1. Une Politisation a-politique :

La Trajectoire paradoxale du romantisme allemand :

Dans un premier temps, tant que continuent de primer les perspectives individuelles, la « révolution poétique » s’accompagne d’une forme de politisation abstraite. Le romantisme allemand est un bon exemple de ce type de politisation ambiguë. Dans leurs premières années, on le sait, les frères Schlegel, Novalis ou Hölderlin prennent le parti du républicanisme avec enthousiasme. Pour F. Schlegel, par exemple, « il doit y avoir un Etat, et celui-ci doit être républicain. Les Etats républicains ont une valeur absolue en ce qu’ils tendent vers un but juste et totalement nécessaire »1457. Il envisage ce modèle politique sous l’angle idéal d’une adéquation parfaite entre le représentant (gouvernement) et le représenté (peuple), d’une « qualité extensive et intensive de la communauté, de la liberté et de l’égalité réellement atteintes » ou encore de l’achèvement universel de « l’impératif politique »1458 susceptible d’instaurer une paix perpétuelle sur terre. Dès lors, assez logiquement, lui et ses amis s’enthousiasment pour la Révolution Française, dans un premier temps en tout cas. Ils saluent en elle l’avènement d’une société nouvelle, plus fraternelle et plus juste. Certes, face au spectacle de la Terreur, leur vision quelque peu idyllique des évènements en France cède place à la déception. Pourtant, jusque dans les dernières années du XVIIIème siècle, ils continuent de célébrer la Révolution de 1789 comme la partie politique d’une révolution globale. Dans les fragments de l’Athenaeum, F. Schlegel annonce ainsi que « la Révolution Française, la doctrine de la science de Fichte et le Meister de Goethe sont les grandes tendances de l’époque »1459. Une tendance parmi d’autres, donc… L’échec de cette révolution qu’entérine la Terreur serait le symptôme d’une incomplétude de son programme. Il témoignerait de l’emprise néfaste de la bourgeoisie et de son idéologie sur son mouvement et de son manque consécutif d’une dimension spirituelle. En d’autres termes, pour eux, il s’agit d’achever la Révolution en adjoignant la force du mythe et de la « révolution poétique » à sa réussite sociale.

Très concrètement, cependant, un tel discours ne s’accompagne guère d’un activisme conséquent. Tout le discours politique des romantiques se limite à de vagues considérations idéalistes. De la République idéale, le propos évolue bientôt vers celui, plus abstrait, d’une oligarchie des poètes et de l’avènement d’un nouvel âge d’or. La critique de la trivialité du monde bourgeois, et de cette « fausse » vie qu’il instaure, s’amenuise au profit de discours abstraits, tel celui de Novalis sur le travail des mineurs1460, sans réussir à acquérir une véritable portée sociale pertinente. Après la mort de Frédérique II, en novembre 1797, Novalis, qui apprécie le nouveau couple royal, défend l’alliance paradoxale d’une démocratie et d’une monarchie afin de réaliser un accord parfait entre l’Un (le roi) et le multiple (le peuple). L’évolution de certaines figures essentielles du mouvement au XIXème siècle aggrave cette inflexion du discours politique. F. Schlegel développe un discours de plus en plus conservateur, empreint de catholicisme et de fidélité aux puissants de ce monde. En d’autres termes, le romantisme allemand suit la courbe inverse de son équivalent français : tandis que ce dernier passe du monarchisme au socialisme, ce premier passe de la révolution à la réaction.

Notes
1457.

La Forme poétique du monde, op. cit., p.667

1458.

ibid., p.668-669

1459.

Fragment n°216 de l’Athenaeum, L’Absolu littéraire, op. cit., p.127

1460.

infra, p.315