1.2.2.2 Critique du modèle modal

Le modèle modal d'Atkinson et Shiffrin a considérablement marqué la psychologie cognitive des années 70, et il présente encore aujourd'hui un certain intérêt. Les raisons de son succès tiennent dans sa simplicité et dans sa clarté. Mais elles résultent aussi et surtout, comme nous l’avons souligné, dans son aptitude à rendre compte de nombreux résultats expérimentaux et cliniques de la psychologie dont ce modèle cherche à proposer une synthèse, plus particulièrement en ce qui concerne l'existence d'une structure de stockage transitoire de l'information - la Mémoire à Court Terme - qui se différencie nettement de la Mémoire à Long Terme, d’un côté, et de la Mémoire Sensorielle, de l’autre côté. Il constitue ainsi l’une des premières approches véritablement intégrée du système cognitif humain dans son ensemble, en se situant dans le cadre particulier de la théorie du traitement de l’information.

Toutefois, même s’il reste encore aujourd’hui une première approximation intéressante du système cognitif humain, ce modèle va rapidement faire l'objet de critiques. Tout d’abord, il s’agit avant tout d’un modèle très simplifié du fonctionnement cognitif tel qu’il se révèle dans le cadre du laboratoire et de tâches expérimentales avant tout consacrées à l’étude de la mémoire. Tout y est en effet essentiellement décrit en termes de « stockage » de l’information, mais presque rien n’y est dit sur les fonctions de « traitement ». Ainsi, par exemple, les seuls processus cognitifs véritablement décrits par les auteurs au niveau de la MCT se limitent à l’encodage, au maintien (l’autorépétition) et à la récupération d’information stockée dans la MLT, mais rien n’est dit sur le processus de décision, qui n’apparaît ici qu’à travers la production d’une réponse élémentaire (sous la forme d’une simple répétition de l’information dans le cadre de tâches de rappel) face à un stimulus. Dans le même esprit, la Mémoire à Long Terme est décrite comme un espace de stockage permanent, mais rien n’est dit sur son l’organisation des connaissances qu’elle contient, ni sur leur utilisation pour résoudre des problèmes ou pour réaliser des raisonnements, alors qu’il s’agit là de fonctions essentielles de la cognition humaine.

Par ailleurs, ce modèle adopte une perspective essentiellement « bottom-up » (du bas vers le haut) et séquentielle du traitement de l'information: le « Stimulus » est capté par les récepteurs sensoriels, il est ensuite enregistré et stocké dans le RIS, puis il est transféré dans la MCT, avant d'être, le cas échéant, encodé en MLT pour une mémorisation permanente. À chacune de ces étapes, l'information fait l'objet de nouveaux traitements qui ne peuvent être mis en œuvre qu'une fois que les traitements de plus bas niveaux ont été réalisés. On a donc une exécution séquentielle de ces différents processus cognitifs, qui apparaissent alors comme une succession d’étapes d'acquisition et de traitement progressif de l'information. Ce parcours ascendant et séquentiel de l'information (de la stimulation externe jusqu’aux processus cognitifs centraux) débouche, dans un second temps, sur l'élaboration d'une réponse permettant de réagir face au stimulus de départ. Ainsi, même si les auteurs proposent bien, avec ce modèle modal d’ouvrir la « boîte noire », ce modèle reste finalement très imprégné de la logique « Stimulus => Réponse » des béhaviouristes.

Cependant, cette vision linéaire du traitement de l'information est très simplificatrice, dès qu’on sort du cadre réducteur des expérimentations de laboratoire. Ainsi, dans la vie quotidienne, la prise d'information est souvent déterminée par l’activité en cours. La perception est un processus actif. Certaines informations, bien que très prégnantes sur le plan perceptif, peuvent être négligées par les sujets, tandis que d'autres, de moindre intensité mais plus pertinentes ou prévisibles en raison du contexte et des connaissances du sujet, seront attendues, activement recherchées et donc détectées de façon privilégiée, rapidement identifiées, facilement interprétées. De toute évidence, prise et le traitement de l'information sont autant dirigés par les concepts que dirigés par les données, et des processus de haut niveau sont bien souvent déjà actifs pour préparer la perception avant même l’étape de détection, au point de l'influencer voire, de la déterminer totalement. Le modèle modal s'avère bien pauvre pour décrire le fonctionnement cognitif à ce niveau.

Les années 80, avec le développement des travaux consacrés à l'étude de raisonnements naturels et complexes, vont permettre le développement de modèles plus réalistes de la mémoire à court terme et de son fonctionnement. Peu à peu, on va alors parler de « Mémoire de Travail » (MDT) plutôt que de MCT pour définir cette structure mnésique qui joue un rôle essentiel dans le traitement cognitif des informations (et notamment dans l’élaboration de représentations mentales occurrentes), et pas seulement dans leur stockage transitoire.