Une mémoire basée sur des exemplaires et des propriétés

La question de savoir si l’émergence d’unité catégorielle est basée sur des exemplaires/traces (i.e. empreinte globale, Goldstone, 1998) ou des propriétés (i.e. empreinte propriété, Goldstone, 1998) n’est pas sans importance. En effet cela renvoie à la question des processus d’encodage en mémoire ainsi qu’à des modélisations différentes (Hintzman, 1986 ; 1988 vs. McClelland & Rumelhart, 1985 ; Rumelhart & Zimmer, 1985 ; pour une revue voir Hintzman, 1990).

D’après les travaux de Goldstone, il existerait deux mécanismes impliqués dans l’apprentissage perceptif d’une catégorie (voir figure 17) : un mécanisme d’ « unitization » et un mécanisme de « differenciation » (pour une revue voir Goldtsone, 1998).

Figure 17 : Illustration des mécanismes d’
Figure 17 : Illustration des mécanismes d’unitization et de differenciation, d’après Goldstone et al. (2004). Les propriétés d’un stimulus sont représentées par des cercles et la fusion entre ces propriétés est représentée par des ovales.

L’idée principale est que l’acquisition de la catégorie est basée sur l’extraction, au cours du fonctionnement, de propriétés, qui deviennent donc des unités fonctionnelles (Schyns, Goldstone & Thibaut, 1998). Les mécanismes d’unitization et de differenciation sont à la base de cette extraction, et interviennent au niveau des propriétés en modifiant l’organisation initiale des stimuli. En ce sens, l’unitization est le mécanisme qui permet la création de nouvelles propriétés pendant l’apprentissage perceptif en combinant des propriétés séparées en une nouvelle propriété (voir Goldstone, 2000). Pour Goldstone et collaborateurs (2004), ce mécanisme intervient lorsque des propriétés isolées co-varient ensemble et que leur cooccurrence prédit une importante catégorisation. Contrairement à l’unitization, le mécanisme de differenciation est le mécanisme qui permet la dissociation de propriétés initialement fusionnées (Goldstone, 1998; Golstone & Steyvers, 2001; Goldstone et al., 2004). Ces deux mécanismes ne sont pas indépendants et interviennent conjointement lors de l’apprentissage d’une catégorie. En fait, les résultats que nous avons précédemment décrits comme étant un apport aux modèles d’exemplaires et plus largement au modèle d’appariement global (Brunel et al., 2009b ; en révision a)peuvent être totalement expliqués suivant cette conception.

Par exemple dans l’expérience 1 (voir figure 13a), nous avons mis en évidence que la figure isolée présentée en condition HF (i.e. non associée à du son lors de l’apprentissage) ne se différenciait pas des autres figures de sa catégorie (i.e. associées à du son lors de l’apprentissage) en termes d’amorçage et n’était pas non plus reconnue. En revanche, la figure isolée présentée en BF (i.e. associée à du son lors de l’apprentissage) se différenciait des autres figures de sa catégorie (i.e. non associées à du son lors de l’apprentissage) en termes d’amorçage et au niveau de la reconnaissance.

Or, suivant le mécanisme d’unitization, si lors de l’apprentissage les régularités entre les propriétés prédisent une importante catégorisation, ces propriétés ont alors tendance à être fusionnées au sein d’une nouvelle propriété (i.e. une propriété « unitized »). Dans ce cadre, les effets engendrés par les deux figures isolées (respectivement un effet de généralisation pour la figure isolée vue en HF et un effet de discrimination pour la figure isolée vue en BF) peuvent alors être expliqués par la création de deux nouvelles propriétés lors de l’apprentissage. Compte tenu des manipulations expérimentales22 introduites, les participants ont très bien pu construire deux propriétés unitized qui capturent les régularités de la situation perceptive à l’issue de la phase d’apprentissage (voir figure 18). Par conséquent, les propriétés unitized sont une propriété «forme/son » qui capture les régularités de la condition HF et une propriété « couleur/son » qui capture la régularité de la couleur (de la figure isolée BF) associée à la propriété sonore.

Figure 18 : Illustration du type de propriété
Figure 18 : Illustration du type de propriété unitized à l’issue d’une phase d’apprentissage. Panel a : situation perceptive simplifiée et présentée lors de la phase d’apprentissage ; Panel b : Création en mémoire de deux propriétés unitized (forme/son et couleur/son). Notes. HF : Haute fréquence d’association ; BF : Basse fréquence d’association.

En effet d’après la figure 18, on comprend que la forme isolée vue en HF puisse réactiver une propriété sonore lors des différentes phases test, du fait qu’elle soit similaire à la propriété unitized « forme/son ». De même, on comprend que la forme isolée vue en BF puisse réactiver une propriété sonore lors des différentes phases test du fait que sa couleur soit similaire à la propriété couleur/son (voir aussi Howells, 1944). Puisque Medin, Goldstone, et Gentner (1990) sont arrivés à la conclusion que la création de nouvelles propriétés dépend de la variabilité de l’expérience perceptive (similarité et distance intra- et inter-catégorie), on peut dire que ce principe explicatif est alors cohérent avec l’ensemble des résultats en phases d’amorçage et de reconnaissance que nous avons obtenus dans nos expériences. L’existence d’un mécanisme d’unitization à l’encodage est alors clairement en faveur d’une conception où les informations sont stockées sous la forme de traces de type propriété (voir McClelland &Rumelhart, 1985) qui évoluent dans le temps et avec l’expérience (Schyns, Goldstone & Thibaut, 1998). L’activité catégorielle peut alors être basée uniquement sur un appariement du stimulus à traiter avec une propriété unitized ou non (voir la notion de simulateur de propriétés, Barsalou, 2005).

Cependant, il nous semble que cette explication est insuffisante pour rendre compte des résultats obtenus en reconnaissance dans l’expérience 3 (Brunel et al., en révision a). En effet, les deux figures isolées (vue en HF ou en BF) sont certes discriminées au-dessus du hasard, mais la figure isolée vue en BF à une probabilité plus importante d’être discriminée que la figure isolée vue en HF (voir figure 6). Si l’efficacité du traitement est uniquement basée sur des propriétés unitized  (ici, couleur/son ou forme/son), il n’ y a pas de raison d’observer de différences en reconnaissance entre les deux figures isolées. Pour nous, ce résultat suggère qu’un niveau de type exemplaire doive pouvoir exister lors du traitement. Nous proposons alors que ce niveau soit tributaire de l’intégration des propriétés précédemment  unitized  et nous reviendrons sur ce point lors de notre dernier chapitre. A noter qu’en proposant à la fois un simulateur de concepts et un simulateur de propriétés, Barsalou (2005) suppose que ces deux niveaux de représentation de l’information puisse exister, ce qui est cohérent avec des données en apprentissage perceptif (Turk-Browne et al., 2008).

Bien que les approches de mémoire basées sur des propriétés et celles basées sur des exemplaires divergent au niveau de la nature de l’information représentée en mémoire, en réalité, toutes deux sont fondamentalement dépendantes. En d’autres termes, la mémoire est constituée de traces distribuées intégrant les propriétés unitized ou non de l’expérience perceptive (voir chapitre 1). De plus, quelles que soient ces approches, l’efficacité du traitement catégoriel suppose un appariement entre une situation perceptive dans laquelle le traitement s’opère et des informations stockées en mémoire (propriété ou exemplaire) en fonction de leur similarité.

Notes
22.

A savoir la fréquence d’association entre une forme et une propriété sonore, ainsi que l’association entre une propriété visuelle (e.g. une valeur de luminance) et une propriété sonore.