1.1.1.3.1 Le processus d’objectivation :

Pour Moscovici (1961) le processus d’objectivation « permet à un groupe social de rendre utilisable un objet nouveau, c'est-à-dire de résorber un excès de significations en les matérialisant » (1976). Plus simplement,il s’agit d’un processus de concrétisation de concepts, en donnant un contenu tangible à ce qui n'était initialement qu'une idée abstraite : ainsi, par exemple, la notion de solidarité, qui peut être rendue concrète en proposant des conduites (comme des actions de bénévolat ou des dons financiers) permettant de se montrer solidaire, par ses propres pratiques, d’une cause particulière. C’est donc un processus qui permet aux individus de s'approprier un concept abstrait, et d'intégrer des phénomènes ou des savoirs complexes à leurs propres conduites, pratiques, attitudes. Mais l’objectivation est aussi un travail de simplification par le langage, permettant de concrétiser des notions collectives abstraites, en faisant correspondre des choses aux mots. Ce processus permet ainsi (Séca, 2002 ; p. 62), « à un ensemble social d’édifier un savoir commun minimal sur la base duquel des échanges entre ses membres et des avis peuvent être émis ». Ces échanges, ces conversations, vont jouer un rôle essentiel dans la genèse collective des représentations sociales, mais aussi dans leur appropriation par les membres du groupe. Autrement dit, la construction des représentations passe ici par l'élaboration d'un savoir commun, au cours d'échanges verbaux interindividuels, ainsi que par une intériorisation individuelle.

Pour Abric (1994), ce processus d’objectivation peut être décomposé en trois phases successives :

  • Une phase de construction sélective et de décontextualisation des informations  qui consiste en un filtrage des informations concernant l’objet de la représentation. Les critères culturels ou normatifs, et les systèmes de valeurs du groupe social jouent ici le rôle de filtre. Une fois filtrées selon ces critères, les informations vont alors être extraites du champ contextuel auxquelles elles se rattachaient initialement, pour pouvoir être réintégrées et réappropriées par l’individu indépendamment de ce contexte d’origine.
  • Une phase de structuration d’un «  noyau figuratif  » : les informations ainsi sélectionnées et décontextualisées vont alors pouvoir être réorganisées et matérialisées sous la forme d’un « schéma imagé » ou « noyau figuratif » qui fait sens pour l’individu, et qui devient donc facilement mobilisable. Ce noyau figuratif donne la signification centrale de la représentation sociale. Il peut être défini comme un modèle « simple, concret, imagé et cohérent avec la culture et les normes sociales ambiantes » (Rouquette et Rateau, 1998 ; p. 32). C'est autour de ce noyau figuratif que se construira l'ensemble de la représentation sociale, et il permettra ainsi l’interprétation des nouveaux éléments de l’environnement en offrant un cadre de référence à partir duquel l’individu agira et communiquera.
  • Une phase de naturalisation  : « Le noyau figuratif prend alors pour le sujet un statut d’évidence, il est pour lui la réalité même, il constitue le fondement stable autour duquel va se construire l’ensemble de la représentation » (Abric, 1994, p. 21). La phase de naturalisation va permettre de concrétiser chaque élément du schéma figuratif, afin que ce noyau figuratif ne soit plus seulement une réalité abstraite élaborée par un groupe social, mais qu’il puisse prendre une valeur de réalité concrète. Selon Abric, une fois élaborée, cette « structure imageante » va servir aux individus de grille de lecture dans leurs interactions quotidiennes