Un Constat : de nombreux postulats liés aux méthodes de dissociation

Un point d’encrage à ce chapitre est la question des dissociations expérimentales. Avant de s’interroger sur les motivations à observer des dissociations entre les expériences de conscience ou encore sur l’interprétation de telles dissociations, il convient de définir de manière générale les méthodes expérimentales permettant de les observer. En d’autres termes, avant d’envisager les explications théoriques des dissociations, il convient de présenter et d’isoler certains des postulats liés aux techniques permettant l’observation de celles-ci.

Notons que, contrairement aux modèles de mémoire dit « associationnistes », les travaux expérimentaux cherchent souvent à mettre en évidence des dissociations (Hintzman, 1990). Classiquement, elles s’observent dans des tâches mnésiques qualitativement différentes (e.g. méthode de comparaison de tâche, voir Richardson-Klavehn & Bjork, 1988), grâce à une comparaison : 1) des performances comportementales d’individus sains et/ou pathologiques (cérébrolésés ou déments) ; 2) des activations cérébrales des mêmes individus dans des conditions expérimentales différentes. Nous verrons alors que les principales méthodes que nous décrivons s’imbriquent et se complètent (la dissociation fonctionnelle étant le niveau de base).

DISSOCIATION FONCTIONNELLE - Dans le cas de la dissociation fonctionnelle, le principe est relativement simple. Il existerait des facteurs expérimentaux (e.g. la profondeur de traitement ; Craik & Lockhart, 1972) capables d’influencer la récupération de l’information dans une situation donnée, c’est-à-dire pour un traitement donné, mais pas dans une autre. Le postulat de base de cette méthode est celui de pureté des tâches mnésiques. En d’autres termes, la réalisation d’une tâche mnésique donnée fait intervenir un processus ou un type de connaissance spécifique.

DISSOCIATION NEUROPSYCHOLOGIQUE - La dissociation neuropsychologique revient à appliquer le principe de dissociation fonctionnelle non plus avec des facteurs expérimentaux mais avec des patients atteints de lésions ou d’une pathologie cérébrale. On parle de simple dissociation neuropsychologique lorsqu’un patient (A) avec un site lésionnel précis échoue dans une situation de récupération donnée alors qu’un autre patient (B) avec un site lésionnel différent réussit cette même situation. On parle de double dissociation lorsque (B) échoue dans une situation où (A) réussit. En plus d’admettre le postulat lié à la dissociation fonctionnelle, cette méthode repose sur des postulats de transparence et de modularité. En d’autres termes, pour le postulat de modularité, une zone cérébrale implique une computation particulière (e.g. le gyrus fusiforme interviendrait uniquement dans le traitement des visages). Pour le postulat de transparence, si le traitement est perturbé suite à la lésion d’une zone cérébrale donnée, c’est que cette zone participe au traitement normal (e.g. si le traitement des visages est perturbé et que le gyrus fusiforme est lésé, le gyrus fusiforme intervient dans le traitement des visages).

DISSOCIATION EN IMAGERIE CEREBRALE – La dissociation en imagerie revient à appliquer le principe de dissociation fonctionnelle non plus avec des données comportementales mais avec des activations cérébrales. Cette méthode revient dans la plupart des cas à enregistrer les activités cérébrales d’un individu dans plusieurs conditions expérimentales et à les comparer systématiquement à une condition de base (i.e. méthode soustractive). Outre les postulats relatifs aux autres approches décrites précédemment, cette méthode repose sur celui de corrélation entre efficacité comportementale et activité cérébrale, c’est-à-dire qu’une activation accrue dans une zone cérébrale est un signe d’efficacité comportementale lors de la réalisation de la tâche par l’individu (ou dans la condition expérimentale) et donc cette zone intervient dans le traitement en cours.

DISSOCIATION STATISTIQUE - L’indépendance stochastique (voir Richardson-Klavehn & Bjork, 1988) repose sur la relation entre les performances obtenues à deux tâches mais sur le même matériel. Si les performances obtenues sur les deux tâches ne sont pas corrélées, cela signifie qu’elles exploitent différents types de connaissances ou processus. Or, cette hypothèse pose de sérieux problèmes méthodologiques : d’une part, elle correspond à l’hypothèse nulle (l’absence de corrélation ne permet pas de conclure à l’absence de lien), et d’autre part, certains auteurs ont mis en évidence une indépendance stochastique entre deux tâches supposées impliquer le même type de connaissances (Hayman & Tulving, 1989 ; Jacoby & Witherspoon,1982 ; Shimamura, 1985 ; Whiterspoon & Moscovitch, 1989).

Rappelons que ces méthodes dissociatives ne sont pas le propre de notre problématique (i.e. une mémoire avec ou sans conscience ?) mais qu’elles sont souvent utilisées dans le champ global de l’étude des fonctions cognitives. En ce qui nous concerne, il semblerait, d’une part, que l’activité de récupération peut être sélectivement perturbée dans le cas de la pathologie, ou améliorée dans le cas des travaux en psychologie cognitive, et, d’autre part, il semblerait que les multiples activités de récupération (i.e. les multiples tâches) semblent impliquer une récupération qualitativement différente en fonction du type d’activité mnésique. Dans le point suivant, il s’agira alors de comprendre tout l’enjeu théorique lié à l’observation de dissociations. En effet, en fonction du cadre théorique sous-jacent, les dissociations peuvent alors servir comme justification à l’existence de connaissances qualitativement différentes (i.e. approche multisystémique) ou à l’existence de processus de récupération qualitativement différents (i.e. approche fonctionnelle).