1.5.2 Les questions de recherche

1.5.2.1 Les questions de recherches concernant les déterminants psychosociologiques de la prise de risque au guidon

La question centrale que nous nous poserons dans cette thèse est la suivante : Les attitudes face aux risques et à la prise de risque au guidon sont-elles ou ne sont-elles pas dépendantes du « groupe » ou de la « communauté motarde » à laquelle appartient le motocycliste ?

Pour traiter de cette question, il est cependant nécessaire d’en traiter une seconde : si l’on peut affirmer qu’il existe bien différents « profils de motocyclistes » (en termes de type de motos et de permis possédés, de pratiques de conduite ou de motifs d’utilisation de la moto, par exemple), et donc différentes catégories de conducteurs de Deux-Roues Motorisés, la question est toutefois de savoir si ces différentes communautés forment des «  groupes sociaux » différents, au sens où ce concept a été défini dans le premier chapitre de la thèse ?

Si tel est bien le cas, ces différentes communautés ne devraient pas avoir la même « identité motarde » et les membres qui les composent devraient avoir un « modèle d’identification motocycliste » différent, selon qu’ils appartiennent à une communauté ou à une autre. En outre, ils ne devraient pas partager les mêmes valeurs normatives en matière de conduite à moto, notamment en matière d’attitudes face au risque et à la prise de risque au guidon (on reboucle ici sur notre première question).

Pour traiter de ces deux questions et bâtir nos hypothèses de recherche, il est nécessaire d’identifier au préalable un certain nombre de «  populations cibles  » sur lesquelles se focalisera notre investigation.

Compte tenu de leur intérêt pour la vitesse et pour les motos puissantes, mais également en raison de l’image qu’ils véhiculent parfois dans la société lorsque certains d’entre eux s’adonnent aux pratiques extrêmes en termes d’acrobatie ou de vitesse sur la route (l’Arsouille, cf. 4.4.4), suscitant alors des jugements négatifs de la part des autres usagers de la route comme des pouvoir publics (qui les stigmatisent parfois comme des « fous de vitesse »), nous avons tout d’abord décidé de centrer notre recherche sur la communauté des motards « Sportifs » . L’un des critères de sélection que nous avons utilisés pour recruter nos participants appartenant à cette catégorie, outre le fait qu’il soient expérimentés, est le fait de posséder un type particulier de moto parmi une liste de modèles typiquement sportifs (proches des motos de compétition utilisées sur circuit).

Par contraste avec cette première population, et compte tenu de nos objectifs de recherche en matière de représentations sociales (valeurs motardes communautaires et normes de référence, identités collectives et attitudes sur la route), il était nécessaire de s’intéresser à d’autres profils très contrastés par rapport à ce premier groupe. Dans cet objectif, nous avons donc identifié deux autres populations de motocyclistes expérimentés nous paraissant potentiellement adhérer à des valeurs différentes, tout en étant cependant de grands utilisateurs de moto tout au long de l’année.

Le premier groupe est composé de « l’Autre » communauté motarde de référence à laquelle la plupart des gens pensent lorsqu’on prononce le mot « motard » : les «  Bikers  ». Pour ce groupe aussi, un critère essentiel de sélection que nous avons utilisé pour recruter nos participants a été le modèle de moto : une Harley Davidson de grosse cylindrée. Pour cette communauté, en effet, la détention d’une moto de cette marque est à la base du processus de reconnaissance par les pairs (au point que l’on ne peut prétendre être un vrai « biker » sans une Harley). Avec la mythologie des Hells Angels en toile de fond, cette communauté véhicule parfois l’image d’une attitude rebelle à l’égard des lois et de la société. Cependant, les rassemblements actuels, surtout lorsqu’ils ont lieu en France, ont une image plus positive (cela serait sans doute différent dans d’autre pays, comme au Canada par exemple, dans la mesure où ces motos sont là-bas utilisées par certains gangs criminels).

La seconde population qui s’inscrira dans notre thèse en contraste des deux premières est une famille de motocyclistes qui s’est considérablement développées dans les grandes agglomérations au cours des deux dernières décennies : les «  Utilitaristes  ». Nous utilisons ici ce vocable pour les qualifier, car il rend très bien compte de leurs motivations pour l’utilisation d’un Deux-Roues Motorisés. Pour cette population, en effet, ce mode de transport est avant tout considéré comme un moyen efficace de se rendre au travail en dépit des encombrements de circulation. Le choix de cette population dans le cadre de notre thèse se justifie par différentes raisons. Tout d’abord, compte tenu de ces différences motivationnelles, ce groupe ne devrait pas avoir le même système de valeurs que les deux groupes précédents concernant « l’identité motarde », ni le même rapport d’identification à « l’objet moto » (qui est très marqué pour les autres communautés). Par ailleurs, comme nous l’avons souligné précédemment, ce groupe augmente chaque jour sur la route tout en étant paradoxalement très mal connu des spécialistes de la sécurité routière, dans la mesure où très peu de recherches lui ont été jusqu’ici consacrées. Enfin, et cela constituera notre principal critère de sélection pour cette population, il est composé en grande partie de conducteurs de Scooters 125 cm 3 n’ayant pas le permis A, puisqu’il est possible de conduire ce type de Deux-Roues avec le seul permis voiture.

Nous reviendrons plus tard sur ces trois populations de motocyclistes et sur les hypothèses de recherche que nous pouvons faire les concernant, en matière de « d’attitude face au risque et à la de prise de risque » au guidon.

Pour traiter de ces questions de recherche nous avons développé un outil spécifique, le questionnaire ARTIQ (Attitudes toward Risk TakIng Questionnaire), pour partie basé sur le film du Prince Noir (cf. 4.4.4). Dans mesure où le Prince Noir appartient à la communauté des Sportifs (en raison du modèle de sa moto et de sa passion pour la vitesse), nos participants « sportifs » devraient plus spontanément s’identifier à lui (voire se reconnaître dans certaines de ses pratiques ou attitudes), par contraste avec les membres des autres communautés motardes, se référant pour leur part à un modèle identitaire potentiellement différent. Ce sera l’objet de nos investigations.