Simulation Unimodale

Tout d’abord, rappelons que de nombreuses études en imagerie ont établi que nos activités mnésiques sont généralement associées à des activités cérébrales dans des zones dédiées aux traitements perceptifs (pour une revue voir Versace et al, 2009). Cependant, malgré l’accumulation d’évidences en faveur d’un lien très fort entre nos connaissances et les dimensions issues de l’expérience perceptive, de nombreux auteurs défendent l’idée que les traitements conceptuels (i.e. sémantiques) impliquent l’existence de représentations amodales (Lambon Ralph & Patterson, 2008 ; Rogers et al., 2004). Classiquement, les concepts sont alors définis comme des connaissances invariantes (stabilité conceptuelle) et indépendantes de tout contexte sensoriel et/ou moteur (amodalité). Une approche concurrente développée par Barsalou (1999 ; Barsalou et al., 2003a) propose que les concepts sont par nature « grounded » dans la perception et l’action (pour une discussion similaire, voir Kiefer & Barsalou, 2009). Dans la théorie du système des symboles perceptifs (Perceptual Symbol System, voir Figure 7), la notion de simulateur de concepts est essentielle (Barsalou 1999 ; Barsalou et al., 2003a).

Figure 7 : Illustration de la théorie des symboles perceptifs et de la notion de simulateur de concepts, d’après Barsalou, 1999 et Barsalou et al. 2003.
Figure 7 : Illustration de la théorie des symboles perceptifs et de la notion de simulateur de concepts, d’après Barsalou, 1999 et Barsalou et al. 2003.

D’après la figure 7, lorsqu’un stimulus physique est perçu, il active des détecteurs de propriétés dans les aires sensorielles et/ou motrices associées (notion de carte topographique). Cette représentation sensorielle est ensuite « capturée » dans des zones de convergences supramodales (Damasio, 1989 ; Simmons & Barsalou, 2003). Une activation ultérieure, même partielle, de ces zones supramodales est capable de réactiver la représentation sensorielle et donc de simuler des états proches de la situation perceptive. Avec le temps, ces mêmes neurones issus de régions supramodales intègrent alors les propriétés sensorielles et motrices des différents exemplaires d’une même catégorie. Barsalou propose la notion de simulateur de concepts, c’est-à-dire qu’une activation ultérieure de ces zones est capable de produire une multitude de représentations sensorielles (Barsalou, 1999) et ce, en fonction de l’état présent du sujet (Barsalou et al., 2003a). La simulation, c’est la réactivation des états perceptifs, moteurs et introspectifs acquis durant l’expérience avec le monde, le corps ou l’esprit (Barsalou, 2008).

Par exemple, en compréhension de texte, la simple lecture d’une phrase impliquant un mouvement peut faciliter le traitement visuel ultérieur d’un stimulus dont le mouvement est congruent avec le mouvement décrit dans la phrase (Zwaan et al. 2004). L’interprétation des auteurs de cet effet est en faveur d’une simulation par le lecteur du mouvement décrit dans la phrase. Dans un chapitre d’ouvrage, Barsalou et collaborateurs (2003b) ont rediscuté les résultats d’une étude IRMf qu’ils avaient précédemment conduite dans leur équipe (Simmons et al., 2003). Le résultat princeps de cette étude était que la vérification de propriétés associées à un concept, dans une modalité sensorielle donnée (e.g. une femme peut être brune), active les zones cérébrales sensorielles correspondants au traitement perceptif de la modalité (visuelle). Or, la question des auteurs était de savoir si le plan expérimental de l’étude (par bloc) n’avait pas masqué des activations dans d’autres modalités sensorielles. Pour Barsalou et collaborateurs, les concepts et les propriétés sont multimodaux dans le sens où ils peuvent simuler de multiples modalités de l’expérience perceptive. C’est ce que les auteurs ont vérifié dans une étude de cotation sensorielle de chaque modalité perceptive ou motrice référant à un concept ou à une propriété. En effet, les résultats montrent clairement que, pour les participants, les concepts et les propriétés sont associés à plusieurs modalités sensorielles. Il semblerait donc qu’un traitement conceptuel implique des simulations unimodales (Zwaan et al., 2004) et/ou multimodales (Barsalou et al., 2003b).