1.4.4.3 Le cas particulier des pratiques extrêmes à moto

Les pratiques extrêmes à moto, concernant plus spécifiquement les motards ayant un profil « sportif », peuvent prendre la forme de « courses sauvages » (cf. 3.2.5) ainsi que la réalisation de manœuvres acrobatiques sur route ouverte (le « Stunt »), comme par exemple effectuer une roue arrière sur la route (« Wheeling »), voire à très grande vitesse sur l’autoroute (à plus de 180 km/h dans certains cas).

Selon Oudin (2004, p. 4), « l’extrême fait fi de la prudence, augmentant la force et la prégnance de l’aléa, ce qui va permettre au motard de démontrer sa valeur par sa survie, survie prouvant la réalité de sa maîtrise dans une situation non conventionnelle. La logique de l’extrême est ainsi celle du défi à soi-même et à sa maîtrise, mais surtout celle du défi à sa capacité de survie face à l’aléa qui, en cas de succès, de survie, prouve la valeur singulière du motard, sur le mode d’un discours de l’exception ».

Une forme particulière de pratique extrême typiquement motarde sont les courses sauvages que cette communauté appelle « l’Arsouille ». Dans son Abécédaire de Motologie 19 Reuter définit cette pratique comme une «  vadrouille de la vitesse  » : « L’arsouille n'est pas une course en quête de première place ou de record de piste, mais un moment poussé et assez chaud de pilotage dans lequel toutes les capacités du pilote et les potentiels de l'engin sont sollicités au maximum ».Il arrive parfois que ce type de « course » prenne la forme de défiances plus improvisées et s’engage fortuitement, entre moto et voiture, au hasard des rencontres sur l’autoroute (entre 4 motards et une Lamborghini, par exemple20).

Figure 30 : Définition complète de l’Arsouille selon l’Abécédaire de Motologie de Reuter (1991)
Figure 30 : Définition complète de l’Arsouille selon l’Abécédaire de Motologie de Reuter (1991)

Avec le développement d’Internet, ces « performances » sont fréquemment filmées afin d’être diffusée largement sur le Web, avec non seulement la volonté de montrer sa propre maîtrise ou son audace, mais aussi avec celle de lancer des défis aux autres adeptes de ces pratiques, où qu’ils se trouvent dans le monde. A cet égard, l’un des « film mythique » souvent connu des pratiquants de « l’arsouille », et faisant encore aujourd’hui référence au point d’être l’objet de nombreux débats sur les forums de certains sites web motards, est le film du Prince Noir réalisé en 1988 par un motard roulant à plus de 190 km/h. de moyenne sur le périphérique parisien, au milieu du trafic. Nous reviendrons plus en détail sur ce film « culte » dans la section 6.2.1, puisque nous avons utilisé ce support pour étudier les attitudes des motocyclistes face au risque et à la prise de risque.

Pour les motards qui s’adonnent à « l’arsouille », il s’agit avant tout d’une forme de défiance vis-à-vis de soi-même ou de ses pairs sous la forme d’une « compétition sauvage » permettant de montrer sa maîtrise de la moto. En effet, l’enjeu y est moins la prise de risque pour elle-même (pratique purement ordalique), que la volonté de démontrer ses capacités à effectuer un geste jugé « techniquement » difficile à réaliser. C’est souvent la culture de la « maîtrise technique » issue du circuit, comme le fait de pencher fortement sa moto dans un virage, qui est valorisée ici, et qui est souvent mise en avant (à tort ou à raison) par cette communauté motarde pour expliquer sa démarche, même si ces motards sont tout à fait conscients de prendre de gros risques, et avouent par ailleurs que cela leur procure de fortes sensations qu’ils aiment à rechercher.

Dans certains cas, cette démarche peut également s’inscrire dans une volonté de défiance vis-à-vis de la société. C’est plus particulièrement le cas d’un célèbre motard suédois du nom de Ghostrider21 (qui se réclame parfois de l’héritage du Prince Noir, au point de lui avoir rendu hommage il y a quelques années en rééditant son exploit), mais qui s’inscrit pour sa part, à la différence du Prince Noir, dans une logique affirmée de défiance à l’égard des forces de l’ordre22.

Même si, comme le souligne à juste titre Oudin (2004, p.2) « la quête de l’extrême est une attitude marginale et sporadique [chez les motards], résultant d’un comportement spécifique qui n’est pas le propre des motocyclistes », il nous semble néanmoins pertinent de s’intéresser à l’extrême dans le cadre de cette thèse, en essayant d’investiguer les attitudes respectives de différentes communautés motardes à l’égard de cette pratique particulière de la moto.

Pour ce faire, nous utiliserons le film du « Prince Noir » comme support à un questionnaire spécifique défini pour mesurer les attitudes des motocyclistes face à cette forme particulière de prise de risque au guidon. Ceci dans l’objectif de savoir comment chaque communauté motarde interrogée, ainsi que les différents membres qui les composent respectivement, jugent le Prince Noir, apprécient le caractère « extrême » de sa performance, et évalue son attitude en matière de prise de risque au guidon
Notes
19.

http://www.men3.fr/lecture/e-book3.html (cliquer sur le lien « Abécédaire de Motologie »)

20.

http://www.videos-motos.com/course-sur-autoroute-avec-une-lamborghini-gallardo.html

21.

http://www.dailymotion.com/video/xjvw4_slalom-a-280km-h-sur-l-autoroute_news

22.

http://www.dailymotion.com/video/x1i16n_ghostrider-joue-avec-la-police-340k_auto