1.5 Problématique et hypothèses

1.5.1 La problématique de recherche

Dans le premier chapitre de cette thèse, nous avons discuté puis articulé entre elles les notions de représentations sociales (croyances et normes collectives partagées par une société ou un groupe d’individus), de groupe sociaux (partageant ces mêmes systèmes de valeurs et normes collectives), d’ identité (modèle d’identification permettant de se définir soi-même et de catégoriser autrui) et d’ attitudes (jugements de valeur propre au sujet, mais socialement influencés, vis-à-vis d’un objet particulier). Dans un second temps, nous avons présenté les théories d’Ajzen et Fishbein (1975, 1991) soutenant que les attitudes produisent des intentions, qui à leur tour déterminent les comportements de l’individu.

Dans le second chapitre, nous avons présenté et discuté un certain nombre de théories cognitives permettant de mieux comprendre comment un sujet humain perçoit et traite de l’information pour prendre des décisions et mettre en œuvre des comportements . Au cœur de cette approche cognitive se trouvent les représentations mentales occurrentes de l’environnement, que le sujet élabore dans sa Mémoire de Travail. Ces représentations cognitives ne sont pas des copies du monde, mais des modèles mentaux plus ou moins déformés du réel, en fonction de la tâche en cours (Richard, 1990). Ensuite, nous avons montré à travers le modèle COSMODRIVE (Bellet et al., 2007) comment ces processus étaient mis en œuvre dans le contexte particulier de l’activité de conduite d’un véhicule. Dans ce modèle, les représentations occurrentes correspondent à la Conscience de la Situation (Endsley, 1995 ; Bailly, 2004) dans laquelle le conducteur évolue. Elles correspondent donc à la façon dont le conducteur comprend la situation et elles jouent à ce titre un rôle déterminant dans ses prises de décision et ses intentions comportementales .

A l’issue de ces deux premiers chapitres, nous avons proposé une articulation entre ces deux approches (cf. 2.5), provenant respectivement de la psychologie sociale et de la psychologie cognitive, au moyen de la figure 16 reproduite ci-dessous. Il nous semble en effet nécessaire de prendre en compte à la fois (1) les déterminants psychosociologiques (croyances, normes collectives et attitudes) et (2) les déterminants cognitifs (perception, représentations occurrentes / Conscience de la Situation, prise de décisions) pour mieux prédire les intentions du sujet, et au-delà, les comportements humains. Le recouvrement de ces deux approches est symbolisé par la couleur bleu sur la figure (correspondant au mélange du jaune et du vert). Cela revient donc à soutenir que les intentions comportementales ont une composante Attitudinale et une composante Cognitiv e.

Figure 32 : Rôle des représentations sociales et cognitives dans la genèse de l’intention
Figure 32 : Rôle des représentations sociales et cognitives dans la genèse de l’intention

Dans le troisième chapitre, nous nous sommes intéressés aux notions de « Risque » et de « Prise de Risque » dans le contexte routier. Après avoir distingué le risque objectif (tel qu’il peut être mesuré par un expert observant la situation « de l’extérieur ») et le risque subjectif (correspondant à la façon dont le conducteur perçoit le danger et évalue le risque « de l’intérieur », c’est-à-dire à partir de son propre point de vue de conducteur engagé dans la situation), nous avons défini la notion de «  prise de risque au volant » comme le fait d’opter, parmi différentes options possibles, pour un comportement qui présente un risque d’accident plus élevé qu’une option alternative (Girard, 1967). Nous avons ensuite présenté les différentes fonctions du risque (Assailly, 1992) permettant d’expliquer la prise de risque en conduite (gain d’autonomie, de prestige vis-à-vis des pairs, source de plaisir, ordalie, exutoire d’agressivité, ou gain pratique). Puis nous avons présenté différentes recherches consacrées aux attitudes des individus face au risque et à la prise de risque . Cela nous a notamment permis de montrer qu’il y avait un «  spectre d’attitudes » face au risque (Hillson et Murray-Webster, 2005), allant de l’aversion au risque jusqu’à la recherche délibérée du risque. Chaque individu se situe sur ce spectre, en fonction de son propre profil en matière d’acceptation du risque ainsi que selon ses traits de personnalité. Parmi les traits de personnalité identifiés dans la littérature comme influençant directement la prise de risque en conduite se trouve la recherche de sensations, pour laquelle Zuckerman (1979) a défini un outil de mesure sous la forme d’un questionnaire (le SSS  : Sensation Seeking Scale). Chez certains conducteurs, en effet, la prise délibérée de risque peut être une source de plaisir, notamment dans le cadre de pratiques extrêmes de la conduite (en voiture comme à moto). Dans la mesure où notre recherche s’intéresse aux attitudes des motocyclistes face au risque et de la prise de risque au guidon, nous intégrerons le SSS dans notre méthodologie . Dans ce troisième chapitre nous avons également montré comment les valeurs normatives du groupe social auquel appartiennent les individus pouvaient influencer leurs propres attitudes individuelles vis-à-vis du risque ou de la prise de risque sur la route.

