1.1.3.4 Mesure des attitudes

En tant que jugement de valeur du « sujet social » vis-à-vis d’un objet, l’attitude se caractérise par un affect ou une position bipolaire (« négative » versus « positive », « favorable » versus « défavorable ») et selon une certaine valeur d’intensité, qui peut aller du totalement « pour » au totalement « contre », en s’étendant sur un continuum entre ces deux extrêmes (ce n’est pas du tout ou rien) dont le centre pourrait correspondre à un sentiment de « neutralité » ou « d’indifférence ». On peut par conséquent les ordonner sur des échelles d’attitudes, et même les mesurer de cette façon.

Parmi les méthodes classiques de mesure directe des attitudes, beaucoup reposent en effet sur des énoncés ou des questions à propos desquelles les sujets doivent donner leurs propres points de vue et se situer au moyen d’échelles de valeurs. Ces échelles de valeurs peuvent prendre la forme d’échelles de type Likert (1932), permettant ainsi aux sujets de se situer sur un continuum allant de la valeur la plus négative jusqu’au jugement le plus positif. Mais il peut aussi s’agir d’échelle d’intervalles a priori égaux (Thurstone, 1928) nécessitant généralement un travail d’étalonnage en amont auprès d’une population d’expert. On peut aussi avoir recours à des propositions de réponses simplement binaires (« oui » versus « non », « d’accord » versus « pas d’accord »), ce qui ne permet pas d’appréhender les attitudes comme un jugement continu, mais ce qui a par contre l’avantage de contraindre les sujets à se positionner de façon très tranchée, ce qui permet de contraster nettement les réponses et d’en faciliter ensuite l’analyse (même si ce choix forcé peut présenter des risques de biais).

A côté des moyens de mesure directe des attitudes, il est aussi possible de recourir à des mesures indirectes, comme les temps de réactions nécessaires aux individus pour prendre position par rapport à un jugement donné, voire par des mesures physiologiques cherchant à mesurer les émotions ressenties par les sujets (puisque les attitudes sont aussi des affects, et que les émotions ressenties peuvent changer le rythme de la fréquence cardiaque, par exemple, ou la température cutanée). Ces méthodes de mesures indirectes ont notamment été développées pour contrer les effets dits « de désidérabilité sociale » ou les stratégies « d’auto-présentation », bien connues en matière de sondage politique (les électeurs de certains partis ne déclarant pas toujours pour qui ils souhaitent voter, en fonction de l’image qu’ils pensent que cela pourrait donner d’eux-mêmes à autrui). Comme les opinions, en effet, les attitudes sont des énoncés déclarés qui peuvent parfois, dans le contexte expérimental comme dans celui des sondages, correspondre à des positions énoncées. On peut alors chercher à les mesurer à l’insu de l’individu, au moyen de telles mesures indirectes, ce qui peut parfois poser des questions d’éthique.

Pour mieux contrôler ce risque en cas de mesures directes, il est souvent nécessaire d’utiliser un ensemble d’items complémentaires, à partir desquels on pourra faire des recoupements, plutôt que de poser une seule question très explicite (du type « êtes-vous pour ou contre la peine de mort », « le respect des limitations de vitesses », ou « les sanctions automatiques en cas de non respect du code de la route»), face à laquelle l’interrogé peut facilement adopter une position différente de ce qu’il pense réellement, mais qui lui semble en revanche conforme aux principes ou aux attentes de l’enquêteur, ou de l’expérimentateur, afin de donner ainsi « une bonne image » de lui-même.

Dans le souci d’éviter ce type de biais, la méthodologie mise en place dans cette thèse pour étudier les attitudes des motocyclistes fera tout d’abord appel à un grand nombre d’items, recueillies au moyen des différentes formes d’échelles de mesures directes présentées ci-dessus (des échelles de Likert non graduées, des échelles d’intervalles et des questions binaires, ainsi qu’à un différentiateur sémantique inspiré d’Osgood), complétées par un entretien semi-dirigé.

Par ailleurs, pour mieux se prémunir des « stratégies d’auto-présentation » de la part des participants, nous avons également eu recours à un support vidéo particulièrement violent face auquel ils leur étaient difficiles de rester insensibles : le film du « Prince Noir » (que nous présenterons plus tard). L’objectif était ici de susciter des affects forts chez nos participants, rendant ainsi beaucoup plus difficile une démarche de contrôle délibéré de leur part, concernant certaines de leurs réponses. Nous verrons que cette stratégie à parfois fonctionnée au-delà de nos espérances, en suscitant des jugements extrêmement virulents de la part de certains motocyclistes, ou de certaines communautés motardes.