2.2.3 La place de l’outil informatique dans les représentations types

Chez les sujets fréquentant l’école, la représentation du recours aux outils informatiques est fréquente et semble bien souvent comme investi de « magie ». Avec l’ordinateur aucune erreur ne serait possible.

‘Expérimentateur : Alors à votre avis la personne qui a fait ce récit à quoi elle a fait attention ? Comment elle s’y est prise ? Qu’est-ce qu’elle a fait en premier ?
AL2LYCdiff : Déjà c’est par ordinateur. Donc y a pas de faute.
Expérimentateur : Pourquoi y a pas de faute quand c’est par ordinateur ?
AL2LYCdiff  Parce qu’il y a une autocorrection. C’est pas comme en manuel. Déjà à mon avis elle a dû faire des erreurs quand elle a écrit. Mais ça a dû effacer les erreurs pour justement que ça soit bien lisible pour que le client qui attend soit bien décontracté pour attendre. ’

Le correcteur orthographique est vu comme un outil résolvant l’intégralité des problèmes orthographiques sans même que la personne qui tape le texte ne s’en rende compte.

L’utilisation de l’outil informatique donne ainsi une impression de facilité de production aux sujets en difficulté avec l’écrit fréquentant l’école.

‘Expérimentateur : Ok. Alors si on regarde les quatre derniers documents, d’après vous, quel est le plus facile à faire ?
AL8LYCdiff : Comment ça ? Le plus facile à écrire ?
Expérimentateur  Oui.
AL8LYCdiff : Ben c’est ça.
Expérimentateur  La lettre, c’est le plus facile à écrire ?
AL8LYCdiff : Oui.
Expérimentateur  Pourquoi c’est le plus facile ?
AL8LYCdiff : Parce que c’est par ordinateur on voit bien.’

Avec l’ordinateur, les problèmes n’existent plus pour ce sujet. Les sujets en difficulté sont bien souvent réticents à l’idée de s’exposer par écrit. Souvent est évoquée la calligraphie comme frein.

Contrairement aux sujets en difficulté, pour les sujets experts ne fréquentant pas l’école l’outil informatique est représenté comme un support qui vient remplacer le support papier. Les processus cognitifs de production d’une communication écrite apparaissent faire l’objet des mêmes représentations, comme l’explique le sujet ci-après :

‘Expérimentateur : Est-ce que vous avez déjà utilisé l’écrit pour organiser vos idées ?
O4EXP : Oui.
Expérimentateur : Dans le cadre de votre travail ?
O4EXP : Oui pour faire des brouillons. Dans le cadre du travail, on travaille beaucoup par mail mais c’est clair, on structure l’e-mail comme un brouillon. On l’adresse sous forme de papier, pour pas oublier tout ce qu’on a à mettre. Moi je stocke dans la boite de brouillon d’ailleurs et je peux l’alimenter.
Expérimentateur : D’accord. Et dans le cadre de votre vie personnelle ?
O4EXP : Oui quand j’ai une lettre à écrire et que je n’ai pas trouvé d’idée aujourd’hui. Je commence à noter les idées sur un bout de papier.
Expérimentateur : Vous faites un brouillon ?
O4EXP : Oui quand il y a plusieurs idées à mettre. Mais maintenant avec l’informatique, à la maison on fait un brouillon informatique.
Comment se développent les représentations une fois la fréquentation scolaire terminée ?’

Nous avons présenté, dans le premier chapitre, différentes études sur l’influence de l’école dans la construction du rapport à l’écrit (Reuter, 1996, Barré-De Miniac, 1996 Lahire, 1993). L’enseignement habituel de l’écrit se fait principalement sous l’angle de l’analyse linguistique et non sous l’angle des aspects communicationnels. La production de communications écrites au sein de l’école serait un exercice pour mettre en œuvre des savoirs parcellaires et métalinguistiques accumulés. La transmission d’idée à un destinataire absent et les représentations des fonctions de l’écrit seraient reléguées à l’arrière plan. Certaines études montrent que chez les adultes en situation d’illettrisme le développement de la prise en compte d’éléments communicationnels est possible (Besse, Petiot-Poirson, Petit Charles, 2001 & 2003, Bernard, Besse & Petit Charles, 2002)

L’analyse des résultats a permis de mettre en évidence un développement des représentations types mais aussi transitoires chez les sujets experts et chez les sujets en difficultés une fois la fréquentation scolaire terminée.