1.2.5 Contribution du chapitre à la problématique

Ce chapitre visait tout d’abord à présenter synthétiquement le fonctionnement du système cognitif humain, conçu comme un Système naturel de Traitement de l’Information. Cela nous a permis d’insister sur le rôle des représentations mentales « occurrentes » dans la compréhension de l’environnement et pour la régulation dynamique de l’activité en cours. Nous avons également décrit la structure mnésique – la Mémoire de Travail (définie ici comme une mémoire « opérationnelle ») – qui supporte ces représentations cognitives et qui permet leurs manipulations pour conduire des raisonnements et prendre des décisions. Dans un second temps, nous nous sommes plus particulièrement intéressés à l’activité de conduite de véhicule, en présentant les mécanismes perceptifs et cognitifs qu’elle implique, puis nous avons conclu ce chapitre en abordant le problème de l’accident et celui de l’analyse des erreurs de conduite sur un plan cognitif (c’est-à-dire à partir d’un modèle qui se réfère à des défaillances dans les étapes de traitement de l’information).

Cette dimension cognitive est très importante pour notre problématique, puisqu’il s’agira – comme nous le discuterons dans les deux chapitres suivants - de s’interroger sur les capacités et sur les compétences de différentes populations motocyclistes en matière de détection des dangers sur la route (étape de « prise de conscience » cognitive du risque) et d’estimation de la criticité des en situations de conduite.

Mais l’originalité de cette thèse est aussi de chercher à combiner cette approche cognitive du risque et de la prise de risque avec les approches de la psychologie sociale sur « l’identité sociale » des groupes (la, ou les, communautés motardes, dans notre cas) et sur les « attitudes » (correspondant plus particulièrement ici aux jugements de valeurs de nos populations motocyclistes concernant « la prise de risque » au guidon) telles qu’elles ont été présentées dans le premier chapitre de la thèse.

Cette démarche qui vise à articuler psychologie cognitive et psychologie sociale est au cœur d’autres recherches, parmi lesquelles les travaux de Martin (2005) consacrés aux relations entre la « Cognition » et la « Conation », et qui sont à l’origine du modèle présenté ci-dessous :

Figure 15 : Modèle général des relations « Cognition-Conation » (Martin, 2005)
Figure 15 : Modèle général des relations « Cognition-Conation » (Martin, 2005)

Sans rentrer dans le détail de ce modèle complexe, l’idée centrale est que le sujet, confronté aux objets du monde extérieur, reçoit des stimulations qui sont tout d’abord intégrées progressivement grâce à un premier Sous-Système d’Information (1 er décodage de l’environnement) au niveau duquel la Mémoire joue un rôle important pour le maintien et le traitement des informations perçues. Les Appropriations de ces stimulations par le sujet reposent ici sur l’intervention (1) de Représentations, (2) de Désirs, (3) d’Identifications et (4) d’Imitations. Un second Sous-Système de Décision (2 nd décodage) intervient alors pour permettre la prise de décision. Ce second niveau implique l’attention (son désengagement ou au contraire son orientation vis-à-vis d’un objet particulier), et permet un processus de traitement et de maturation des stimulations (leur classement et leur hiérarchisation). Enfin, un troisième Sous-Système d’action sur les objets de l’Environnement qui intervient directement dans l’élaboration des « Conduites » du sujet.

Cette volonté de mettre en regard différentes dimensions - cognitives, conatives et affectives (ou émotionnelles) - à laquelle aspire le modèle de Martin (2005) nous paraît particulièrement intéressante et fructueuse.

A son modeste niveau, cette thèse poursuit un objectif comparable, même si notre ambition n’est pas de proposer une modèle général du sujet humain. Dans le cadre particulier de notre recherche, consacrée à la conscience du risque chez les motocyclistes, nous pourrions reformuler cette même volonté d’articuler les approches de la psychologie sociale et de la psychologie cognitive par le schéma synthétique suivant:

Figure 16 : Rôle des représentations sociales et cognitives dans la genèse de l'intention
Figure 16 : Rôle des représentations sociales et cognitives dans la genèse de l'intention

Pour réaliser cette articulation, nous partons ici de la théorie de l’action raisonnée de Fishbein et Ajzen (1975, cf. section 1.3.5.1, représentée en jaune sur la figure) qui décrit les relations entre, d’un côté, les représentations sociales (considérées ici sous la forme de croyances normatives et de normes subjectives) et les attitudes et, de l’autre côté, des intentions à l’origine du comportement des individus.

L’une des critiques que nous avions formulée dans le premier chapitre concernant cette théorie (dans sa version de 75 comme dans ses évolutions ultérieures) tenait dans le fait que, selon nous, les « intentions » du sujet ne peuvent pas être simplement vue comme la conséquence des attitudes, mais qu’elles sont aussi le résultat de processus cognitifs : la façon dont le sujet humain perçoit et se représente cognitivement la situation (c’est-à-dire la conscience qu’il en a), puis les raisonnement qu’il met en œuvre pour prendre des décisions et identifier des buts à atteindre dans le contexte du moment (c’est-à-dire, ses « intentions », maisau sens plus cognitif du terme), afin d’engager une action appropriée à ce contexte (comportement).

Cet ensemble de processus cognitifs et décisionnels, totalement absent des théories d’Ajzen et Fishbein (1975, 1991), sont en revanche au cœur du modèle COSMODRIVE (représentés en vert sur la figure 16). Nous avons par conséquent essayé de les intégrer en montrant comment ces deux approches peuvent se compléter au niveau de la production d’une « intention », respectivement dans ses dimensions attitudinales d’un côté, et cognitive de l’autre (zone bleue de recouvrement des deux modèles sur cette figure).

C’est précisément dans cette perspective d’analyse complémentaire des aspects « attitudinaux » et « cognitifs » de la « conscience du risque » que s’inscrit notre recherche. Avant de pouvoir traiter plus en profondeur de cette question, il est nécessaire de réaliser une revue de la littérature sur les notions de « risque » et de « prise de risque » en conduite. Ce sera l’objet du prochain chapitre.