1.2.2.1 Un modèle fondateur de la psychologie cognitive : le modèle modal d’Atkinson et Shiffrin (1968, 1971)

Du point de vue de son architecture générale (Figure ci-après), le modèle modal repose sur 3 types de mémoires: une mémoire sensorielle (ou Registre d'Informations Sensorielles; RIS), une Mémoire à Court Terme (MCT) qui est en fait le véritable cœur du modèle, et une Mémoire à Long Terme (MLT).

Figure 3 : Architecture du système cognitif humain selon Atkinson et Shiffrin (1968)
Figure 3 : Architecture du système cognitif humain selon Atkinson et Shiffrin (1968)

Ces trois mémoires se différentient en raison des processus de traitement de l'information dont elles sont le siège (traitements sensoriels au niveau du RIS, encodage ou autorépétition au niveau de la MCT, apprentissage et oubli au niveau de la MLT), mais de façon plus manifeste encore, en fonction du temps pendant lequel l'information peut y séjourner: durée de rétention inférieure à la seconde en mémoire sensorielle (bien que cela puisse varier selon les modalités sensorielles), de quelques secondes en MCT (avec cependant la possibilité d'accroître cette durée de rétention à quelques minutes grâce au mécanisme d'autorépétition, qui consiste à se répéter mentalement un item), et potentiellement des années voire, la vie toute entière, en MLT.

Schématiquement, le fonctionnement du modèle modal est le suivant : lorsqu'un Stimulus (un son, une lumière, etc.) est présent dans l'environnement, l'organisme commence d'abord par l'enregistrer en Mémoire Sensorielle. L'information y est stockée à l'état brute (c'est-à-dire sous une forme de codage perceptif propre au registre sensoriel considéré, et qui préserve les attributs physiques des stimulations initiales) pendant quelques centaines de millisecondes (la durée peut varier selon la modalité sensorielle: de 250 ms pour la mémoire iconique à 4 secondes pour la mémoire échoïque; Fortin et Rousseau, 1989, p. 64). Si cette information mérite attention, alors le stimulus est transféré dans la Mémoire à Court Terme. Dans le cas contraire, elle se désintègre et disparaît très rapidement. Une fois en MCT, l'information peut alors faire l'objet de différents traitements cognitifs: l'autorépétition permet d'en augmenter la durée de rétention, le processus d'encodage permet son transfert en Mémoire à Long Terme, le processus de récupération permet l'activation d'autres informations contenues en MLT et leur transfert en MCT, et le processus de décision intervient dans la production et la mise en œuvre d'une réponse face au stimulus initial.

Dans le modèle modal, la MCT est définie comme une mémoire temporaire dont la capacité de stockage (l’empan mnésique) est limitée à 7 +/- 2 unités d’information. Atkinson et Shiffrin se basent ici sur les travaux de Murdock (1961), portant sur des tâches de mémorisation de listes de mots indépendants, et ayant montrés que la plupart des sujets humains ne sont capables de retenir qu’entre 5 et 9 items d’une liste de mots prononcés à voix haute (sauf s’ils utilisent des stratégies mnémoniques reposant sur une méthode d’agrégation sémantique, comme par exemple construire progressivement des phrases plutôt que de chercher à mémoriser des mots isolés). A ce niveau, le modèle repose également sur les travaux de Miller (1956) qui avait lui aussi montré que la capacité d’un sujet à réaliser certaines tâches (comme, par exemple, distinguer des stimuli entre eux, mémoriser des chiffres, ou comparer des objets) se dégradait aux alentours de 7 « chunks » (un chunk étant une unité d’information signifiante plus ou moins complexe, comme une lettre, une syllabe, un mot, un objet, etc.). En dessous de ce nombre, beaucoup de sujets réalisent facilement les tâches expérimentales, mais au-delà, leurs performances chutent considérablement. Mais Atkinson et Shiffrin se réfèrent aussi à des données cliniques et pathologiques pour justifier cette distinction entre MCT et MLT1.

Une fois en MCT, l'information y séjourne pendant une durée limitée (de l’ordre de la minute ou de quelques minutes) jusqu'à ce qu'elle soit, soit oubliée, soit transférée par encodage dans la MLT. La perte des informations en MCT peut être le résultat d'un effet de dégradation temporelle, mais aussi d'un effet d'interférence avec d'autres informations plus fraîchement intégrées, surtout si cette arrivée de nouvelles informations entraîne une saturation des capacités de stockage de la MCT (il y a dans ce cas un risque d’écrasement des anciennes informations par les nouvelles). Une fois encodée en Mémoire à Long Terme, l'information est alors mémorisée de façon durable, voire permanente. La capacité de stockage de la MLT est en effet quant à elle définie comme potentiellement illimitée, quoique l'information qui s'y trouve puisse devenir momentanément ou définitivement inaccessible (phénomène d’oubli).

Enfin, si la MLT contient l'ensemble des connaissances acquises par le sujet au cours de son existence, elle est également dotée de plusieurs mécanismes en charge d'assurer la gestion de ces informations (leur organisation, leur modifications en cas de nouvelles connaissances, leur conservation, etc.) et le recouvrement, c’est-à-dire l’activation de ces connaissances et leur transfert en MCT afin de pouvoir être utilisées pour prendre des décision et produire un Réponse en réaction au Stimulus de départ.

Notes
1.

L'étude de référence dans ce domaine est celle du patient H.M. décrit par Milner (1966). Souffrant de crises d'épilepsie, H.M. avait subi l'ablation de certaines portions du cortex temporal et de l'hippocampe. A l'issue de cette intervention, H.M. présentait une amnésie antérograde, c'est-à-dire que, bien qu'il puisse se rappeler de souvenirs antérieurs à l'opération, sa capacité à acquérir de nouveaux souvenirs était considérablement réduite. Ainsi, il n'était plus capable de se rappeler de l'endroit précis où il avait rangé des objets, de mémoriser l'adresse de ses proches ou de reconnaître de nouvelles personnes. Il s'engageait aussi fréquemment dans une conversation identique a celle qu'il venait d'avoir quelques instants plus tôt, mais dont il n'avait gardé aucun souvenir. Toutefois, son langage était intact tout autant que son quotient intellectuel. L'étude de ses capacités de rétention d'information montrait un empan mnésique tout à fait normal (de 6 à 7 items), et H.M. était parfaitement capable de se souvenir de certaines informations après un délai de plusieurs minutes à condition, cependant, qu'il puisse procéder à une autorépétition. En effet, en l'absence d'autorépétition, il perdait cette capacité de rappel. Pour Atkinson et Shiffrin (1968), ce cas pathologique confirme le modèle modal: H.M. présente une altération de la capacité à encoder de nouvelles informations en MLT tout en conservant une MCT intacte.