1.3.2.3 Acceptation du risque et attitudes face à la prise

Dans ses travaux consacrés à l’acceptation et à la gestion des risques, Hillson (2005, 2007) propose une définition originale de l’attitude face au risque. Selon cet auteur, le risque peut être défini comme « une incertitude qui peut avoir un effet négatif ou positif sur un ou plusieurs objectifs » et la notion d’attitude est selon lui « un état d’esprit conscient, une vue mentale ou disposition vis-à-vis d’un fait ou d’un état ». Ces deux définitions combinées débouchent alors sur une définition de l’attitude face au risque  comme étant « un état conscient face à une incertitude qui peut avoir un effet positif ou négatif sur des objectifs » ou encore comme « une réponse consciente à la perception d’une incertitude significative ». Partant de cette définition, Hillson et Murray-Webster (2005) constatent alors que les attitudes face au risque peuvent s’échelonner entre le rejet systématique du risque (ce qui revient à craindre l’incertitude), sa tolérance ou son acceptation (pas de position forte et tranchée) et la recherche délibérée du risque (accueillir, voire s’exposer à l’incertitude). Ces différentes attitudes possibles face au risque peuvent être s’exprimer au niveau individuel, collectif, sociétal ou culturel

Figure 18 : Spectre d’attitudes face au risque (d’après Hillson Murray-Webster, 2005)
Figure 18 : Spectre d’attitudes face au risque (d’après Hillson Murray-Webster, 2005)

Hillson et Murray-Webster (2005) proposent alors d’apprécier les attitudes envers le risque à partir d’un spectre d’attitudes (représenté dans la figure ci-dessus) qui permet de situer les individus ou les groupes d’individus en fonction de leur niveau d’acceptation du risque. Ainsi, pour une situation donnée, les attitudes des individus (ou des groupes) peuvent être d’après ce spectre de 5 types différents, selon que ces individus sont plutôt « risk paranoid », « risk avers », « risk tolerant », « risk seeking » ou « risk addicted ». Et comme différentes attitudes peuvent engendrer des comportements différents, ces individus ou groupes d’individus pourront alors réagir variablement à cette même situation (en raison de leurs différences sous-jacentes en matière d’acceptation du risque). C’est ainsi qu’une situation considérée comme trop risquée par une personne donnée (ou par un groupe social particulier ayant une aversion au risque) pourra être considérée comme tout à fait acceptable par d’autres (tolérantes au risque), voire même recherchée par certains individus (ou groupes) aimant au contraire s’exposer au risque.

Dans le contexte particulier de la conduite automobile, cette question de l’attitude face à la prise de risque en fonction du niveau d’acceptation du risque par les individus a été étudiée par Musselwhite (2006) auprès d’une population de 1655 conducteurs. Dans cette étude, reposant sur un questionnaire, il s’est plus particulièrement intéressé au problème de la prise de risque au volant, au regard des attitudes et des motivations sociales des participants. Comme l’explique Musselwhite dans son introduction, lorsque quelqu’un s’engage dans une activité potentiellement à risque comme conduire un véhicule, c’est qu’il accepte un certain degré de risque. Toutefois, ce niveau de risque « accepté » n’est pas universel, et il peut varier selon les personnes ou les groupes d’appartenance de ces personnes. Il peut non seulement dépendre de l’expérience de conduite, de l’âge ou du sexe, mais aussi et surtout des attitudes de chacun vis-à-vis de la prise de risque. Les résultats obtenus par Musselwhite à travers cette étude confirment cette hypothèse et permettent à ce dernier de dégagé 4 profils différents de conducteurs concernant la prise de risque au volant (en termes notamment de vitesses pratiquées, de mode d’accélération ou de freinage, de stratégies de dépassement, ou de distances de suivi). À un premier niveau se différencient deux catégories de conducteurs:

Parmi cette seconde catégorie (conducteurs déclarant prendre des risques), Musselwhite (2006) identifie alors trois sous-groupes :

Ces résultats corroborent ainsi le « spectre d’attitudes face au risque » proposé par Hillson et Murray-Webster (2005). Le premier groupe est composé de conducteurs ayant une attitude très négative par rapport à la prise de risque au volant (aversion). Les deux groupes intermédiaires sont composés de conducteurs « tolérant au risque », mais dont la prise de risque dépendra du contexte situationnel et de leurs motivations du moment, ou de leur sentiment de maîtrise du risque et de la situation. Quant au dernier groupe, il est composé de conducteurs ayant une attitude positive face au risque et à la prise de risque, susceptibles de prendre des risques pour le plaisir des sensations que cela leur procure.

