Perception Catégorielle & Catégorie

De nombreux exemples montrent que l’apprentissage perceptif d’une catégorie se traduit en retour pas une modification des performances en discrimination perceptive sur des objets appartenant ou non à une même catégorie. Des travaux dans le domaine du langage illustre ce phénomène de perception catégorielle. Par exemple, l’effet de VOT (i.e. Voice onset time) montre qu’il existe une frontière catégorielle « naturelle »12 entre les syllabes /ba/ et /pa/ qui différent selon un continuum physique de voisement13 (voir figure 11a). Cet effet se traduit par le fait que, pour un certain délai de voisement (i.e. frontière 35 ms), les individus sont incapables de discriminer de manière efficace entre un /ba/ et un /pa/ (Goldstone, Steyvers, & Larimer, 1996; Harnad, 1987). Lors de la discrimination entre des stimuli le long d’un continuum, comment la frontière catégorielle émerge-t-elle ? Il existe deux théories explicatives d’un tel phénomène. Tout d’abord, la frontière est censée émerger par acquisition d’une équivalence (ou d’une similarité, voir figure 11b) intra-catégorielle, ce qui se traduit par une diminution de la sensibilité perceptive aux différences qui ne sont pas significatives pour l’activité de catégorisation (Pearce & Hall, 1980). Du fait de l’apprentissage, les individus deviennent de moins en moins capables de discriminer entre les exemplaires d’une catégorie. A l’inverse, pour d’autres auteurs, la frontière émerge par l’acquisition d’une distinctivité (voir figure 11c) inter-catégorielle, ce qui se traduit par une augmentation de la sensibilité perceptive aux différences pertinentes pour la catégorisation (Gibson, 1969). Du fait de l’apprentissage, les individus deviennent de plus en plus capables de discriminer entre les exemplaires à la frontière catégorielle.

Figure 11 : La perception catégorielle, d’après Goldstone, (1994). 11a : Représentation de l’effet de VOT ; 11b & 11c : Illustrations des théories explicatives du phénomène de perception catégorielle : acquérir de l’équivalence (11b) et acquérir de la distinctivité (11c). La frontière catégorielle est censée correspondre au stimulus 4. Les cercles blancs reflètent les performances en discrimination lors de la première perception. Les cercles noirs représentent les performances en discrimination après plusieurs perceptions.
Figure 11 : La perception catégorielle, d’après Goldstone, (1994). 11a : Représentation de l’effet de VOT ; 11b & 11c : Illustrations des théories explicatives du phénomène de perception catégorielle : acquérir de l’équivalence (11b) et acquérir de la distinctivité (11c). La frontière catégorielle est censée correspondre au stimulus 4. Les cercles blancs reflètent les performances en discrimination lors de la première perception. Les cercles noirs représentent les performances en discrimination après plusieurs perceptions.

Les travaux de Goldstone de 1994 s’inscrivent directement dans cette problématique : comment l’activité de catégorisation préalable est-elle capable d’influencer les performances en discrimination perceptive ultérieure ? Dans cette étude, les participants étaient entraînés à catégoriser à partir d’une frontière catégorielle arbitraire, des stimuli bidimensionnels (combinaison d’une taille et d’un niveau de gris, expérience 1 ; combinaison d’une saturation et d’un niveau de gris, expérience 2) sur l’une de leurs dimensions ou sur les deux dimensions. Les participants étaient ensuite testés dans une tâche de discrimination (identique ou différent ?) entre des paires de stimuli adjacents. Les performances de chaque groupe d’entraînement catégoriel dans la tâche de discrimination étaient ensuite comparées à celles d’un groupe n’ayant eu aucun apprentissage. Il en résulte pour l’expérience 1, pour chacun des groupes d’entraînement catégoriel, à la fois : 1) une augmentation des performances en discrimination pour chaque stimulus proche de la frontière catégorielle (acquérir de la distinctivité) ; 2) une diminution des performances en discrimination pour chaque variation de la dimension non pertinente lors de la catégorisation ainsi que pour les variations intra-catégorielles de la (ou des) dimension(s) pertinente(s) lors de la catégorisation (acquérir de l’équivalence). Il apparaît que ces deux mécanismes sont conjointement utilisés lors de l’activité de catégorisation mais ils sont cependant tributaires de la nature des dimensions perceptives impliquées14. En effet, les résultats de l’expérience 2 ont montré que les performances en discrimination, pour chacun des groupes d’apprentissage catégoriel, étaient systématiquement augmentées quelle que soit la paire de stimuli à traiter (pour une discussion, voir Goldstone, 1994 ; 1998).

La perception catégorielle résulte donc d’un apprentissage préalable dans une activité de type catégoriel et suppose à la fois une désensibilisation aux différences intra-catégorie et une sensibilisation aux différences inter-catégorie, et ceci en fonction de la nature des dimensions perceptives impliquées. Il apparaît donc que la catégorie est une unité fonctionnelle (au sens de conditionnant le fonctionnement) lors d’un traitement mnésique (Polyn et al., 2005)ou perceptif (pour une revue, voir Goldstone, 1998), mais comment la catégorie est-elle représentée (et l’est-elle réellement) en mémoire ?

Notes
12.

Pour des données similaires chez l’animal (Kuhl & Miller, 1975)

13.

Le voisement correspond à la vibration des cordes vocales lors de la production d’un son.

14.

Nature des dimensions intégrales ou séparables. Deux dimensions perceptives sont définies comme intégrales (e.g. la luminosité et la saturation) lorsque, lors du traitement d’une dimension x, les modifications d’une dimension y altèrent le traitement de x. A l’inverse, deux dimensions perceptives sont définies comme séparables (e.g. la luminosité et la taille visuelle)lorsque, lors du traitement d’une dimension x, les modifications d’une dimension y n’altèrent pas le traitement de x.