Démonstration

Une série d’expériences conduites au sein de notre équipe illustrera ici notre propos (Brunel, Labeye, Lesourd & Versace, 2009a). Dans chacune de ces expériences, nous avons proposé à des participants un paradigme original en deux phases. Lors de la première phase, dite d’apprentissage, les participants devaient effectuer une tâche de discrimination continue de formes simples (cercle ou carré). Chacune des formes était déclinée en 5 niveaux de gris différents et l’une d’entre elles, par exemple le carré, était systématiquement présentée simultanément avec un son (bruit-blanc). Dans cette phase, la manipulation expérimentale que nous avons introduite entre les expériences concernait la durée de présentation des formes et/ou du bruit-blanc (Voir Figure 5a). Ensuite, la phase test consistait en un paradigme d’amorçage à court terme avec comme amorces, les formes vues en phase d’apprentissage mais cette fois toutes présentées sans aucun son, et comme cibles des sons « purs » que les participants devaient discriminer comme étant aigu ou grave. Dans cette phase, la manipulation expérimentale que nous avons introduite entre les expériences concernait la durée du SOA (Voir Figure 5b).

Figure 5 : Illustration de la procédure expérimentale d’après Brunel et al. (2009a). 5a : Phase d’apprentissage durant laquelle les participants effectuaient une tâche de discrimination visuelle sur des formes géométriques simples (carré ou cercle) dont l’une est systématiquement présentée avec un bruit-blanc. 5b : Phase d’amorçage à court terme durant laquelle les participants effectuaient une tâche de discrimination de son (aigu ou grave). Notes. SOA :
Figure 5 : Illustration de la procédure expérimentale d’après Brunel et al. (2009a). 5a : Phase d’apprentissage durant laquelle les participants effectuaient une tâche de discrimination visuelle sur des formes géométriques simples (carré ou cercle) dont l’une est systématiquement présentée avec un bruit-blanc. 5b : Phase d’amorçage à court terme durant laquelle les participants effectuaient une tâche de discrimination de son (aigu ou grave). Notes. SOA : stimulus onset asynchrony, ISI : intervalle inter stimuli, ITI : intervalle inter essai.

Le résultat princeps (voir figure 6) que nous avons observé pour toutes les expériences est que la présentation en amorce d’une forme géométrique précédemment associée à du son lors de la phase d’apprentissage entraîne une modification du temps de discrimination du son cible, et ce comparativement à la situation où l’amorce correspond à une forme géométrique précédemment présentée sans son lors de la phase d’apprentissage. Cet effet s’explique par le fait que la présentation du composant visuel d’une association audiovisuelle réactive automatiquement le composant auditif issu de l’expérience perceptive. Ceci souligne la réactivation des liens interactifs entre ces deux modalités (auditive et visuelle) en mémoire (voir aussi, Nyberg et al., 2000 ; Meyer et al., 2007).

Figure 6 : Représentations graphiques des effets (en ms) obtenus dans chaque expérience d’après Brunel et al. (2009a). 6a : Interaction SOA*Type d’amorce (
Figure 6 : Représentations graphiques des effets (en ms) obtenus dans chaque expérience d’après Brunel et al. (2009a). 6a : Interaction SOA*Type d’amorce (F(1, 30) = 8,16, p<.01) obtenue dans l’expérience 1 ; 6b : Interaction Durée du bruit blanc * Type d’amorce (F(1, 30) = 14,46, p<.01) pour un SOA de 100 ms entre les expériences 1 et 2a ; 6c. 1 : Effet principal du facteur type d’amorce (F(1,30) = 12,76, p<.01) obtenu pour un SOA de 500 ms entre les expériences 1 et 2b ; 2 : Interaction Durée du couple bruit-blanc/forme*Type d’amorce (F(1, 30) = 18,46, p<.01) pour un SOA de 500 ms entre les expériences 1 et 3. Notes. Amorce S (sonore): formes géométriques présentées simultanément avec du son lors de la phase d’apprentissage, Amorce NS (non-sonore): formes géométriques présentées sans son lors de la phase d’apprentissage, effet d’amorçage perturbateur , effet d’amorçage facilitateur . * p<.05

