Conclusion

Dans cette recherche nous avons choisi de nous interroger sur les représentations des fonctions de l’écrit et des schémas de tâche impliqués dans les processus de production d’une communication écrite chez des sujets en situation d’illettrisme. Reprenant l’apport de Le Ny (2005), nous avons cherché à savoir comment s’articulent les représentations types et transitoires et comment celles-ci sont organisées dans des contextes de communication différents. Nous nous sommes ensuite interrogée sur la manière dont ces représentations pouvaient se développer une fois la fréquentation scolaire terminée. Nous souhaitons conclure cette recherche sur ce dernier point.

L’analyse des résultats a permis de montrer qu’un développement des représentations se réalise chez des adultes experts mais aussi chez des adultes en situation d’illettrisme une fois la fréquentation scolaire terminée. Concernant les personnes en situation d’illettrisme soulignons qu’elles ont été rencontrées soit au début d’un parcours de formation soit dans le cadre d’un suivi en insertion professionnelle. Pour mettre en évidence le développement des représentations, nous avons comparé des sujets fréquentant l’école dont la moyenne d’âge s’élève à 17-18 ans et des sujets dont la moyenne d’âge s’élève à 38-40 ans. Ainsi l’ensemble de ces adultes, avant notre rencontre, avaient fait le choix de se confronter à leurs difficultés de traitement de l’écrit avec pour objectif premier l’insertion professionnelle. Ils avaient pris conscience que ces difficultés pouvaient être un frein à leur insertion professionnelle. Lors des entretiens, nous avons aussi pu repérer qu’en marge de cet objectif professionnel, des motivations plus personnelles se dégageaient, comme aider son enfant dans son travail scolaire ou être capable d’écrire des lettres sans demander de l’aide à un proche. Nous pouvons alors émettre l’hypothèse qu’une réflexion sur l’importance d’utiliser dans leur vie professionnelle et quotidienne avait été enclenchée au préalable de notre rencontre.

Le rapport final consacré à l’étude des jeunes supposés en situation d’illettrisme en Rhône-Alpes (Besse et al., 2004) note qu’il est plus difficile de mobiliser les jeunes sortis récemment du système scolaire vers des actions de remise à niveau. Ainsi un évitement de l’écrit apparaît immédiatement après avoir quitté l’école chez les jeunes supposés en situation d’illettrisme. Nous pouvons penser que cet évitement s’accompagne d’un désinvestissement des représentations types des fonctions de l’écrit. Pour certains jeunes, d’autres moyens de communication peuvent être utilisés pour transmettre une information ou exprimer ses sentiments. L’écrit apparaît souvent pour les jeunes les plus en difficulté comme un moyen d’évaluation de soi et de sanction par le destinataire. Ils identifient principalement la maîtrise de l’orthographe comme critère essentiel de sanction. Ainsi nous pouvons nous demander si l’accent était plus fortement mis, dans les approches pédagogiques de l’institution scolaire, sur les aspects communicationnels et plus généralement sur l’utilisation de l’écrit dans toutes ses fonctions ne permettrait pas d’amener les jeunes en difficultés à ne plus se représenter la production d’une communication écrite comme essentiellement un outil de sanction. Même si l’acquisition des compétences dans le lire/écrire nécessite un enseignement, et notamment un enseignement des éléments orthographiques, ne pouvons-nous pas penser un enseignement de la communication écrite différent ? Nous souhaitons prolonger nos recherches dans cet axe. Les travaux de l’équipe de Graham sur l’utilisation de procédures de révision de texte chez des enfants américains présentant des troubles de l’apprentissage (Graham, 1997) et sur l’utilisation de procédures de planification chez les étudiants américains d’université (De La Paz & Graham, 1997) retiennent particulièrement notre attention. L’apprentissage de ces procédures permettrait aux élèves et étudiants d’appréhender le texte produit dans son ensemble et dans son aspect communicationnel au lieu de rester centrés sur des éléments microstructuraux. Dans nos prochaines recherches, nous souhaitons ainsi adapter ces procédures pour des jeunes ou adultes francophone en difficulté dans le traitement de l’écrit pour, dans un second temps, vérifier si elles permettent de modifier leur mode d’appropriation de l’écrit.

Mais au-delà d’une approche didactique différente au sein de la classe de français, nos résultats nous amènent à nous interroger sur la manière d’envisager un enseignement du fonctionnement de la communication écrite dans d’autres disciplines. Bien souvent lorsque nous avons interrogé les jeunes sur leurs pratiques de l’écrit ils hésitaient à évoquer l’utilisation de « mails », de « chats » et de « textos ». Aucun n’a évoqué des pratiques d’écriture se réalisant au sein de l’institution scolaire dans d’autres classes que la classe de français.

Enfin nous souhaitions revenir sur un résultat important. Nous avons montré que la fonction cognitive est la fonction la plus longue à se mettre en place. Se représenter l’écrit comme un moyen de construction de connaissances apparait complexe. Pourtant le cadre européen des compétences clés pour l’éducation et la formation tout au long de la vie cite la compétence « apprendre à apprendre » parmi l’ensemble des compétences clés. Ceci nous amène à nous interroger sur les outils pédagogiques permettant d’accompagner des personnes en situation d’illettrisme vers une plus grande autonomie dans leurs apprentissages et sur la manière dont ils peuvent utiliser l’écrit dans cette visée-là. Nous souhaitons orienter la suite de ce travail de recherche vers une réflexion sur les outils pédagogiques permettant de l’utilisation de l’écrit pour construire des connaissances.