1.3.3 Le regard de la psychologie cognitive sur le risque et la prise de risque en conduite

1.3.3.1 La perception du danger et l’évaluation subjective du risque

Les notions de « risque » et de « danger » sont souvent assimilées dans la littérature scientifique traitant de sécurité routière. Ces termes sont tour à tour employés, sans qu’il n’y ait parfois de véritable distinction. Cependant, certains auteurs s’attardent à définir et à utiliser ces deux notions dans leur particularité propre.

Dans leurs travaux sur la « perception du danger » chez les usagers de la route, Haworth, Symmons et Kowaldo (2001, p. 3) définissent le « danger » comme « tout objet, situation, événement ou la combinaison de ceux-ci qui augmentent la possibilité que l'usager de la route subissent des dommages ». Le danger peut ainsi être un obstacle présent sur la chaussée, mais également une route glissante, le flux de circulation, les conditions météorologiques, une source de distraction, un problème mécanique sur le véhicule, ou n'importe quel autre élément critique. Un danger peut induire des dommages à sonvéhicule, un préjudice à soi-même, des dommages aux biens d'autrui, ou une blessure à une autre personne. En d’autres termes le danger peut être définit comme tout événement critique qui peut conduire à un accident.

Concernant « la perception du danger », nous trouvons plusieurs définitions plus ou moins élaborées. Mills et al. (1998), par exemple, définissent la perception du danger comme « la capacité à lire la route ». Plus précisément Borowsky, Shinar et Oron-Gilad (2010) conçoivent la perception du danger comme la capacité du conducteur à identifier des situations dangereuses ou critiques. Ils ajoutent que c’est une compétence importante qui permet au conducteur de surmonter une demande cognitive complexe imposée par la situation de conduite. Une dernière définition qui nous intéresse plus particulièrement ici, puisqu’elle se réfère à la théorie de la conscience de la situation, est proposée par Horswill et McKenna (2004). Pour ces auteurs, « la perception du danger peut être envisagée comme la conscience de la situation appliquée à des situations dangereuses ». Sagberg et Bjørnskau (2006) proposent quant à eux de séparer la notion de « perception du danger » en deux composantes : l’un est « le degré de danger perçu » associé à une situation (on pourrait aussi parler ici de risque subjectif au sens ou nous l’avons défini en 3.1.1.3.2), l’autre est « le temps de réaction associé à la détection du danger ».

Pour ce qui est du « risque », il a lui aussi fait l’objet de plusieurs définitions dans cette littérature sur la sécurité routière. Sans revenir ici sur ce concept, que nous avons du reste largement discuté en 3.1.1.3, nous évoquerons néanmoins ici quelques définitions couramment cités dans cette littérature. Ainsi, par exemple, pour Golledge et Stimson (1997, p 207) : « le risque est l’évaluation des évènements incertains, il peut être évalué sur un continuum multidimensionnel allant du tolérable à l’intolérable, de l’acceptable à l’inacceptable et du signifiant au non signifiant ». Le risque est également définit comme la possibilité d’une perte quand un danger identifié est encouru (Hunter, 2002 ; Oppe, 1988 cité par Molesworth, Wiggins et O Hare, 2006). En outre, le risque est généralement considéré par la plupart des auteurs comme inhérent à l’activité de conduite automobile, entraînant avec lui la possibilité d’avoir un accident et, comme nous l’avons également déjà souligné, il peut être redouté, toléré, ou recherché par certains.

Enfin, le concept de « perception du risque » est bien souvent employé par les auteurs qui y recourent comme synonyme de « risque subjectif » ou « d’évaluation subjective du risque » (terme que nous préférerons utiliser pour notre part). Ainsi, pour Brown et Groeger (1988 ; cités par Deery, 1999), alors qu’un risque objectif est le ratio entre la mesure de conséquences néfastes d’un évènement et la mesure de l’exposition des conditions sous lesquelles ces conséquences sont possibles, la perception du risque part le conducteur est une évaluation subjective du danger que représente ce risque objectifs. Selon ces auteurs, pour effectuer ce « jugement subjectif envers un risque objectif », le conducteur se base sur ses connaissances et sur les expériences antérieures qu’il a de ce risque. Une dernière précision intéressante concernant l’évaluation du risque est proposée par Groeger et Brown (1989). Pour ces auteurs, « le sentiment du risque subjectif est généré par l’évaluation du conducteur sur le risque objectif (estimé) associée à une situation particulière et l’évaluation du conducteur sur sa capacité à éviter ces conséquences indésirables ».

L’idée-force qui se dégage à travers ces définitions, c’est que la détection du danger ne suffit pas pour apprécier le risque. Le conducteur doit aussi se représenter le risque afin d’évaluer la nature de la menace, au regard des moyens dont il dispose pour pouvoir y échapper. L’évaluation du risque n’est donc pas une simple « perception », c’est une représentation cognitive occurrente de la criticité (ou dangerosité) associée à la situation de conduite environnante. En effet, comme le souligne Brehmer (1994, cité par Kouabenan et Cadet, p. 81) : « Parler de risque perçu de la même manière que nous parlons de longueur perçue n’a pas de sens. Au lieu de çà, nous devons parler de jugement du risque pour souligner le caractère cognitif du risque subjectif ». Afin de traiter plus en profondeur de cette question, il est nécessaire de présenter au préalable un certains nom de modèle du conducteur automobile ayant directement cherché à modéliser ce processus d’évaluation subjective du risque. Ce sera l’objet de la prochaine partie.