1.4.4.1.1 Attitudes vis-à-vis du risque d’accident

Nous avons vu précédemment que les motards sont des usagers de la route particulièrement vulnérables. En effet, comme le souligne Schouppe (2009) « 5% des personnes tuées dans un accident de moto sont des motards, et seulement 5% appartiennent à une autre catégorie d’usagers. A titre de comparaison, dans les accidents de voiture, 30% des tués appartiennent aux autres catégories d’usagers, et dans les accidents de camion, ce pourcentage atteint 84% ».

Toutefois, ces données d’accidentologie ne sont pas forcément connues des motocyclistes eux-mêmes. Plusieurs recherches se sont intéressées à cette question de la perception que les motards avaient du risque d’être eux-mêmes impliqués dans un accident de moto.

Tout d’abord, Mannering et Grodsky (1994) ont montré que l’évaluation (ou la « non-perception ») du risque d’accident chez les motocyclistes pouvait être influencée par des biais cognitifs (cf. 3.3.4). Ainsi, par exemple, les motocyclistes expérimentés mais n’ayant aucun permis moto auraient tendance à se croire moins concernés (biais d’ancrage) par le risque d’accident, dans la mesure où ils n’appartiennent pas selon eux aux groupes dits « à risque » (comme les motocyclistes « novices », par exemple, ou « ceux qui roulent vite »). Mais cette tendance se retrouve également chez beaucoup de motards expérimentés âgés de plus de 40 ans. Certains motards peu expérimentés auraient aussi tendance à penser que la probabilité d’avoir un accident sur la route est faible et que leur compétence de conduite leur permettra d’y faire face, le moment venu (biais d’optimisme). En revanche, cette étude met aussi en évidence une certaine lucidité d’autres motards. Ainsi, par exemple, les motards qui déclarent rouler fréquemment au-dessus de limites légales de vitesse, ou bien encore ceux qui ont tendance à se faufiler entre les voitures ont généralement tendance à s’auto-définir comme des motards « à risque » ayant plus de chance d’avoir un accident que les autres motocyclistes.

Dans une enquête réalisée auprès de 72 motocyclistes âgés de 17 à 28 ans, Leaman et Fitch (1987) ont également montré que ces jeunes motards novices avaient tendance à sous-estimer la probabilité d’avoir un accident d’une manière générale. Par contre, les motards qui avaient perdu l’un des leurs à moto ou qui avaient déjà eu un accident de moto estimaient de manière beaucoup plus prononcée leur probabilité d’être eux-mêmes impliqués dans un accident de moto. Ces résultats ont été aussi retrouvés quelques années plus tard dans une étude menée par Chesham et al. (1992) qui montrait que le meilleur facteur prédictif du « risque perçu » chez les motards, était l’expérience que ces derniers avaient de l’accident (grave ou mortel) concernant eux-mêmes ou l’un de leurs proches (pairs, ou membres de leur famille).

Une étude allemande de Rheinberg et al. (1986), réalisée auprès de 105 motocyclistes (hommes seulement) âgés entre 18 et 55 ans et dans laquelle ces motocyclistes devaient évaluer leur propre manière de conduire à l’aide d’une gamme de questions, a permis d’identifier deux groupes de motocyclistes : ceux qui avaient un style de conduite dite «  risquée-sportive  » (motards ayant tendance à provoquer le risque), et ceux qui avaient un type de conduite dite «  défensive  » (motards qui cherchent à se préserver des risques et qui les subissent plus qu’ils ne les provoquent). Les auteurs ont conclu que le groupe de motards qui adoptaient un style de conduite « sportive-risquée » avaient tendance à donner une évaluation plus faible de la probabilité d’avoir un accident à moto en général, et estimait aussi comme faible la probabilité d’être eux-mêmes impliqués dans un accident de moto dont les conséquences pour leur santé seraient lourdes.

Plus récemment, une étude écossaise de Sexton et al. (2006) s’est intéressée aux attitudes des motocyclistes face aux risques inhérents à la pratique de la moto. 335 motocyclistes ont été interrogés à l’aide d’un questionnaire. Les résultats ont permis de faire émerger trois profils de motards :

  • Les « Risk Deniers » (n=72, soit 21,5 % de l’échantillon) : ils dénient le risque. Ils n’acceptent tout simplement pas le fait que la probabilité d'être tué dans un accident est 25 fois plus élevé à moto qu’en voiture. Ils ne s’inquiètent pas particulièrement du risque de rouler à moto bien qu'ils admettent que le motocyclisme est une activité plus risquée que la conduite automobile.
  • Les « Optimistic Accepters » (n=119, soit 35,5 %) : ils acceptent le risque avec un certain optimisme. Ils reconnaissent que la moto peut comporter un risque mais sont prêts à l’accepter. Le risque ne les inquiète pas réellement et ils considèrent que çà ne les concerne pas tellement puisqu’ils s’estiment être de « bons » motards. En somme, ils pensent avoir l’immunité car ils maîtrisent bien la moto.
  • Les « Realistic Accepters » (n=144, soit 43 %) : ils acceptent le risque avec un certain réalisme. Ils reconnaissent les risques que peut engendrer le motocyclisme et considèrent que cela peut les concerner. Ils sont conscients que leurs compétences ne les protègent pas des risques, leur auto-évaluation de leur propre risque est 2 à 3 fois plus élevée que les auto-évaluations des autres groupes.

Ce résultat n’est pas sans rappeler le « spectre des attitudes face au risque » de Hillson et Murray-Webster (2005), que nous avons discuté dans le chapitre précédent (section 3. 2.3) et qui soulignait des différences interindividuelles en matière d’attitude et d’acceptation risque, allant du rejet systématique du risque (personnes ayant une « aversion pour le risque ») à sa recherche délibérée du risque (amateurs de sensations fortes), en passant par des profils d’individus dits « tolérants au risque ».

Ces résultats rappellent également la distinction proposée par Zonabend (1989) entre deux profils extrêmes des motocyclistes : les «  kamikazes  », qui recherchent le risque pour prouver leur maîtrise, et qui sont dans une logique de défi (vis-à-vis d’eux même comme d’autrui). Et les «  rentiers  », qui font preuve de prudence et cherchent à éviter au maximum toute forme de danger. Selon cet auteur, la plupart des motards se situeraient en réalité entre ces deux bornes extrêmes, mais beaucoup pourraient aussi osciller entre ces deux pôles, en fonction des circonstances de conduite ou de leur état d’esprit du moment.