1.2.3.1 Caractéristiques de l’activité de conduite

Conduire un véhicule, c'est effectuer un déplacement dans un environnement en perpétuelle évolution. Ce déplacement est orienté vers un but (comme rallier un lieu particulier), il est soumis à différentes règles explicites ou implicites, et il s'effectue au moyen d'un outil particulier, le véhicule (une voiture, une moto, un camion). Cette activité suppose de prendre connaissance des états de l'environnement afin de maintenir le véhicule dans une trajectoire et à une vitesse compatible avec les exigences du système et les critères de sécurité que se fixe le conducteur (Têtard, 1987). Le caractère dynamique de la situation contraint le conducteur à s'adapter en permanence à son environnement. Cet ajustement permanent, soumis aux contraintes temporelles inhérentes au déplacement du véhicule comme à celui des autres usagers de la route (les autres véhicules, les piétons, etc.), fait de la conduite une tâche particulièrement complexe. Toutefois, la complexité de cette tâche pourra varier en fonction du contexte. En effet, comme le rappelle Bellet (1998, p87) « la conduite sur autoroute par faible trafic ne requiert de la part du sujet qu'une activité de contrôle du véhicule, activité à dominante sensori-motrice. En revanche, le franchissement d'une intersection, lieu privilégié d'interactions entre usagers, est une activité à forte dominante cognitive : le conducteur prélève de l'information, détermine son importance, en fait une interprétation, émet un jugement sur l'issue des interactions avec les autres usagers, prend des décisions, planifie et exécute les actions qu'il estime nécessaires sur les commandes (volant, pédales, etc.) afin de modifier ou non la trajectoire et / ou la vitesse de son véhicule ».

Une autre caractéristique de la conduite est qu’elle peut être pratiquée par tout un chacun, et généralement après seulement quelques heures de formation. Qui plus est, comme le souligne Saad (1987), la tâche prescrite y est particulièrement sommaire puisqu'elle se limite à la réglementation du code de la route. L'existence d'une prescription des tâches que l'on trouve dans le domaine des activités professionnelles par la définition formelle des objectifs à atteindre, des moyens à mettre en œuvre, et des contraintes à respecter, est quasiment absente dans le domaine routier. Ni la formation à la conduite, ni le code de la route (qui relève dans les faits plutôt du code pénal), ne définissent de façon opérationnelle les modalités d'ajustement aux diverses situations rencontrées par le conducteur dans le cadre de son activité (Van Elslande et Luber, 1990). En d'autres termes, la conduite automobile est une activité qui, en dépit des risques qu'elle comporte, s'apprend essentiellement par une pratique individuelle, et sans que ne s'exerce de contrôle continu quant à la validité de cet apprentissage. C'est ce savoir-faire empirique (susceptible d'être erroné) et propre à chacun qui servira de « norme de référence » au sujet lors de la réalisation de sa tâche. Ceci est vrai pour les procédures de réalisation des actions de conduite (comme réaliser un dépassement, franchir une intersection ou négocier un virage) comme pour les procédures de recueil et de traitement de l'information: comme le souligne Neboit (1980), « le conducteur utilise essentiellement des informations implicites, les informations explicites données par la signalisation n'ayant le plus souvent que valeur d'indication ou d'obligation et une fonction de régulation sociale souvent ambiguë ». Cette faible structuration de l’activité de conduite vient aussi du fait de la diversité des situations que l’on peut rencontrer dans le contexte routier. Comme le soulignent Van Elslande et Luber (1990, p. 4), « l'inventaire de toutes les tâches nécessaires à la réalisation d'un déplacement et la définition de toutes les réponses adéquates à toutes les situations possibles relève de la gageure ». Les conséquences de cette absence de définition formelle de la tâche impliquent non seulement, pour le conducteur, d'acquérir par lui-même une structuration de référence, mais aussi et surtout, dans la mesure où l'ensemble des situations qu'il aura pu rencontrer par le passé ne couvrira jamais l'ensemble des situations possibles dans la réalité, de forte capacité d'adaptation, voire d'improvisation.

Enfin, conduire un véhicule nécessite de savoir gérer ses propres ressources pour satisfaire au mieux les contraintes de la situation. Comme le rappelle Bellet (1998 ; p91) « l'une des caractéristiques de l'humain réside dans ses limites en termes de ressources attentionnelles. Il va donc devoir gérer ce capital en fonction des exigences ponctuelles de la tâche et des activités cognitives dont elle requiert la mise en œuvre, tout en tenant compte de contraintes locales (agir dans le temps imparti pour faire face à la situation du moment, respect du code de la route) ou globales (comme l’heure d'arrivée), et des moyens dont il dispose pour ce faire (ce qu’il sait, d'une part, de ses propres capacités et, d'autre part, des caractéristiques de son véhicule). La pression temporelle va également intervenir sur l'activité. Les effets de la contrainte de temps se feront sentir à différents niveaux. Au niveau perceptif, elle impose au conducteur d'être plus sélectif dans sa recherche d'information de manière à réduire d'autant les temps de prélèvement et de traitement. Sur le plan des processus cognitifs, il y a nécessité d'agir dans un temps limité ce qui n'est pas sans incidence sur la complexité et la nature (niveau de contrôle) des processus mentaux (l’anticipation, la prise de décision, la conduite de raisonnements, la planification de l’action) susceptibles d'être mis en œuvre. Enfin, la tâche de conduite s'inscrit dans une perspective de prise de risque permanent. Elle repose généralement sur des estimations et des prévisions d'événements potentiels, bien plus que sur des certitudes. D'une façon laconique, conduire un véhicule, c'est prendre des décisions et agir dans l'incertitude. La chose est vraie pour d'autres activités humaines, mais elle est toutefois une caractéristique essentielle de la conduite ».