Chapitre 6 : Discussion générale

Afin de contribuer à une meilleure compréhension de la communication scripturale des personnes en difficulté avec l’écrit, nous avons pris appui sur le modèle princeps de Hayes et Flowers (1980, 1996) et sur différents travaux qui en découlent (pour des revues de questions sur ces travaux, cf. Alamargot et Chanquoy (2001 ; 2002) ; Alamargot, Chanquoy & Chuy, (2005)

D’une manière synthétique, les auteurs décrivent la production écrite comme guidée par trois processus qui interagissent (Hayes, 1996 ; Kellogg, 1996, 2003 ; Piolat, Kellog, Farioli, 2001) : la planification, la mise en texte et la révision. Lors de la planification, des informations sont récupérées en mémoire à long terme à partir de l’environnement de la tâche. Ces informations vont être ensuite sélectionnées puis réorganisées afin d’élaborer un plan servant de guide à la mise en texte (Alamargot, Chanquoy & Chuy, 2005). Le processus de mise en texte est à la fois un processus de transcription linguistique du plan élaboré lors de la planification mais aussi un processus lors duquel s’effectuent des choix conceptuels. (Alamargot & Chanquoy, 2001). Enfin le processus de révision est un processus de contrôle qui peut intervenir pendant la mise en texte ou a posteriori (Roussey & Piolat, 2005). Il va permettre de comparer ce qui a été écrit lors de la mise en texte et le schéma élaboré lors du processus de planification. Ces trois processus sont guidés par des représentations métacognitives construites au cours de l’appropriation de l’écrit sur la langue et la communication. Ainsi les représentations de la fonction de l’écrit à produire, du schéma de tâche et de l’ensemble des paramètres de la situation de communication - notamment le destinataire - vont permettre d’organiser une stratégie de production de texte visant à satisfaire les buts d’une communication écrite spécifique. Ces représentations aideront à définir à qui écrire et comment l’écrire.

En effet le problème majeur rencontré lors de la production de texte est le passage d’une représentation multidimensionnelle du référent du message à une transcription linéaire. La résolution de ce problème, comme de tout autre problème, va nécessiter l’activation, la sélection et l’organisation d’un très grand nombre d’informations. Les représentations de la communication écrite vont permettre de guider les trois processus.

Cette notion de représentation a été définie par Le Ny (2005) comme « une entité cognitive dotée d’un contenu, présente dans un esprit, susceptible d’en déterminer le fonctionnement, mais non nécessairement consciente » (Le Ny, 2005, p.57). Il s’agirait pour le sujet confronté à une situation de communication écrite de construire des représentations transitoires qui prendront appui sur des représentations types. Les représentations types sont des représentations sous-jacentes à la résolution d’un problème. Le sujet ayant été confronté à différentes situations de résolution et ayant observé différentes situations problème a pu construire des structures durables associées à certaines situations : les représentations types. Lors de la résolution d’un nouveau problème, le sujet va s’appuyer sur cette structure et construire de nouvelles représentations qui prennent en compte les spécificités de cette situation unique. Ces nouvelles représentations telles qu’elles ont été construites ne vont pas venir, en l’état, s’additionner aux représentations types déjà existantes. Une partie des représentations pourra venir alimenter les structures durables alors qu’une autre part ayant été construite face à une tâche unique sera, une fois la résolution terminée, laissée de côté. Ces représentations construites pour la résolution d’un problème particulier sont alors appelées des représentations transitoires. (Le Ny, 1985, 2005).

Communiquer par écrit est certes une activité cognitive. Toutefois, au vu de différents travaux en sociologie (Lahire, 1993, 1997), anthropologie (Goody, 1979) et didactique (Barré-de-Miniac, 1996, 2002, Bautier, 2001, Leclercq, 1999, Dabène, 1987 Penloup, 1999, 2002) il semble que la prise en compte de l’influence des mondes sociaux sur le sujet puisse apporter un nouvel éclairage sur la compréhension du fonctionnement cognitif lors de la communication écrite des personnes en difficulté mais aussi des personnes expertes dans le traitement de l’écrit. L’écriture n’est jamais entièrement personnelle et est toujours nécessairement portée par des conventions qui préexistent au sujet. Ces conventions font l’objet d’un enseignement au travers d’une instance socialisatrice forte : l’Ecole. Lahire (1993) explique que l’Ecole, en France, organise un rapport à l’écrit de type instrumental et que lors de l’enseignement l’accent est mis principalement sur le niveau métalinguistique et non sur l’aspect communicatif. L’enseignement de la communication écrite à l’école consisterait alors, lors de la constitution du tableau fixe mais surtout dans son animation, à appuyer le trait et à mettre en mouvement principalement les aspects métalinguistiques et les éléments de contraintes.

Dans ce travail de recherche nous nous sommes intéressée à l’articulation entre représentations types et représentations transitoires et à l’influence des modes de socialisation sur leur organisation et mise en action. Pour rendre compte de cette articulation mais surtout de la notion de rapport à la communication écrite, nous avons précédemment avancé une métaphore picturale. Les représentations peuvent être appréhendées comme un tableau théâtral. En dehors d’une situation de production d’une communication écrite, ce tableau sera composé des représentations types ; représentations types qui se sont peu à peu peintes au cours de l’appropriation de l’écrit. Face à une situation de production d’écrit, face à une intrigue spécifique, ce tableau va se mettre en mouvement. Certains personnages vont venir sur le devant de la scène revêtant parfois de nouveaux costumes pour résoudre l’intrigue : ce sont les représentations transitoires.

Nous avons choisi de centrer notre recherche sur les représentations des fonctions de l’écrit et des schémas de tâche (voir partie méthodologie pour définitions). Nous nous sommes plus particulièrement demandé comment les représentations des fonctions de l’écrit et des schémas de tâche sont organisées chez les sujets experts et chez les sujets en difficulté dans le traitement de l’écrit. Est-ce que les représentations types vont jouer un rôle dans la construction des représentations transitoires en situation de communication chez des sujets experts et chez des sujets en difficulté ? Comment la manière de s’être approprié les fonctions de l’écrit peut-elle avoir un lien avec l’utilisation des visées de la communication écrite ? Placés dans des contextes de communication différents, les sujets s’appuient-ils sur les mêmes logiques ? En d’autres termes les sujets en difficulté avec l’écrit se comportent-ils de la même manière, en planification, révision et mise en texte, que les sujets experts pour communiquer par écrit et ce, quel que soit le contexte de communication ? Nous nous sommes d’autre part interrogée sur l’influence de la fréquentation scolaire dans l’organisation des représentations types et dans l’articulation entre représentations types et représentations transitoires. Qu’est-ce qui se joue, qu’est-ce qui s’organise une fois la fréquentation scolaire terminée ?