3.2 L’institutionnalisation du français écrit par l’école

Bautier (2001) souligne la spécificité française du rapport à la langue organisé notamment par l’école. L’institutionnalisation du français en discipline scolaire a contribué à faire de la langue de l’Ecole un objet de

‘« domination symbolique […] ; constitution et maintien de la culture commune et de l’unité nationale liée à la citoyenneté langagière et linguistique, et émancipation dans l’élaboration et la maîtrise des savoirs par la langue dominante scientifique » (Bautier, 2001 : 121).’

François (1980) note que pour nombre d’enseignants la langue normée par l’écrit constitue l’unicité de la langue française, excluant de facto les variantes dialectales et populaires. Ainsi l’école organiserait un rapport à la langue répondant à une norme unique. Pour Balibar et Collinot, rapportés par Bautier (2001), le mémoire de Condorcet, l’institution du français comme accès à la citoyenneté et son institution en discipline scolaire à l’école primaire ont fait de la langue écrite et sa syntaxe une référence des usages scolaires et légitimes de la langue. René Balibar rapporté par Bautier (2001) parle alors d’un Français fictif.

D’autre part comme le montre Lahire (1993, 1997), à l’école primaire le langage écrit n’est pas enseigné de prime abord comme un outil de communication mais comme un objet suivant des règles.

‘« Comme le disait Lev Semenovitch Vygotski, l’école force à pratiquer consciemment, volontairement et systématiquement ce qui est plus ou moins pratiqué non-consciemment, non-volontairement et non-systématiquement […]. L’école, à travers les multiples pratiques langagières orales qui trouvent leur finalité et leur sens dans des formes sociales scripturales, décale et décolle le sujet parlant de sa propre « parole » ». (Lahire, 1993 : 88). ’

Il s’agirait à l’école primaire de traiter le langage comme un objet étudiable d’un point de vue linguistique. Ainsi la dimension communicative de l’écrit est reléguée en arrière plan lors de l’enseignement. L’univers scolaire du français constitué de disciplines comme la grammaire, l’orthographe, la conjugaison ou encore le vocabulaire organise une activité réflexive et de mise à distance du langage. Contrairement à l’apprentissage de la parole, il s’agit sur l’Ecrit de travailler sur un niveau métalinguistique et non sur la dimension communicationnelle. Ainsi l’élève apprend à se conformer à un ordre linguistique. L’opposition entre la vie ordinaire et l’école s’accentue :

‘« En ce sens, les exercices scolaires considérés nécessitent chez l’élève un rapport au langage et au monde très particulier, que l’on peut définir avec P. Bourdieu comme une attitude du comprendre pour comprendre opposé au comprendre pour agir, supposant la « neutralisation des fonctions inscrites dans l’usage ordinaire du langage » (Bourdieu, 1980 : 53), en précisant toutefois qu’il n’existe pas d’usage ordinaire du langage mais des usages sociaux différenciés du langage. Le rapport scripturale-scolaire au langage est le rapport caractéristique d’une forme sociale particulière » (Lahire, 1993 : 137). ’

Pour pouvoir faire entrer les élèves dans le code écrit l’enseignant va le découper afin de les amener à en saisir son organisation et les règles qui la sous-tendent. Il va alors proposer différents exercices. Ces différents exercices amènent l’élève à analyser la langue et peuvent le conduire à ne considérer qu’un aspect linguistique, généralement un aspect orthographique. Entrer dans l’Ecrit constitue une transformation du rapport au langage et au monde.

L’enseignement de l’écriture ou plus précisément de la communication écrite s’organise principalement autour de deux formes : l’expression écrite à l’école primaire puis la dissertation au lycée. Ces deux formes canoniques d’écriture scolaire seraient davantage à considérer comme l’occasion pour les élèves de mettre en œuvre les savoirs parcellaires et métalinguistiques accumulés. Dans ce type de production il ne s’agit pas d’appréhender l’acte d’écriture dans ses fonctions expressive, pragmatique cognitive ou social (Barré-De Miniac, 1996 ; Reuter, 1996).

En matière d’enseignement de la rédaction, Reuter (1996) reprend la notion de violence symbolique proposée par Bourdieu (1977). En situation de rédaction, il est demandé aux élèves de construire une communication écrite ayant pour fonction d’informer ou de distraire un destinataire fictif. Or il s’agit bien pour eux de produire une communication écrite que l’enseignant sanctionnera par une note. L’institutionnalisation du français par l’école joue un rôle dans le rapport à l’écrit et sa dimension communicative.