4.1.1.3 Attitudes concernant certaines « pratiques à risque » (hors vitesse et stunt)

Les 17 items ARTIQ considérés dans cette section se rapportaient à des « pratiques à risque », ou pour le moins non autorisées par le code de la route (comme franchir une ligne blanche, couper un zébra, emprunter les voies de bus ou rouler sur le trottoir). Nous n’avions pas posé d’hypothèse initiale à ce sujet, car peu de données de la littérature étaient disponibles pour pouvoir les étayer sérieusement. Il s’agissait en revanche ici pour nous de savoir quels motocyclistes y avaient le plus fréquemment recours, dans le cadre de ses pratiques habituelles de conduite. Les résultats obtenus sont synthétisés dans le tableau ci-dessous.

Tout d’abord (dimension attitudinale), en matière d’acceptation de ces « pratiques à risque » (caractère tolérable versus non tolérable), il apparaît que 5 d’entre elles (franchir la ligne blanche, un zébra, remonter une file, utiliser des voies réservée et dépasser la vitesse autorisée) sont bien tolérées par la majorité des motocyclistes de notre échantillons (entre 50% et 100% d’acceptation). A l’inverse, faire une roue arrière n’est acceptable que pour les profils sportif (ce qui rejoint la discussion précédente sur les acrobaties au guidon), mais résultat plus intéressant, le fait de dépasser un véhicule part la droite et de rouler sur le trottoir sont proportionnellement des beaucoup mieux acceptées par les utilitaristes que par les autres groupes (même si nous n’observons pas ici de différence significatives).

Tableau 56 : Rappel des principaux résultats obtenus avec ARTIQ pour cette dimension
  Utilitaristes Bikers Sportifs Novices Débutants χ²
  Les résultats exprimés en % correspondent aux proportions de réponses « OUI  »  
30. Franchir la ligne blanche (tolérable) 58% 67% 83% 75% 67% ns
31. Le faites-vous ? 67% 67% 100% 100% 83% ns
32. Franchir un zébra (tolérable) 92% 67% 67% 75% 58% ns
33. Le faites-vous 92% 33% 25% 42% 17% S
34. Coller près une ambulance (tolérable) 8% 8% 33% 17% 8% ns
35. Le faites-vous ? 25% 0% 0% 0% 0% S
36. Rouler sur trottoir (tolérable) 42% 25% 17% 17% 25% ns
37. Le faites-vous ? 92% 25% 0% 25% 25% S
38. Dépasser par la droite (tolérable) 75% 42% 42% 50% 42% ns
39. Le faites-vous ? 100% 42% 100% 33% 100% S
40. Remonter une file (tolérable) 75% 83% 67% 75% 58% ns
41. Le faites-vous ? 100% 100% 75% 58% 8% S
42. Utiliser les voies réservées 85% 75% 50% 67% 58% ns
43. Le faites-vous ? 92% 75% 100% 0% 0% S
44. Faire une roue arrière (tolérable) 25% 17% 58% 75% 67% S
45. Le faites-vous ? 8% 0% 17% 75% 25% S
46. Conduire en allant plus vite que la vitesse autorisée quand le contexte le permet 92% 92% 83% 92% 67% ns
47. Le faites-vous ? 100% 100% 100% 100% 92% ns

Pour ce qui concerne la réalisation effective (dimension comportementale) de ces manœuvres, plusieurs résultats révélateurs apparaissent également. Tout d’abord, certaines pratiques semblent partagées par tous les groupes de motocyclistes. C’est notamment les cas pour « le franchissement des lignes blanches », « remonter les files », « utiliser les voies réservées », et « conduire en allant plus vite que la vitesse autorisée quand le contexte le permet ». Cependant, au-delà de ces pratiques collectivement partagées par l’ensemble des Deux-Roues Motorisés, d’autres semblent en revanche plus typiques de certaines population. Ainsi, outre la question de la « roue arrière » dont nous avons déjà discuté, les Sportifs et les Utilitaristes déclarent fréquemment dépasser des véhicules par la droite, à la différence des Bikers et des Novices qui sont peu nombreux à déclarer faire cette manœuvre.

Mais les spécificités qui méritent d’être plus particulièrement soulignées ici concernent les pratiques significativement différentes des Utilitaristes par rapport aux autres groupes de motocyclistes. Trois d’entre elles se dégagent plus particulièrement ici: les utilitaristes déclarent plus fréquemment que les autres familles de motocyclistes (1) franchir les zébras (92%), (2) rouler sur le trottoir (92% contre 25% au maximum chez les autres groupes) voire, pour 25% d’entre eux, (3) « coller de près une ambulance » et ceci alors que seulement 8% d’entre eux jugent cette attitude tolérable. On voit poindre à travers ce dernier exemple très révélateur le caractère « opportunistes » des Utilitaristes qui avait déjà été souligné par Van Elslande et al. (2008). En outre, il s’agit là du seul exemple de transgression délibérée que nous ayons ici pour lequel nous observons une valeur de « pratique déclarée » (25%) supérieure à la valeur « d’acceptation » (8%). Ainsi, il semblerait que certains Utilitaristes soient susceptibles de mettre en œuvre « par pur opportunisme » une manœuvre qu’ils réprouvent cependant par ailleurs, sur le plan attitudinal.

Ces résultats sont riches d’enseignement car il permettent non seulement d’identifier des « pratiques à risques » partagées et admises par l’ensemble des motocyclistes, ce qui peut être une connaissance importante dans une but de prévention des risques d’accident au guidon, mais aussi et surtout parce qu’ils permettent aussi de souligner, au-delà du problème particulier du « stunt » et de la « vitesse » au guidon déjà largement évoquée dans la littérature, tout un ensemble de pratiques illégales et potentiellement dangereuses plus spécifiques de la population des Utilitaristes. A cet égard, certaines données que nous avons collectées lors de nos entretiens semi-directif sont aussi très révélatrices, à l’image des propos de certains Utilitaristes (présentés dans la section 7.5.1) qui reflètent une opinion assez bien partagée par cette communauté : « les accidents de moto, çà peut arriver, à moi comme aux autres, mais bon, moi, je fais attention et je roule calme. En plus, çà fait 2 ans que je roule tous les jours, je pense qu’il y a plus de risque pour ceux qui roulent comme des fous sur la route avec des grosses motos » ou bien encore : « Moi, je pense plutôt que je suis plus prudent que beaucoup d’autres qui vont plus vite, et puis comme je ne vais pas vite avec mon 125, on me voit arriver si je double par la droite », ou encore : « je me mets sur les voies réservées pour ne pas rester immobile entre les voitures, c’est un gage de sécurité ».

Ce sentiment de sécurité qu’éprouve (probablement à tort) certains motocyclistes Utilitaristes en recourant à des pratiques qui leur sont propres (rendant alors leurs comportement sur la route plus imprévisibles pour les autres usagers), voire cette impression « d’immunité » qu’éprouvent une partie d’entre eux (biais d’ancrage, cf. 7.5.1) et dont semble attester ici certains de leurs propos (par exemple, le fait de ne pas se sentir concerner par un danger dès lors que l’on appartient pas aux « groupes à risque », comme celui « des motard qui roulent vite ») laissent entrevoir chez cette population une moindre conscience du risque objectif associé à certaines manœuvres (à la différence sur ce point des Sportifs qui sont pour leur part pleinement conscients des risques qu’ils prennent lorsqu’ils roulent à grande vitesse ou réalisent des acrobaties).