1.3.3.2 Modèles de l’évaluation du risque chez le conducteur automobile

1.3.3.2.1 Le modèle du risque zéro (Näätänen et Summala)

C'est à Näätänen et Summala (1974, 1976) que l'on doit l'un des tout premiers modèles consacré à l’évaluation du risque par le conducteur. Ces auteurs partent du postulat que tout conducteur a pour objectif principal de faire en sorte que le risque encouru au volant soit toujours le plus proche possible de zéro. C’est la théorie « du risque zéro ». Pour eux, lorsque le conducteur prend un risque objectif, cela est dû à une mauvaise estimation de la criticité de la situation, ou à une mauvaise évaluation des risques induits par ses comportements.

Ce modèle (figure ci-dessous) accorde une importance privilégiée aux facteurs motivationnels. Les processus cognitifs et perceptifs y sont en effet vus à travers l'influence que les Motivations exercent sur leur déroulement. Ainsi, la Perception que le conducteur aura de la Situation sera fonction de ses motivations du moment (par exemple, s'il a faim, il sera plus sensible aux publicités et aux enseignes de restaurant). Par ailleurs, le processus de perception pourra générer des Estimations et des Attentes (Expectancy) portant sur la situation actuelle ou future (situation attendue), et susceptibles d'influencer l'exploration perceptive de l'environnement (par exemple, le besoin d'essence favorisera la consultation fréquente des à-côtés de la route pour détecter la présence d'une station service). Enfin, les motivations vont aussi intervenir dans la définition des Actions désirées de manière à ce que les actions entreprises soient conformes aux objectifs que se fixe le conducteur (ne pas encourir de risque, être à l'heure à un rendez-vous, etc.). Le module Attente pourra alors générer des attentes perceptives spécifiques et des estimations relatives aux événements à venir afin d'évaluer les chances de réussite et les risques potentiellement induits par ces actions désirées. Cette évaluation permettra, en retour, de valider ou non ces actions désirées et, selon le cas, d'occasionner ou non un changement dans le comportement de conduite actuel. Cette boucle peut être vue comme un mécanisme rudimentaire d'anticipation. Le résultat de cette analyse est communiqué au module Décision afin qu'il puisse faire une sélection parmi les différentes actions possibles, tout en respectant les contraintes imposées par le Moniteur de Risque Subjectif. Dans un second temps, Les actions retenues par Décision seront transmises au module Action qui aura la charge d'en assurer la mise en œuvre. L'effet de ces actions pourra alors occasionner des modifications de la Situation de conduite, ce qui constituera un nouvel input du modèle.

Figure 19 : Modèle du « risque zéro » (Näätänen et Summala, 1974)
Figure 19 : Modèle du « risque zéro » (Näätänen et Summala, 1974)

Une autre caractéristique majeure du modèle réside dans le rôle central qu'y joue la vigilance. Cette composante doit s'entendre ici au sens de Head (1923 ; cité par Näätänen et Summala, 1974; p. 245) selon lequel « les réponses et l'adaptation aux stimuli externes sont intimement liés à l'état de vitalité de l'organisme et à son activité spontanée ». Les auteurs se réfèrent également à des études plus contemporaines de leurs travaux, dont certaines ont été réalisées dans le contexte spécifique de la conduite (Näätänen, 1970; Häkkinen, 1972). Ces dernières montrent que la vigilance intervient dans la prise et le traitement de l'information (les auteurs se réfèrent à la notion d'attention sélective) ainsi que dans la prise de décision et dans l'exécution des actions. Une situation typique occasionnant une baisse de vigilance est la conduite monotone sur autoroute.

Le fonctionnement général de ce modèle repose entièrement sur la mise en œuvre d'une procédure de calcul de risque subjectif. Ce risque subjectif correspond à l'évaluation que réalise le conducteur concernant sa probabilité d'avoir un accident ou de faire l'objet d'une sanction pénale (procès verbal). Cette procédure de calcul est à la charge d'un dispositif particulier en prise directe avec les motivations du conducteur : le Moniteur de Risque Subjectif. Ce calcul repose aussi sur l'intégration de données en provenance des modules perception et attente (Expectancy) ce qui permet non seulement d'appréhender les risques actuels, mais aussi les risques potentiels se rapportant à la situation future telle qu'elle est attendue par le sujet. Ce calcul prend par ailleurs en compte l’expérience personnelle du conducteur en rapport direct avec la situation actuelle de conduite (situations proches qu’il a déjà vécues). Les conclusions du moniteur de risque subjectif ont pour effet principal d'influencer la prise de décisions et, partant, les actions mises en œuvre. Toutefois, le risque subjectif peut également avoir un effet rétroactif sur le module Personality Experiences. Ainsi, si le conducteur se rend compte, lors de l'exécution de ses actions de conduites, qu'il avait sous-estimé le risque encouru (par exemple, virage négocié avec une vitesse trop élevée compte tenu de sa courbure), cela pourra occasionner une plus grande prudence lors de la prochaine rencontre d'une situation équivalente (lors des virages suivants). Comme nous l'avons déjà signalé, Näätänen et Summala considèrent que, la plupart du temps, le conducteur met tout en œuvre pour que le risque encouru soit le plus proche possible de zéro. S'il lui arrive cependant de prendre objectivement un risque, ce n'est généralement pas le fait d'une volonté délibérée, mais plutôt le résultat d'une mauvaise analyse des caractéristiques de la situation et / ou d'une estimation erronée des risques potentiellement induits par ses actes.