘« Oui, et puis il y a peut-être des magasins qui sont fermés ? Sûrement, même !’ ‘Et puis... Des rues que j'aime bien à Lyon ? Il n'y en a pas beaucoup. »’

13:00. Rue.

Ah ?

‘« Non, pas trop ! Alors, le samedi après-midi, rue de la République, il ne faut pas trop m'en parler ! »’

On tourne à gauche !

‘« Là, c'est de nouveau un peu plus large ! Ça doit être encore un... À mon avis, on doit longer le tram, là ! »’

Comment vous savez qu'on longe le tram ?

‘« Eh bien, justement c'est plus large ! »’

Oui ?

‘« Et il faut bien qu'il passe quelque part ! Tout à l'heure je l'ai entendu, il n'était pas dans notre rue ! Donc, il ne peut être que perpendiculaire et comme on a fait un angle droit ! »’

Effectivement.

‘« Donc, physiquement… normalement on devrait longer le tram !’ ‘Le tram est juste à ma droite, là ! À mon avis, hein… »’

13:55. Rue.

Comment est-elle cette rue ?

‘« Oh, ben, c'est des trottoirs d'un mètre cinquante au moins…’ ‘Enfin, je pense ! Oui, on n'est pas loin du mur à gauche. Et on ne doit pas être loin du bord du tram, là à droite ? »’

D'accord !

« On arrive vers le cours de la Liberté, c'est exact ? »

Oui !

‘« C'est donc assez large quand même le trottoir-là…’ ‘C'est vers les Vieux Campeur ! On est passé devant le bistrot Le Mistral ? »’

Oui !

‘« Oui, ben là, je connais là ! »’

Et là, on va tourner à gauche pour notre dernière rue.

‘« Là, c'est une rue étroite ! »’

C'est une rue étroite ?

‘« Oui ! »’

Et qu'est-ce qui vous fait dire ça ?

‘« Ben, l'atmosphère ! Déjà, il n'y a plus d'air pratiquement qui arrive !’ ‘Et puis la résonnance des bruits ! »’

15:00. Ruelle B.

D'accord ! Et vous tapez votre canne pour ça ?

‘« Oui ! Mais en général, je n'aime pas trop faire du bruit avec la canne. En général, quand je balaie avec la canne, je fais des petits... [Frank fait un petit choc au sol avec la canne] Oui, des fois pour savoir... un petit coup comme ça pour savoir si c'est couvert, si c'est un.... Ça donne des indices un peu sonores. Mais ce n'est quand même pas... ce n'est pas forcément très pertinent !’ ‘Là, on vient de sortir de cette petite rue… et on arrive dans un espace un peu plus large ! »’

Plus large ?

‘« Mais toujours un petit peu pareil ! L'atmosphère et puis déjà, il y avait un camion qui trafiquait un petit peu à gauche !’ ‘Ou c'est un élargissement ? D'ailleurs, là aussi les bruits sont assez... On les entend un petit peu... On est à un carrefour d'ailleurs, non ? »’

16:00. Ruelle B.

Oui, c’est notre dernier carrefour ! On arrive dans une rue qui s'appelle Jean Larrivé, donc…

‘« Donc, c'est l'arrivée ! C'est magnifique ! »’

Qu'est-ce que vous avez pensé de ce trajet ?

‘« Je pense que tout seul, ça ne doit pas être évident ! »’

Pas évident tout seul ?

‘« Non, non ! Il ne doit pas y avoir trop de... si, à part le fait qu'il n'y a pas trop de piétons... il n'y a pas de piétons sur les trottoirs... eh ben, il y a ... comment dirai-je ?’ ‘On ne s'éclate pas trop ! Disons que c'est une promenade assez difficile parce qu'il y a des traversées, il y a des escaliers… Il y a beaucoup d'escaliers ! Il y a de grands espaces. Enfin l'espace entre les deux... quand on était en bas sur les berges, qui n'est pas forcément difficile à appréhender une fois qu'on connaît un petit peu les limites, je veux dire, à gauche et à droite ! Mais de but en blanc, quand on sort et qu'on descend ces escaliers et qu'on arrive sur cet espace, on marche un petit peu et on récupère les escaliers, cet espace n'est pas très sympathique ! Et le Rhône n’est pas loin ! »’

17:45. Ruelle B.

Le Rhône ?

‘« Je suppose peut-être même qu'on le voit, qu'on peut presque le tâter, le toucher tout ça ! Mais tant que je n'aurais pas mis la canne dans l'eau du Rhône, je ne saurais pas ! Ça sera un quartier pas très sympathique…’

Tant que vous ne l'aurez pas repéré ?

‘« Oui, voilà ! Tant que je ne l'aurai pas adopté !’ ‘Après, il faut avoir ses certitudes dans la locomotion ! Savoir être sûr qu'on ne va pas se perdre, faire une bêtise… »’