Du point de vue cognitif, ce troisième chapitre nous a permis d’aborder ensuite la prise de risque sous l’angle de la perception et de l’évaluation subjective du risque . Après avoir présenté différents modèles du conducteur ayant cherché à décrire ces processus d’estimation du risque dans la prise de décision du conducteur, nous avons essayé de situer notre propre approche de la « Conscience du Risque » dans la continuité de la « Conscience de la Situation » telle qu’elle est définie dans le modèle COSMODRIVE. Dans ce cadre particulier, la Conscience du Risque correspond tout d’abord à une étape de détection du danger correspondant à la prise de conscience, par le conducteur, que la situation de conduite dans laquelle il évolue est soudain devenue critique. Cette étape plus perceptive est suivie d’une étape cognitive (c’est-à-dire reposant sur les représentations mentales occurrentes) au cours de laquelle le conducteur évalue subjectivement le risque d’accident et juge ainsi de la criticité de la situation .

Enfin, le quatrième chapitre nous a permis de présenter un certains nombre de caractéristiques et de spécificités de la conduite d’un Deux-Roues Motorisé. Nous y avons également présenté des données d’ accidentologie , particulièrement préoccupantes, justifiant ainsi les recherches actuelles sur les motocyclistes et le risque routier. Ce chapitre nous a également permis d’entrer de plain-pied dans notre problématique de recherche sur la «  Conscience du Risque chez les motocyclistes » , dans ses dimensions attitudinales d’un côté, et cognitives de l’autre.

Du point de vue des déterminants psychosociologiques de la prise de risque au guidon , ce chapitre nous a en effet permis de montrer que « LA » population des motocyclistes - correspondant à une catégorie particulière « d’usagers de la route » - n’était pas du tout homogène, mais qu’elle était en réalité constituée de différents « groupes », ou « communautés » motocyclistes ayant des rapports potentiellement très différents au risque routier ou à la prise de risque sur la route. Cela constituera un premier pôle de « questions de recherche » sur lesquelles nous nous sommes interrogés dans cette thèse, à travers nos expérimentations.

Du point de vue des déterminants cognitifs de la prise de risque au guidon , nous avons tout d’abord abordé la question des compétences de conduite nécessaires pour piloter une Deux-Roues Motorisés, puis nous avons proposé un «  modèle cadre  » pour l’analyse de la conscience cognitive du risque chez les motocyclistes. Ce modèle cadre nous servira de guide dans l’élaboration de nos hypothèses de recherche. Dans un second temps, nous avons montré combien les compétences acquises par l’expérience de conduite à moto étaient importantes pour permettre une détection efficace du danger et une évaluation pertinente des risques d’accidents, afin de pouvoir réagir adéquatement lors de la survenue d’un événement critique sur la route. Plusieurs recherches présentées dans ce chapitre ont en effet montré que le manque d’expérience était un facteur de risque d’accident . Toutefois, beaucoup de ces travaux reposent sur des données d’enquêtes d’accidentologie, et peu de résultats expérimentaux sont disponibles concernant les processus perceptifs et cognitifs mis en œuvre par le motocycliste pour détecter le danger et évaluer le risque en situation de conduite . Cela constituera le second pôle de nos « questions de recherche » sur lesquelles nous allons nous interroger à présent.