3.1 La communication écrite guidée par des enjeux sociaux

Communiquer par écrit met en relation un scripteur et un destinataire pris dans des enjeux sociaux. Pour une part ces enjeux leur préexistent et sont transmis notamment par l’école mais aussi par d’autres groupes sociaux (famille, groupes d’amis, milieu professionnel). Ces enjeux, sociaux pour une autre part, se déterminent dans la relation que le scripteur et le destinataire entretiennent. Comme le rappelle Bautier (2001) dans sa revue de travaux sur les pratiques langagières et la scolarisation, les premiers travaux de sociologie du langage de Bourdieu ou de sociolinguistique de Labov visent à montrer une différenciation dans le rapport aux normes langagières selon le groupe social d’appartenance. Pour Bourdieu (1977), groupes sociaux dominés reconnaissent l’existence d’une norme dominante ; ils le vivent comme imposées par un effet de violence symbolique. Toutefois d’après le travail de Lahire cette approche en classes sociales a aujourd’hui du mal à tenir face aux multiples contextes dans lequel un sujet se trouve baigné dès lors que le chercheur adopte une position micro-sociologique, psychologique, etc. En effet il existe de multiples occasions pour les sujets de communiquer dans des sphères différentes. Il est alors difficile de postuler qu’il puisse exister une homogénéité des pratiques, des représentations, des règles au sein des mêmes catégories socio-professionnelles. Ainsi deux sujets issus a priori d’une même catégorie socio-professionnelle peuvent mobiliser des modes d’appropriation, avoir construit des normes, règles ou représentations sociales différentes.

Aussi une appropriation d’objets sociaux se trouve nécessairement individualisée car, suivant le courant théorique de Lahire (1998), l’individu est socialisé dans des domaines tellement multiples qu’il apparaît important de considérer qu’il s’approprie le monde social de manière nécessairement personnelle. L’auteur défend ce point de vue en faisant appel à la métaphore des plis qu’il explicite de la manière suivante :

‘« le pli désigne une modalité particulière d’existence du monde social : le social (et ses logiques naturelles) en sa forme incorporée, individualisée […]. L’acteur individuel est le produit de multiples opérations de plissement et la complexité des processus sociaux, des dimensions sociales des logiques sociales ect. qu’il a intériorisé. Ces dimensions, des processus ou ces logiques (ces contextures) se plient toujours de façon singulière en chaque acteur individuel, et le sociologue qui s’intéresse aux acteurs singuliers retrouve en chacun d’eux l’espace social froissé » (Lahire, 1998, p. 233).’

Bautier (2001) utilise le concept de pratique langagière pour faire état de la question de la différenciation linguistique. Au-delà de la classe sociale, le rapport au langage écrit va se construire en appui sur le niveau de compétences, pratiques et représentation du sujet.