1.2.3.2 Les processus de prise d’information lors de la conduite de véhicule 

Comme toute activité dynamique soumise à une forte pression temporelle, la prise d'information occupe une place privilégiée dans la tâche de conduite. Cette prise d'information n'est pas effectuée au hasard. Elle est finalisée par les objectifs que poursuit le conducteur à cet instant. Elle dépend aussi largement de ses expériences antérieures, acquises par la pratique. Par exemple, Neboit (1980) a montré que le prélèvement de l'information visuelle dans l'environnement routier se fondait sur des schémas de balayages oculaires relativement stéréotypés pour un même sujet et dans un contexte déterminé, mais fortement variables en fonction de l'expérience de conduite. Ainsi, pour réaliser le dépassement d'un véhicule arrêté, l'effet de l'expérience sur les stratégies visuelles se traduit à la fois par des changements dans l'importance relative des sources d'information (par exemple, variation du nombre de fixations sur la chaussée) et par des changements des modes de consultation de ces sources d'information (comme l’augmentation de la durée moyenne des fixations oculaires sur le véhicule mobile venant en face). Notons également ici que les stratégies d'exploration visuelle et de prise d'informations perceptives sont aussi sujettes à variation en fonction de l'âge (Pauzié, 1995) ou de l'état physiologique (fatigue, alcoolémie) du conducteur.

Synthétiquement, 2 modes d'acquisition complémentaires de l’information dans l'environnement peuvent se présenter (la conduite suppose d’alterner ces deux modes):

Hugues et Cole (1986) parlent à ce sujet de « conspicuity »: la « search conspicuity » correspond à une recherche consciente et active de l'objet; « l'attention conspicuity » correspond à une intrusion de l'objet dans le champ perceptif, sans qu'il n'y ait eu une réelle attente préalable de la part du conducteur.

Ce problème du prélèvement de l'information a été particulièrement bien étudié par Neboit (1978, 1980) qui a proposé un modèle général des activités perceptivo-cognitives de l'humain en situation de conduite (figure ci-dessous). L'auteur y distingue notamment l'exploration perceptive, l'identification, la prévision et la décision.

Figure 7 : Prise et traitement de l’information durant la conduite (Neboit, 1978)
Figure 7 : Prise et traitement de l’information durant la conduite (Neboit, 1978)

Pour Neboit (1978) « L'exploration perceptive correspond à l'ensemble des procédures utilisées par le conducteur pour recueillir les indices nécessaires à l'exécution de la tâche de conduite. L'identification consiste à reconnaître un indice, c'est-à-dire à le rapporter à une classe d'événements. Le mécanisme de reconnaissance perceptive, c'est-à-dire finalement de classification d'indices, joue à des niveaux extrêmement différents, depuis la simple réaction à un indice (par conditionnement) jusqu'au groupement de traits pertinents en classes. Au fur et à mesure que l'expérience s'accroît au contact de situations de conduites variées, le conducteur utilise moins d'indices et se limite aux indices les plus pertinents. En même temps, les catégories d'événements possibles deviennent de plus en plus nombreuses, et la classification devient plus fine. La prévision consiste à anticiper des événements futurs et des actions potentielles à partir des indices effectivement perçus, et en utilisant des règles de transformation qui permettent de passer des indices perçus à la représentation de l'état futur (possible) du système ». Le processus de décision est diffus et il inclue, selon Neboit, la plupart des processus présentés ci-dessus (exploration, identification et prévision). Il faut en effet comprendre ici par décision l'ensemble du processus de sélection et de choix, c'est-à-dire les mécanismes de prélèvement d'information associés aux mécanismes de prévision (liés aux hypothèses du conducteur) et non seulement l'action finale engagée par le conducteur. En d'autres termes, le processus de décision intervient dans la génération de l'action, mais celle-ci n'en est que le résultat sous une forme comportementale.

Neboit (1980) insiste également sur le rapport qui existe entre les connaissances et les représentations disponibles en mémoire (elles-mêmes influencées par les attitudes), d'une part, et les comportements de conduite, d'autre part. En effet, comme toute activité dynamique impliquant des comportements adaptatifs, les représentations mentales des situations dans lesquelles se trouve impliqué le conducteur vont jouer un rôle déterminant dans la sélection d'un comportement adapté aux conditions de conduite externes. Avec l'expérience, le conducteur acquiert des compétences concernant le milieu routier et les règles qui régissent l'utilisation de l'espace en interaction avec les autres usagers. Ces connaissances vont permettre au conducteur, à partir d'indices prélevés dans l'environnement, d’élaborer une représentation de la situation de conduite. Cette représentation va ensuite lui permettre de définir les actions à mettre en œuvre. Par ailleurs, connaissances et représentations vont également permettre de procéder à des anticipations de nature diverses: anticipation d'événements susceptibles de se produire dans l’environnement routier, prévision de l'évolution de la situation courante, gestion prévisionnelle de cette évolution de la situation par la pré-activation de réponses possibles, etc. L’analyse détaillée de ces processus perceptifs et cognitifs est au cœur du programme de recherche COSMODRIVE conduit au LESCOT depuis 12 ans dans l’objectif de développer un modèle informatique capable de simuler sur ordinateur les activités mentales du conducteur automobile.