Cette question des attitudes de conduite en fonction de la façon dont les conducteurs se représentent le risque (du point de vue de leurs représentations sociales en matière de prise de risque au volant) a été particulièrement bien étudiée concernant le respect des limitations de vitesse. « Pour nombre d’automobilistes, décalent Delhomme et Cauzard (2000, p. 41), la vitesse élevée, qui implique souvent le dépassement des limites légales, est étroitement associée à la capacité à maîtriser la conduite en général. La vitesse élevée serait perçue comme le reflet d’habiletés à contrôler toutes les situations de conduite, y compris les plus exceptionnelles, ou à prendre des décisions opportunes en dehors des normes prescrites ». A cet égard, Rolls et Ingham (1992) ont montré que chez ce type d’automobilistes, et plus spécifiquement s’il s’agit de jeunes hommes, être capable de conduire vite était considéré comme une preuve de réelles compétences de conduite et un moyen d’évaluer ses propres capacités, ou de les montrer auprès d’autrui. Selon Gabany et al. (1997), la pratique de vitesses élevées est en effet considérée par certains conducteurs comme un moyen d’entrer en compétition avec autrui et d’exprimer sa supériorité. La transgression délibérée des limitations de vitesses peut aussi apparaître comme un moyen de se différencier des autres, voire de s’opposer aux normes et/ou à des contraintes socialement imposées.

Cette relation entre attitudes et représentations sociales d’un côté, et comportements à l’égard des limitations de vitesse de l’autre côté, est au cœur d’un article de Delhomme (1993). Comme l’explique cet auteur (p. 29) « l’attitude de l’usager envers la vitesse excessive au volant (ou croyance comportementale) est déterminée par ses croyances à propos des conséquences engendrées par les excès de vitesse (estimation du poids des conséquences que peuvent avoir des excès de vitesse pour sa conduite à partir d’une échelle allant de très probable à peu probable) et de l’évaluation de ces conséquences pour sa conduite (ces conséquences peuvent être très positives versus très négatives). Les normes subjectives dépendent de ses croyances normatives, émanant de la désapprobation de son groupe de référence (pairs, amis, parents) pour ses excès de vitesse (il est tout à fait probable versus tout à fait improbable que son groupe réprouve ses excès de vitesse) et de sa motivation à se conformer aux attentes de son groupe de référence (accorde-t-il aux opinions de son groupe un poids très faible versus très grand ?). L’influence du contrôle perçu sur ses intentions de dépasser la limitation de vitesse est déterminée par sa motivation à s’empêcher (tout à fait versus pas du tout) de dépasser la vitesse autorisée et l’influence directe du contrôle perçu sur la vitesse est associé à d’autres facteurs comportementaux : par exemple, je dépasserai la vitesse autorisée (tout à fait versus pas du tout) si j’avais des passagers et j’ai (toujours versus jamais) des passagers dans mon véhicule ». Ce que montre bien cette analyse, c’est que plusieurs niveaux d’attitudes, de normes de référence ou de croyance interviennent dans le fait de transgresser ou non certaines règles du code de la route comme les limitations de vitesse, et ces attitudes ont des effets plus ou moins directs ou indirects sur le comportement qui sera réellement mis en œuvre au volant. Delhomme (1993) explique aussi ici l’inefficacité de certaines campagnes de sécurité routière par le fait qu’elles portent sur un niveau d’attitude trop général et trop éloigné des comportements réels (respect des règles de la sécurité routière en général), alors que pour être efficaces, ces campagnes devraient plutôt insister, selon elle, sur les « intentions comportementales » (Ajzen et Fishbein 1975), c’est-à-dire sur le fait de vouloir adopter tel comportement plutôt que tel autre dans telles conditions de conduite particulières.