4.1.3.4 L’identité motarde des « Utilitaristes »

Concernant les réponses au questionnaire ARTIQ, notre groupe d’Utilitaristes se démarque très nettement de tous nos autres groupes de motards. Ainsi, seulement 25% d’entre eux se déclarent « motard dans l’âme » (contre 100% des Bikers et des Sportifs, 83 % des Novices). Ils ne semblent pas avoir non plus de modèle identitaire « Motocycliste » spécifiquement marqué et socialement revendiqué. Ils se décriraient souvent plus comme des « automobilistes à deux-roues » que des « motocyclistes ». Cette spécificité des Utilitaristes par rapport à nos autres groupes s’observe ici pour plusieurs items, comme le fait d’appartenir à des clubs de motards (17%) ou de s’intéresser aux compétitions sportives à moto (seulement 8%) . Les Utilitaristes s’affirment donc comme étant la population de notre échantillon qui se réclame le moins d’une « identité motarde », par contraste très marqué avec l’ensemble des autres groupes. On comprend mieux ici l’indifférence de cette population que nous avions soulignée dans la section précédente, à l’égard du fait que le Prince Noir puisse « ternir l’image de motards ». A tout bien considérer, pour la majorité d’entre eux, cette « image-là » ne les concerne pas. Si les « Vrais Motards » disent d’eux qu’ils n’en sont pas ; ils le leur rendent finalement bien ici.

Au cours des entretiens semi-directifs , les Utilitaristes confirment qu’ils n’estiment pas, dans leur grande majorité, faire partie de la communauté motarde. Le deux-roues est seulement pour eux un moyen pratique pour les déplacements en ville car il leur est plus facile de se garer et de se dégager des encombrements (« Je ne prends pas de plaisir à rouler en deux-roues en ville, à la rigueur pour me parker et quand je peux doubler » ou encore « je suis passé au scooter car je passais trop de temps dans les bouchons et j’avais un problème d’amendes à répétition »). Leur pratique de la moto apparaît comme un moyen de transport plus qu’un mode de vie « ce n’est pas la moto qui fait le motard, moi j’ai juste un scooter et çà s’arrête là ! ». Ils n’appartiennent pas non plus à des réseaux motocyclistes particuliers et pratiquent le Deux-Roues dans une optique purement individuelle (ce qui a rendu leur recrutement pour nos expérimentations beaucoup plus difficile que pour les autres groupes). On notera cependant chez certains d’entre eux, et notamment parmi le 25% qui se sont déclarés « motards dans l’âme » au niveau de l’item ARTIQ, une identité sociale que l’on pourrait qualifier ici de « naissante ». C’est volonté « d’existence en tant que motocycliste », sinon d’affirmation d’une réelle identité motarde, peut parfois s’exprimer à l’égard des autres groupes motards ( « quand l’hiver arrive, ils nous saluent. Parce que là, ils voient que nous aussi, on est des motards »), mais c’est bien plus fréquemment vis-à-vis des automobilistes qu’elle semble s’affirmer. Lorsqu’on roule, nous on déclaré plusieurs d’entre eux avec une certaine colère dans la voie, « on ne nous voit pas ! ». Ainsi, cette identité sociale « naissante », si elle existe bien, serait plus à définir comme un sentiment d’appartenance au groupe des « Usagers Vulnérables », plutôt que comme un groupe particulier de « Motards ». A cet égard, on peut aussi souligner que les Utilitaristes n’expriment pas de jugements stéréotypés négatifs vis-à-vis des autres groupes de motards qu’ils définissent simplement comme « ceux qui ont le permis A et qui sont passionnés de moto » (ce qu’ils ne sont pas). Ils ne font pas non plus de distinction particulière entre un motard amateur de motos Sportives, de Harley, ou d’autres types de moto (« il y a deux types de motards:  ceux qui vont tomber, et ceux qui sont tombés ! »).

Au regard de tout ce qui précède, nous pouvons donc infirmer notre hypothèse initiale concernant l’existence d’une communauté de « Motards Utilitariste », constituée comme un « groupe social » distinct des autres groupes de motocyclistes. Il n’y a pas parmi cette population un sentiment d’appartenance à une « groupe motocycliste » particulier (si ce n’est le sentiment que tous le Deux-Roues Motorisés sont des usagers vulnérables), et la majorité d’entre eux ont une conception très individuelle, voire individualiste, de la motocyclette.