1.2.4.3 Distinction entre « erreurs » et « violations » : le modèle de Reason (1990)

Un dernier point que nous voudrions rapidement évoquer ici porte sur le cadre d’analyse des erreurs humaines qu’a proposé Reason (1990) à travers son modèle de l’humain défini comme une «  machine faillible ». L’approche de Reason se base directement sur les travaux de Rasmussen (1986) pour qui les comportements humains reposent sur trois niveaux de contrôle, en fonction de la familiarité de l'opérateur avec la tâche à réaliser et du type d'information rencontrée:

  1. Un fonctionnement basé sur les habiletés (Skill-based behaviour), lorsque le sujet agit dans le cadre de situations très familières et emploie des routines ou des procédures fortement automatisées (habiletés cognitives ou schémas sensori-moteurs) susceptibles de se déclencher sur la base d'un simple signal (un feu rouge, par exemple). Le degré d'automatisation des connaissances est fonction de l'expérience acquise par la pratique.
  2. Un fonctionnement basé sur les règles (Rule-based behaviour): lorsque le sujet est face à une situation plus ou moins atypique, mais non inconnue, il développe des activités de diagnostic à partir des informations prélevées dans l'environnement, et reconduit des solutions déjà connues en mémoires.
  3. Un niveau de fonctionnement basé sur les connaissances (Knowledge-based behaviour): Ce niveau de contrôle est adopté dans le cadre de situations inconnues ou nouvelles, lorsque les procédures habituelles pour réaliser la tâche s'avèrent inadéquates ou inefficaces. Le sujet devra alors définir sa tâche et planifier son action avant de pouvoir l’exécuter.

En partant du Modèle SRK (Skill-Rule-Knowledge) de Rasmussen (1986), Reason (1990) identifie trois types différents d’erreurs :

  1. Les « ratés » ou « slips » (lorsqu’il s’agit d’actes) et les « lapsus » (lorsqu’il s’agit de mots) correspondent à un dysfonctionnement au niveau des habiletés (par exemple, lorsqu’on dit un mot à la place d’un autre, ou lorsqu’on dépasse une limite de vitesse par inadvertance alors qu’on est distrait ou trop préoccupé par un problème.
  2. Les « erreurs » ou « mistakes » renvoient pour leur part à des dysfonctionnements aux niveaux Rule et Knowledge du modèle SRK de Rasmussen (1986). Ce sont les erreurs au sens le plus commun du terme, c’est-à-dire lorsqu’on se trompe dans un raisonnement (erreur de calcul mental, par exemple) ou dans une prise de décision (engager un dépassement en plein virage). L’origine de ces erreurs peut être soit recherchée au niveau du raisonnement lui-même (oublier la retenue lors d’une addition mentale), soit au niveau des connaissances sur lesquelles ce raisonnement repose (par exemple, penser qu’en Grèce, comme dans tous les autres pays du monde, tourner alternativement la tête de la gauche vers la droite signifie « non »).
  3. Les « Violations » : Une violation correspond à une transgression délibérée d’une règle imposée. En matière de conduite automobile, par exemple, cela correspond au fait de dépasser délibérément les limites de vitesses autorisées, alors que l’on connaît la vitesse légale sur le tronçon routier emprunté et les règles du code de la route.

Ce dernier type d’erreur est d’une nature radicalement différente des deux autres, au point que l’attribution du vocable « erreur » est ici très discutable (nous préférerons pour notre part conserver par la suite le terme de violation). En effet, alors que dans les deux premières catégories la nature involontaire des erreurs commises traduit parfaitement l’idée d’un dysfonctionnement au niveau perceptif ou cognitif, il n’en va pas de même pour les violations : le caractère délibéré de ces transgressions ne concerne plus, ni la perception, ni la cognition, mais il se réfère à l’existence de « normes » ou de « règles » sociales que l’humain décide de ne pas respecter, « en son âme et conscience ». Dans le cadre de cette thèse consacrée à la « Conscience du Risque » appréhendée sous l’angle des déterminants psychosociaux et cognitifs, nous prendrons donc soin de conserver cette distinction par la suite. Si les «mistakes » et les « ratés » peuvent nous éclairer sur les compétences des conducteurs (ou plus exactement sur leur manque de compétence), les « violations » renvoient pour leur part directement aux « attitudes » des individus (à l’égard d’une règle de sécurité, d’un risque ou d’une prise de risque).

Dans le domaine de la sécurité routière, les travaux de Reason ont directement influencé un questionnaire dénommé DBQ (pour Driver Behaviour Questionnaire) intégralement consacré à l’analyse des erreurs de conduite (Reason et al., 1990). Plus récemment, une version de ce questionnaire a été adaptée par Elliott et al. (2007) afin de pouvoir être utilisée auprès des motocyclistes : c’est le MRBQ (Motorcycle Rider Behaviour Questionnaire). Ce questionnaire sera décrit en détail ultérieurement.

Compte tenu de l’importance potentielle des erreurs humaines dans l’explication des accidents de deux-roues, et eu égard à la distinction que nous avons soulignée ci-dessus entre les « violations » et les « erreurs involontaires » de conduite, le MRBQ constituera l’une de nos méthodes d’investigation de la conscience du risque chez les motocyclistes.