L’expérience de conscience : Une caractéristique systémique ?

D’un point de vue empirique, nous pouvons dissocier des activités dont la réalisation nécessite la récupération d’une information en mémoire (ou une habilité) qui ne s’accompagne pas d’une expérience consciente, et inversement des activités dont la réalisation implique une récupération nécessairement accompagnée d’un accès à la conscience. Par exemple, au volant d’une voiture, le changement de rapport (i.e. une succession motrice complexe impliquant plusieurs membres effecteurs) se fait sans prise de conscience (à condition que nous ne soyons pas un conducteur novice). Par contre, lorsqu’il s’agit d’expliquer le changement de rapport (à ses enfants qui font la conduite accompagnée par exemple), cette connaissance est alors accessible consciemment. Il semble donc que, qualitativement, ces deux expériences de récupération soient dissociables selon le niveau de conscience associé à la récupération.

Tulving (1985a, 1985b) est un des premiers auteurs à s’être intéressé à la dissociation entre des niveaux de conscience associée à la récupération. Pour ce dernier, l’expérience de récupération peut être associé à trois niveaux de conscience distincts24 : 1) un niveau de conscience anoétique (absence de conscience) ; 2) un niveau de conscience noétique (sentiment de connaître) ; 3) un niveau de conscience autonoétique (sentiment associé à la récupération d’une connaissance spécifique). Pour Tulving, ces niveaux de conscience correspondent à la récupération d’un type d’information, respectivement 1) des habilités cognitives ou motrices, 2) des connaissances sémantiques, 3) des connaissances épisodiques. Chaque niveau de conscience serait plus largement une propriété d’un sous-système de mémoire, respectivement 1) procédural, 2) sémantique, 3) épisodique. Contrairement à Tulving, Squire (1987, 1992a ; 1992b) identifie seulement deux niveaux de conscience associés à la récupération (et plus largement deux modes d’accès) : conscient vs. non-conscient. Comme pour Tulving, ces deux états dissociables à la récupération sont considérés comme une propriété de sous-système de mémoire (respectivement une mémoire déclarative vs. une mémoire non-déclarative). Au sein de ces modèles25 (Tulving, 1985b ; Squire, 1987), l’expérience de conscience lors de la récupération est intrinsèquement liée aux caractéristiques du système dans lequel la connaissance est récupérée (en conséquence, une propriété d’un type de connaissance). Si l’on reprend notre exemple de la conduite automobile, le fait de conduire ou d’enseigner la conduite (ici, le changement de rapport) fait clairement appel à deux sous-systèmes de mémoire distincts.

Cette idée a été récemment critiquée par Reder et collaborateurs (2009 ; voir aussi Jacoby, 1991 ; Mandler, 1980 ; 1991 ; pour une étude en imagerie Turk-Browne, Yi, Chun, 2006). En effet, selon les auteurs, plutôt que de correspondre à des sous-systèmes de mémoire indépendants (e.g. mémoire implicite vs. mémoire explicite, Graf & Schacter, 198526), les termes implicite et explicite correspondent plutôt à des propriétés des tâches mnésiques qui font intervenir les mêmes représentations afin d’être réalisées.

Notes
24.

Le Paradigme RK (Remember,/ Know ) est une procédure expérimentale permettant l’observation de ces niveaux de conscience. (Gardiner, Ramponi & Richardson-Klavehn, 2002 ; Gardiner & Richardson-Klavehn, 2000). Classiquement, ce paradigme est couplé à une tâche de reconnaissance où les participants indiquent pour chaque réponse «ancien » l’expérience de conscience subjective qu’ils associent à cette récupération. Le participant est invité à donner une réponse Remember lorsqu’il estime avoir basé celle-ci sur la récupération de détails contextuels et une réponse Know lorsqu’il estime l’avoir basée sur un sentiment de familiarité. Nous ne développerons pas plus le paradigme RK car il suppose que chaque réponse R ou K soit supportée par des connaissances qualitativement différentes (Gardiner, Ramponi & Richardson-Klavehn, 2002) et que ces réponses soient clairement attribuées respectivement aux processus de recollection et de familiarité que nous développerons ultérieurement (Yonelinas et al., 1996 ; Meiser, Sattler & Weiber, 2008).

25.

Souvent considérés comme des modèles neuropsychologiques.

26.

Etude princeps de la littérature sur la mémoire implicite et explicite.