4.1 Approche didactique du rapport à l’écrit des jeunes fréquentant l’école

Barré-de-Miniac et Bautier proposent deux manières de modéliser le rapport à l’écrit chez les sujets fréquentant l’école. Barré de Miniac (2002) définit le rapport à l’écriture comme :

‘« l’expression [qui] désigne l’ensemble des significations construites par le scripteur à propos de l’écriture, de son apprentissage et de ses usages. Significations singulières pour les unes, partagées par le groupe social pour d’autres, le groupe culturel pour d’autres encore. L’ensemble étant de toutes manières retravaillé, réorganisé par un sujet unique, ce que désigne la singulier de l’expression rapport à » (Barré-de-Miniac, 2002 :29).’

Cette approche permet de se décentrer des seuls processus cognitifs pour voir quels sens le sujet donne à cet objet. L’auteur montre que l’appropriation de l’Ecrit à l’école n’est pas qu’une affaire d’incorporation d’un français parfait et de ses règles. D’autres facteurs vont avoir leur importance chez les jeunes apprenants. Pour cet auteur construire son rapport à l’écrit c’est donner du sens. Ce sens se construit en interaction avec des groupes. Toutes ces significations ne sont pas nécessairement individuelles même si leur organisation reste singulière.

D’autre part le rapport à l’écrit se spécifie face à une tâche d’écriture singulière. A travers des ateliers d’écriture destinés à des jeunes scolarisés en lycée professionnel, Barré-de-Miniac cherche à saisir le rapport à l’écriture dans trois types de situations : personnelles, scolaires et professionnels. Ces ateliers n’ont pas consisté à faire écrire des textes de nature personnelle, scolaire et professionnelle. Il s’est agi de demander aux élèves d’expliquer comment ils se comportaient, qu’est-ce qu’ils imaginaient s’ils devaient écrire ce type de texte. Ces ateliers ont été proposés à 4 groupes d’élèves : des élèves de 1ère STT, des élèves préparant un baccalauréat professionnel, des élèves en deuxième année de BTS et des élèves en deuxième année de classe préparatoire aux grandes écoles.

Pour les élèves de STT qu’elle soit scolaire ou personnelle, l’écriture est vécue comme une contrainte. L’aspect communicationnel de l’écriture à travers la représentation du destinataire est peu présent. A l’écriture personnelle est principalement associée une fonction expressive : il s’agit pour ces sujets d’un moyen de se dire. L’écriture professionnelle semble davantage guidée par des schémas bien définis « avec un destinataire précis, des types d’écrits précis et des sentiments adaptés aux écrits et situations envisagées » (Barré-de-Miniac, 2002 : 161).

Pour les élèves préparant un baccalauréat professionnel, il y a une coupure entre les écrits personnels d’une part et les écrits scolaire et professionnel d’autre part. « À l’écriture personnelle sont principalement associés des enjeux personnels et sociaux, des sentiments majoritairement positifs. Aux deux autres domaines sont associés des enjeux de nécessité, des sentiments majoritairement négatifs. » (Barré-de-Miniac, 2002 : 162). L’écriture personnelle reste associée à la fonction expressive mais la notion de plaisir apparaît, contrairement au groupe précédent. La dimension communicationnelle de l’écriture personnelle apparaît avec la précision des représentations des destinataires associés à des types de situations d’écriture. L’écriture scolaire est quant à elle vécue de manière négative. L’écriture professionnelle fait l’objet de peu de représentation. Le type de texte principalement associé à ce type d’écriture est la lettre de motivation.

Chez les élèves de classes préparatoires, l’écriture personnelle est fortement empreinte de la dimension communicationnelle associée à une fonction expressive et d’enjeux personnels forts. L’écriture scolaire est fortement guidée par les schémas de tâche enseigné et qu’il faut respecter. L’écriture professionnelle fait l’objet de peu de représentation : « d’une certaine manière, ils partagent la représentation commune selon laquelle l’écriture scolaire – et particulièrement son prototype qu’est la dissertation – permet d’appréhender tous les types d’écrit » (Barré-de-Miniac, 2002 : 163).

Enfin les représentations de l’écrit chez des élèves de BTS semblent plus hétérogènes et précises que celles des autres groupes et plus spécifiquement au niveau de l’écriture personnelle et de l’écriture professionnelle. L’écriture personnelle est ainsi associée à des représentations plus nuancées que les autres groupes. Elle « donne lieu à l’évocation de cadres et de sentiments variés, avec des enjeux et des stratégies correspondantes précisées » (Barré-de-Miniac, 2002 : 164). Des fonctions multiples peuvent être associées à l’écriture professionnelle en fonction du type d’écrit et des enjeux de la situation d’écriture.

A travers l’analyse des représentations de ces trois groupes, il semble que les représentations de l’écrit évoluent, deviennent plus hétérogènes et se précisent en fonction du niveau d’expertise des sujets. Les représentations associées à l’écriture scolaire semblent se cristalliser autour du sentiment de contrainte, même si les représentations des schémas de tâches des écrits scolaires se précisent. L’écriture personnelle prend peu à peu une dimension communicationnelle. Les représentations associées à l’écriture professionnelle semblent demander un certain niveau d’expertise pour se préciser : « tout se passe comme si on allait vers une plus grande différenciation des domaines, des univers d’écriture, avec une perception plus ciblée des enjeux et des stratégies spécifiques à ces trois domaines, et des sentiments différenciés, associés à ces pratiques vécues comme différentes, ou tout du moins distinctes » (Barré-de-Miniac, 2002 : 165).