1.4.5.4 Effet combiné de l’âge et du manque d’expérience dans la prise de risque

Beaucoup de recherches se préoccupant de la sécurité routière des motocyclistes, y compris celles présentées ci-dessus, ont du mal à séparer les effets de l’inexpérience de conduite de ceux de l’âge. On sait en effet, dans le domaine de la conduite automobile comme dans les travaux sur l’adolescence, que la prise délibérée de risque est souvent beaucoup plus importantes chez les jeunes que chez leurs aînés, que ce soit par pur plaisir (à des fins de « recherche de sensations » fortes), pour affirmer son indépendance ou son identité, pour se valoriser aux yeux d’autrui et de ses pairs, ou enfin pour tester ses propres limites et acquérir de nouvelles compétences (la prise de risque pouvant jouer ici un rôle positif dans les fonctions d’apprentissage). Les travaux d’Assailly (1992, 2010), déjà discutés dans le chapitre précédent (section 3.2.2), sont particulièrement éclairants à ce sujet concernant la prise de risque chez les jeunes automobilistes. Hors il serait intéressant d'en connaître un peu plus sur ces facteurs pour distinguer lequel de l'âge ou/et de l'expérience de conduite est le plus déterminant dans le risque d’accident.

En matière de conduite automobile, les conducteurs novices sont souvent aussi très jeunes. Par contre, les recherches récentes sur la population des conducteurs de deux-roues motorisés montrent que l'âge des motards novices est parfois plus élevé que l'âge du novice automobiliste. Ceci n’est pas forcément le cas pour les populations de passionnés de moto, et notamment de motos sportives, qui bien souvent cherchent à passer le permis moto dès qu’ils ont 18 ans (parfois même avant de passer le permis voiture). Mais pour ce qui est des motocyclistes « Utilitaristes » pilotant une 125 cm3, beaucoup d’entre eux sont d’abord des conducteurs de voiture qui décident de passer au Deux-Roues « du jour au lendemain », après avoir perdu de longues heures dans les bouchons au cours de leurs déplacements Domicile-Travail. C’est typiquement ce qui s’est en région parisienne tout d’abord, puis dans les grandes agglomérations françaises (à Marseille et à Lyon, par exemple, lorsque les travaux pour l’aménagement du tramway ont rendu impossible l’utilisation de la voiture sur certains axes jusqu’ici très empruntés). Par ailleurs, pour certains adeptes de la moto, cette passion a pu être abandonnée durant quelques décennies (en raison du travail ou des responsabilité familiales ; on sait par exemple que de certains motards décident d’arrêter la moto lorsqu’ils ont une famille et des enfants), « passion de jeunesse » à laquelle ces derniers reviennent vers la cinquantaine, alors que leurs enfant ont grandis et qu’ils ont eux-mêmes plus de temps disponible pour les loisirs, et plus de moyens financiers leur permettant de s’offrir enfin la « moto de leur rêve ». Pour chacune de ces populations, la question de l’expérience de conduite, du « noviciat » et de l’âge peut se poser très différemment. Il en va très probablement de même pour leurs motivations respectives dans l’utilisation de la moto, leurs pratiques, ou pour leur niveau l’acceptation du risque, ainsi que pour ce qui concerne leur rapport au code de la route ou pour ce qui touche à la recherche de sensations. Notre thèse cherchera donc à en savoir plus à ce sujet, en s’intéressant à des profils de motocyclistes très différents.

Certaines études ont cherché à évaluer les associations entre l’âge, l’expérience et les blessures à moto. L'étude de Mullin (2000), par exemple, a montré que les motards de moins de 25 ans ont plus de chance d’avoir un accident. Un autre facteur a été mis à jour dans cette étude, en effet les auteurs ont montré que plus les motards roulent avec la même moto (10 000 km environs) moins ils ont des accidents. Dans un registre différents, Yannis et al. (2005) ont pour leur part mis en évidence que l’âge joue un rôle dominant dans les « fautes » de conduites (incluant ici autant les erreurs que les violations) et dans la sévérité d’accident, alors que la « puissance des motos » joue un rôle dans la sévérité des accidents mais pas dans les fautes commises par les motards.

Les travaux de Sexton et al. (2004), dont nous avons déjà parlé au début de cette section, ont montré qu’un motocycliste novice n’ayant qu’une seule année d'expérience de conduite à moto, a un taux d'implication dans les accidents de 0.65 s’il s’agit d’un motocycliste de 17 ans, alors que ce taux n’est plus que de 0.19, s’il s’agit d’un motocycliste novice de 60 ans. De plus, sur la base d'analyse de corrélation, cette étude montre également que l'âge, combiné avec le genre (comparaison hommes-femmes) et l'expérience de conduite, semblent directement influencer les attitudes et les comportements de prises de risque volontaires au guidon, susceptibles d’expliquer certains accidents.

Enfin, une étude taïwanaise de Chang et al. (2007) montre pour sa part que les motards jeunes (de 18 ans à 29 ans) et de sexe masculin respectent moins les règles de circulation, et ont tendance à négliger les risques potentiels à moto. Les motards étaient catégorisés selon leur sexe, la puissance de leur moto (les mobylettes de moins de 50cc et les motos légères de moins de 250cc) et leur âge. Les auteurs précisent que les erreurs et les violations commises ont des répercussions plus importantes dans l'accidentologie de ces jeunes populations, qui manquent d'habiletés de conduites et d'expérience. Les auteurs préconisent un réajustement du système du permis de conduite par l'amélioration de la qualité de la formation de la conduite à moto.

A l'heure actuelle, la recherche française en sécurité routière déplore le manque de données précises concernant l'accidentologie des motards novices adultes (Guyot, 2008). Il serait intéressant d'en connaître un peu plus sur ces facteurs pour distinguer lequel de l'âge ou/et de l'expérience de conduite est le plus déterminant dans le risque d’accident. Nous chercherons à apporter des éléments de réponse à cette question en nous intéressants notamment à des groupes de motocyclistes ayant des niveaux d’expérience différents, bien qu‘appartenant à la même classe d’âge (motocyclistes « débutants » sans aucune expérience pratique de la moto versus motocyclistes « novices » ayant plusieurs mois de permis et plus de 3000 kilomètres de pratique sur route ouverte).