1.4.5.5 Comportements, erreurs, et risque d’accident à moto : le MRBQ

En 2002, à la demande des pouvoirs publics britanniques, une équipe de chercheurs a mené une vaste étude auprès des motocyclistes pour tenter de connaître leurs comportements et d'expliquer leur taux excessivement élevé d'accident à cette époque (en 2004, le Royaume-Uni a compté 6 281 morts et 24 300 blessés). Le cahier des charges de cette étude s'est fixé alors deux objectifs: explorer les différents types de comportements des motocyclistes (en particuliers les erreurs de conduite et les violations du code de la route) et évaluer l’effet de ces comportements de conduite dans l’implication des accidents de moto.

Pour répondre à ces objectifs, les Elliott et al. (2003, 2007) ont élaboré un questionnaire principalement basé sur les travaux de Reason (1987 ; cf. 2.4.3) et plus particulièrement en adaptant le questionnaire développé par ce dernier dans le cadre des ses recherches sur les conducteur de voiture (Reason et al. 1990): Driver Behaviour Questionnaire (DBQ) qui consiste en la classification des comportements de conduites dits « anormaux » selon deux types : les erreurs et les violations. Reason et al. (1990) ont définis les violations comme « des écarts délibérés des pratiques que le conducteur estime nécessaire pour maintenir sa sécurité dans un système potentiellement dangereux » et les erreurs comme « la déviation involontaire d'action des intentions où le comportement n'est pas conforme à ce qui était prévu ». Les travaux de Reason et al. (1990) et le DBQ avaient remporté un vif succès dans les années 90 dans l'étude des accidents de conducteurs de voiture, notamment en termes de prévisions de l'implication des conducteurs dans les accidents de la route. En effet, ce questionnaire a démontré de manière convaincante que les conducteurs qui avaient des scores élevés aux items relatifs aux « violations » étaient statistiquement plus susceptibles d'avoir été impliqués dans des accidents de la route dans le passé et dans le futur (Parker et al., 1995a et 1995b).

Compte tenu de la différence entre une voiture et une moto, le DBQ a été redéfinit par Elliott et al. (2003) pour être appliqués aux motocyclistes. Pour mener à bien la conception du questionnaire renommé ainsi le MRBQ (Motorcycle Riding Behaviour Questionnaire), les chercheurs ont sélectionné les items du DBQ et ont formulé d'autres items spécifiques à la moto, notamment avec l'aide de motocyclistes par le biais d'un groupe de discussion. Au final, 43 items ont été sélectionnés et le MRBQ a été mis à l'essai au moyen d'une enquête pilote auprès de 1 000 motocyclistes dans le but d'affiner et d'ajuster le questionnaire. Les motocyclistes devaient répondre aux questionnaires par l'intermédiaire d'une échelle de Likert en six points (allant de « jamais » à « presque toujours ») pour indiquer à quelle fréquence ils ont adopté chaque comportement à moto sur les douze derniers mois. Les participants devaient également préciser le nombre d'accidents de moto dans lesquels ils avaient été impliqués au cours de l'année écoulée. Ils devaient ensuite indiquer s'ils estimaient être à l'origine de l'accident. Les données démographiques étaient également recueillies: les enquêtés devaient donner leur âge, le kilométrage parcourus par an et leur expérience de conduite à moto (nombre d'années de pratique à moto, déduction faite de toutes longues interruptions de conduite à moto).

Une fois l'étude pilote achevée, le questionnaire a été distribué à un large panel de motard (Elliott et al. 2007), l'échantillon final s'élevait alors à 8 666 motocyclistes. L'âge moyen était de 43 ans, 92% d'entre eux étaient de sexe masculin, la moyenne de kilomètres parcourus était de 4 467 miles/an et le nombre d'années d'expérience à moto était de 11 ans. La majorité des motocyclistes de l’échantillon n’avait pas été impliqué dans un accident au cours des 12 derniers mois, 11% d'entre eux ont déclaré avoir été impliqués dans au moins un accident, et 6 % d’entre eux ont dit qu’ils étaient en parti responsables.

