1.3.4 Contribution du chapitre à la problématique

Dans ce chapitre, nous avons essayé de mieux cerner les déterminants sociaux et cognitifs dans l’estimation du risque et dans la prise de risque au volant.

Du point de vue psychosocial, nous avons vu notamment que la prise de risque en conduite pouvait résulter d’une attitude favorable au risque, pour partie liées à l’influence que peut exercer le groupe social dont l’individu se réclamera (à travers les croyances, les jugements normatifs et les valeurs identitaires partagées par les membres du groupe en matière d’acceptation du risque et/ou de jugement positif versus négatif vis-à-vis de la prise délibérée de risque au volant, par exemple), pour partie dépendante des attitudes (favorables versus défavorable au risque), des motivations (ne pas être en retard à un rendez-vous important, par exemple) du style de conduite (plus ou moins « agressif » ou « inconscient ») et des traits de personnalités propres au sujet lui-même (son profil de « sensation seeker », par exemple).

Du point de vue cognitif, la prise de risque renvoie pour sa part à la façon dont le conducteur perçoit, évalue subjectivement le risque et se représente mentalement la criticité de la situation de conduite dans laquelle il se trouve. L’accident y est avant tous considéré comme une erreur de jugement dont l’origine peut être à recherche à différents niveaux de traitement perceptifs ou cognitifs. Ainsi, il arrive parfois que le conducteur commette des erreurs lors de ce processus complexe d’évaluation du risque. Si l’on se réfère aux différents modèles du conducteur présentés dans cette section et au modèle d’analyse des erreurs de conduite de Van Elslande (2001) présenté dans le chapitre précédent, le conducteur peut tout d’abord ne pas percevoir/détecter le danger, ou mal apprécier la menace qu’il fait effectivement peser sur lui (mauvaise prise en compte des caractéristiques de la situation ou de l’événement critique). Il peut aussi le percevoir trop tardivement, soit par ce que l’événement critique se produit brutalement à seulement quelques mètres du véhicule (on ne parlera pas d’erreur dans ce cas-là, sauf si la probabilité d’occurrence de cet événement était très forte dans ce contexte), soit parce qu’il n’avait pas su anticiper cet événement à partir d’indices précurseurs, pourtant bien présents antérieurement dans la scène (erreur d’analyse ou de pronostic). Dans ce même registre anticipatif, le conducteur peut aussi mal se représenter l’évolution dynamique de la situation et des événements, en fonction de ses propres actions, ou de celles engagées par autrui. Il peut également faire un diagnostic erroné en assimilant à tort le danger actuel avec une autre situation critique qu’il maîtrise bien, mais qui est en réalité toute autre, et qui ne nécessite par conséquent pas la même réponse. Il peut enfin se tromper sur son niveau réel de compétences et engager une réponse pour laquelle il n’a pas une maîtrisesuffisante, ou ne bien ne pas accorder suffisamment d’attention lorsqu’il réalise sa manœuvre (erreur de type raté), si bien quelle ne produira pas les effets attendus.

Pour traiter pleinement du problème du risque et de la prise de risque en situation de conduite, il nous paraît nécessaire de prendre en compte à la fois ces dimensions psychosociales et cognitives du risque, chacune contribuant à son niveau à la prise effective de risque par l’individu lorsqu’il se retrouve sur la route. C’est précisément l’ambition de cette thèse. Dans cet objectif, nous serons amenés à bâtir différents outils de mesures complémentaires permettant d’évaluer la « Conscience du Risque » sous différents aspects, mais selon un continuum méthodologique.

Sur le plan psychosocial, nous nous interrogerons notamment (au moyen d’un questionnaire construit dans cet objectif : ARTIQ) sur les attitudes respectives de motocyclistes appartenant à des communautés motardes différentes, et dont les systèmes de valeurs ou les normes collectives vis-à-vis du risque et de la prise de risque sont par conséquent susceptibles de varier (valorisation ou non du risque et de la prise de risque sur la route). A ce niveau, nous utiliserons également le questionnaire de Zuckerman (1979) sur le recherche de sensation (trait de personnalité souvent associé à la prise délibérée de risque sur la route), afin de caractérisé nos participants selon cette dimension, ainsi que le questionnaire du MRBQ basé sur la théorie de l’erreur humaine de Reason (1990) et permettant d’investiguer les erreurs de conduite involontaire et les transgressions délibérées du code de la route (violations).

Sur le plan cognitif, il nous semble opportun d’inscrire notre démarche dans le prolongement des méthodes développées au LESCOT pour étudier la « Conscience de la Situation ». Nous aurons donc recours à un protocole bâti spécifiquement dans le cadre de cette thèse (dénommé CRITIC) reposant sur de brèves séquences de scène routières dont les participants devront évaluer la criticité.

Pour mieux définir notre problématique et affiner nos outils de mesure, il est cependant nécessaire de présenter les caractéristiques de l’activité de conduite à moto et des populations motardes, ainsi que d’examiner les risques d’accidents auxquels s’exposent plus spécifiquement les motocyclistes. Ce sera l’objet du prochain chapitre.