Or, les résultats de l’expérience 1 (voir Figure 6a) ont mis en évidence une modulation de l’effet d’amorçage en fonction du SOA. Lorsque le SOA est de 100 ms, c’est-à-dire plus court que le temps de présentation du couple forme/son en première phase, cela se traduit par un effet perturbateur du traitement des stimuli cibles. A l’inverse, lorsque le SOA est de 500 ms, c’est-à-dire de même durée que le temps de présentation du couple forme/son en première phase, cela ce traduit par un effet facilitateur sur le traitement des stimuli cibles. La modulation de l’effet d’amorçage en fonction du SOA atteste donc que le composant auditif réactivé par la présentation de l’amorce visuelle possède les mêmes propriétés (ici la fréquence et la durée) que le son qui lui était effectivement associé lors de l’encodage, en conséquence de quoi nous observons un chevauchement ou une préactivation (voir figure 4b & 4c) avec le son cible. Ceci démontre bien que l’intégration en mémoire entre ces deux composants se caractérise par un lien spécifique de nature sensorielle (modale). En effet, s’il s’agissait uniquement d’un lien non spécifique ou faisant intervenir des composants amodaux, nous aurions dû observer, à défaut, une facilitation quel que soit le SOA.

Les expériences 2 et 3 ont ensuite été menées pour confirmer à la fois la nature sensorielle des composants de la trace mnésique et la similarité entre les mécanismes d’intégrations mnésiques et perceptifs6. Dans l’expérience 2a, nous avons réduit la durée du bruit-blanc en phase d’apprentissage de sorte qu’il corresponde à la durée du SOA de 100 ms en phase d’amorçage. Dans l’expérience 2b, nous avons uniquement allongé la durée du bruit-blanc (750 ms) en phase d’apprentissage de sorte qu’il soit plus long que la durée du SOA de 500 ms en phase d’amorçage, alors que dans l’expérience 3, nous avons allongé la durée du couple forme/bruit-blanc (750 ms) en phase d’apprentissage de sorte qu’il soit plus long que la durée du SOA de 500 ms en phase d’amorçage.

D’après la figure 6b (comparaison pour le SOA de 100ms entre l’expérience 1 et l’expérience 2a), nous pouvons avancer que le composant réactivé est effectivement de nature sensorielle dans le sens où, pour un même SOA de 100ms, les effets d’amorçages sont modulés par la durée de présentation du son en phase d’apprentissage. Alors que dans l’expérience 1, l’effet d’amorçage perturbateur était dû à la durée du son en phase d’apprentissage plus longue que celle du SOA, en ramenant, dans l’expérience 2a, la durée du son en phase d’apprentissage à celle du SOA, nous avons inversé cet effet et donc observé un effet d’amorçage facilitateur.

En revanche la figure 6c (comparaison, pour un SOA 500ms, entre l’expérience 1 et l’expérience 2b et entre l’expérience 1 et l’expérience 3) atteste à la fois de la nature sensorielle du composant réactivé (modulation de l’effet d’amorçage) et des conditions nécessaires à l’intégration mnésique (synchronisation temporelle). Dans l’expérience 2b, nous avions allongé la durée du son en première phase de sorte que ce dernier soit plus long que la durée du SOA. Or, dans cette expérience, nous avons simplement répliqué les résultats obtenus dans l’expérience 1 pour un SOA de 500 ms, c’est-à-dire un effet facilitateur. Par contre, dans l’expérience 3, l’allongement à la fois de la durée du son et de la forme, de sorte que ces derniers soient plus longs que la durée du SOA, nous a permis d’inverser les effets facilitateurs. Par conséquent, la simple concomitance entre des informations perceptives n’implique pas que ces informations conserve leurs dimensions sensorielles au sein de la trace. Le contenu de la trace est alors tributaire de la synchronisation temporelle des activations perceptives.

Notes
6.

Rappel : Toutes les manipulations introduites dans les expériences 1, 2a, 2b et 3 sont synthétisées au sein de la figure 5