Pour répondre au premier objectif de l'étude, une analyse en composante principale a été réalisée. L'analyse factorielle a fait émerger 5 facteurs. Le facteur 1 est basé sur les « erreurs de trafic », le facteur 2 est basé sur « les comportements de vitesse », le facteur 3 regarde les « manœuvres acrobatiques », le facteur 4 concerne les « équipements de sécurité » et le facteur 5 concerne les « erreurs de contrôle ». Une fois les facteurs identifiés, les résultats ont subis une deuxième analyse à l'aide d'une analyse de la variance pour mesurer les effets des comportements de conduite dans l'implication dans un accident. Deux analyses ont été réalisées en prenant en compte les variables du MRBQ et les variables démographiques. Dans l'une, la variable dépendante utilisée était l'auto-évaluation de l'implication dans un accident et dans l'autre la variable dépendante était l'auto-évaluation de l'implication dans un accident où le motard estime être en parti responsable de son accident. Les résultats ont été fructueux.

Pour les deux types d'accidents, les moyennes de l'âge et de l'expérience où le motard a été victime d'un accident se sont révélées statistiquement significatives plus faibles que les moyennes des motards non-accidentés et dont le kilométrage était plus élevé (p<.001 dans chaque cas). De plus les motards qui ont déclarés commettre plus d'erreurs en trafic, de violations de vitesse, de manœuvres acrobatiques et des erreurs de contrôle ont été beaucoup plus souvent impliqués dans un accident. Les motards qui ont signalés avoir été impliqués dans un accident ont déclaré utiliser les équipements de sécurité plus souvent que les motards non-accidentés. Cela peut refléter que plus le kilométrage est élevé plus le risque d'être impliqué dans un accident est susceptible de se produire. A la suite de l'analyse de la variance permettant de dégager les moyennes statistiquement significatives, les Elliott et al. (2007) ont procédé à une analyse de régression pour mettre en évidence les facteurs prédictifs de l'implication dans un accident.

Un résultat très intéressant a alors été mis en exergue : d'une part, toutes les variables démographiques (âge, kilométrage et expérience) sont apparues statistiquement significatives dans la prédiction d'être impliqué dans un accident mais surtout, d’autre part, la variable « erreurs » est apparues comme étant le seul critère permettant de prédire l'implication dans un accident à moto (p<.001).

Pour le deuxième type d'accidents, correspondant aux cas où le motard estimait être à l'origine de l’accident, toutes les variables démographiques (âge, kilométrage et expérience) étaient statistiquement significatives en matière de prédiction de l'implication d'un accident où la responsabilité du motard est engagée. Encore une fois, le facteur « erreurs » est apparu significativement associé à l'implication dans un accident responsable à moto, mais également le facteur « comportement de vitesse ».

Pour des conducteurs de voiture, les recherches avaient montré que c’était les « violations », et non pas les « erreurs », qui étaient le plus fortement associées aux accidents. Une explication de cette différence moto-voiture pourrait être recherchée dans le fait que la conduite d'une moto est plus exigeante que celle d'une voiture. Ainsi, les motocyclistes auraient plus de probabilité de commettre des erreurs à moto que l'automobiliste en voiture. Etant donné la dynamique et l'absence de carrosserie d'une moto, l'erreur à moto est « moins pardonnante » et est donc susceptible d'avoir des conséquences plus graves en cas de chute. Il semble bien plus facile pour un automobiliste de récupérer une erreur sans pour autant perdre le contrôle de son véhicule. Cependant le rétablissement d'une erreur à moto est potentiellement plus difficile notamment à cause de l'instabilité relative d'un véhicule à deux roues comparé à un véhicule à quatre roues. Les auteurs ont donc montré que les erreurs telles qu’appréhendées par le MRBQ étaient les principaux facteurs comportementaux prédictifs dans l'implication dans un accident. Fort de ce résultat, ils préconiser une amélioration de la formation des motards et, sur un second plan, de sensibiliser les motards quant aux risques de violations de vitesse et aux conséquences plus graves en cas de chute que cela pouvait occasionner.

Compte tenu de ces résultats obtenus par Elliott et al. (2007) au Royaume-Uni et de l’intérêt du MRBQ (Motorcycle Riding Behaviour Questionnaire) pour appréhender le risque d’accident à moto (à travers différentes formes « d’erreurs ») tout autant que les attitudes des motocyclistes (à travers les « violations ») à l’égard de certains risques ou de certaines pratiques de conduite (comme transgresser les limitations de vitesse ou faire des acrobaties sur la route), ce questionnaire constituera l’un des outils de notre protocole.