Chapitre 2 : problématiques et hypothèses

La production de texte est une activité complexe guidée par trois processus – planification, mise en texte et révision - en constante interaction. Afin de satisfaire des buts toujours spécifiques, ces trois processus activent, sélectionnent et organisent un très grand nombre d’informations. Ces dernières sont constituées des connaissances que le scripteur a stockées en mémoire à long terme mais aussi des informations provenant de l’environnement ou contexte de production.

Nous avons vu que la relation entretenue avec le destinataire joue un rôle majeur. Afin que le discours soit suffisamment explicite pour être compris par un destinataire, le scripteur devra construire un ensemble complexe de représentations de la situation de communication écrite qu’il initie au sein de mondes physique, social et subjectif donnés. (Grize, 1996). La relation entre le scripteur et le destinataire va orienter la manière de communiquer. Face à une situation de communication donnée, le locuteur va choisir certaines catégorisations verbales afin de réaliser certaines visées de la communication. (Ghiglione, Landré, Bromberg et Molette, 1998).

La quantité des informations sur la langue et plus généralement sur la communication écrite à stocker en mémoire à long terme ainsi que la complexité à gérer l’interaction des processus de planification, mise en texte et révision expliquent le développement long de cette activité cognitive. Ce développement se réalise d’une part en confrontation à des situations de communications variées qui viennent alimenter les connaissances stockées en mémoire à long terme notamment après un apprentissage institutionnel. La distinction entre représentation types et représentations transitoires de Le Ny (1985, 2005) semble apporter un éclairage intéressant sur le développement des processus en jeu en production écrite. Face à une situation de communication toujours nouvelle, les représentations types permettent de guider la construction de représentations transitoires. En retour ces représentations transitoires alimentent les représentations types.

D’autre part ce développement ne peut avoir lieu sans un enseignement institutionnel et systématique. Cet enseignement va permettre l’apprentissage linguistique et la gestion des processus cognitifs. Mais cet enseignement va aussi organiser un rapport spécifique à l’Ecrit. Lahire (1993) explique que l’Ecole, en France, organise un rapport à l’écrit de type instrumental et que lors de l’enseignement l’accent est mis principalement sur le niveau métalinguistique et non sur l’aspect communicatif.

Pour Beringer et Swanson (1994) le développement de la production écrite n’est possible que si certains processus de bas niveau s’automatisent. Or Bernard (1997) a mis en avant que des adultes en situations d’illettrisme sont capables dans certaines situations de développer leur processus de révision alors même que la transcription linguistique ne semble pas automatisée.

Pour mieux comprendre la manière dont s’y prennent les jeunes et adultes en difficulté dans le traitement de l’écrit, plusieurs auteurs font appel aux notions de rapport à l’écrit ou d’appropriation de l’écrit. Il va s’agir de se décentrer des seuls aspects cognitifs pour venir s’interroger sur des dimensions sociales et/ou affectives entrant également en jeu dans la communication écrite.

Enfin nous avons vu que la spécificité du rapport à l’écrit des sujets en situation d’illettrisme ne se caractérise pas uniquement par un tableau statique - à la manière d’un peintre - tableau qui a pu bien souvent être envisagé comme ayant des blancs - mais aussi par une mise en mouvement de ce tableau. Il s’agirait davantage du tableau théâtral où les personnages évoluent en fonction de l’intrigue. Face à une situation d’Ecrit quels composants du tableau vont s’activer ?

Ainsi en postulant qu’une évolution de l’appropriation de l’écrit est possible chez des adultes ne fréquentant plus l’école, nous nous différencions des opinions qui considèrent l’illettrisme comme un oubli ou un désapprentissage de ce qui a été enseigné à l’école. Pour nous, les personnes en situation d’illettrisme n’ont pas oublié des savoirs sur l’écrit, mais nous postulons que la construction de ces savoirs se serait mise en place de manière spécifique et incomplète rendant ainsi difficile la compréhension d’un texte simple de la vie quotidienne et la production d’écrits simples. Petiot-Poirson (2006) montrent en effet que des modes de traitement graphophonologiques et phonographiques existent chez des adultes en situation d’illettrisme ; néanmoins ceux-ci apparaissent partiels et inefficient.

Une fois la fréquentation scolaire terminée, le sujet continue à être confronté à des situations d’écrit. Pour arriver à résoudre une situation de vie quotidienne nécessitant le recours à l’écrit, nous émettons l’hypothèse générale que les personnes en situation d’illettrisme vont se poser des questions sur ces situations. Elles vont chercher des solutions ; ces solutions vont venir alimenter les représentations types et modifier certains aspects de leur hétérogénéité et leur organisation.

Dans ce travail nous allons chercher à savoir plus spécifiquement ce qu’il en est de l’appropriation des fonctions de l’Ecrit chez des experts comme chez des personnes en difficultés sur l’écrit, qu’ils fréquentent l’école ou non. Comment sont organisées ces représentations ? Placés dans des contextes de communication différents, les sujets s’appuient-il sur les mêmes logiques ? Les sujets en difficulté sur l’Ecrit présentent-ils des logiques différentes des sujets experts?

Comment la manière de s’être approprié les quatre fonctions de l’écrit peut-il avoir un lien avec l’utilisation des visées de la communication écrite ? Vont-elles jouer un rôle en situation de communication écrite et comment ? Lors d’une communication écrite les sujets s’appuient-ils sur leurs représentations des fonctions de l’écrit pour choisir une ou plusieurs visées communicatives ? Comment cela va-t-il s’organiser tout au long du processus de production ?

Comment le fait d’être au sein de l’institution scolaire peut-il avoir une influence sur cette logique interne ? En quoi le fait de ne plus fréquenter l’école peut-il influencer cette logique interne ? Les sujets ne fréquentant plus cette institution en tant qu’élève vont-ils manifester des logiques différentes ?

Nous choisissons de comparer 4 groupes :