b) Mythes de la « vraie » vie et leur puissance incitative

De façon avouée ou non, dans leur communication avec l’extérieur, les avant-gardes surréalistes ou situationnistes ont toutes misé sur le principe du qualitatif et du type de choc qu’il peut produire sur ceux qui l’observent. Afin que le rayonnement, et donc la puissance incitative, de leur expérience soit à son maximum, ils insistent pour que prévale parmi eux un accord total entre la théorie et la pratique. Pour que leur message révolutionnaire fonctionne, il faut que leur existence soit elle-même un modèle révolutionnaire. Seulement, tant que cette pratique reste du seul domaine des comportements et des gestes concrets, comment pourrait-elle rayonner au-delà du cercle des intimes et des proches ? De même, comment ce choc immédiat du qualitatif pourrait-il subsister au moment exact du geste ? Il faut bien, pour que son impact puisse s’étendre, qu’elle recourt à une forme ou une autre de mémoire et de publicité. C’est ici que la littérature retrouve sa place dans leur pratique. A la poésie comme praxis, c’est-à-dire à la poésie réalisée qui n’est plus littérature, ces poètes superposent, a posteriori, le récit littéraire de leur praxis. En procédant ainsi, ils peuvent, d’une part, réfléchir eux-mêmes leur propre pratique et, d’autre part, en étendre l’impact, à la fois au sein de leur propre époque et vis-à-vis des générations futures. Ils réactivent ainsi le schéma romantique du poète-modèle : le sujet initie lui-même une pratique qu’il réfléchit dans un récit dont la fonction est à la fois critique et incitative. D’un côté, en se réfléchissant et en mettant en scène leur propre imperfection, ces récits échappent au piège de l’idéologie et ces poètes associent leur pratique à un perpétuel effort de progression et de réflexion critique et, de l’autre, ils élèvent au rang de mythe la pratique qu’ils mettent en scène – les mémoires se déplaçant, en particulier chez Debord, de l’autobiographie au « panégyrique ». Le récit ne met pas en scène une vérité établie et une perfection enseignée à reproduire telles quelles mais il produit le mythe d’une vie de luttes, celle que chacun pourrait mener, et propose un modèle de résistance, de dépassement, de quête et de réalisation de la « vraie » vie. Tel est ce qui reste de plus vivace et de plus efficace, parmi toutes ces avant-gardes, pour tous ceux qui, comme nous, arrivent après. Avant de conclure sur la possible dynamique qui découle de ces récits, nous voudrions d’abord en étudier les modalités et les contenus à travers deux exemples privilégiés : ceux de Breton et de Debord.