Un Constat : Une Dissociation experimentale robuste

A partir de ce point, on ne peut négliger les dissociations qui ont été mises en évidence dans les travaux en psychologie cognitive ou en neuropsychologie. Si une approche abstractionniste et multisystémique est critiquée, ces faits doivent être réinterprétés dans d’autres cadres théoriques. La question des tâches mnésiques semble dans un premier temps intéressante à discuter. Si on se centre sur la nature des activités, on peut proposer une dichotomie sur la base de la nécessité d’accéder ou non à un épisode préalable afin de réaliser la tâche (Tâches directes vs. Indirectes, Jonhson & Hasher, 1987 ; Tâches incidentes vs. intentionnelles, Jacoby, 1984 ; Tâches explicites vs. Implicites, Graf & Schacter, 1985). Plus particulièrement, les tâches directes (e.g. rappel, reconnaissance) sont des tâches où les instructions lors du test de mémoire font référence à un événement cible dans l’histoire du sujet (i.e. Contexte spatiotemporel spécifique). La réussite à ce type de tâche est un indicateur comportemental montrant que le sujet a des connaissances spécifiques sur un événement. Les tâches indirectes sont des tâches qui mesurent l’effet de la récupération sur une tâche (e.g. discrimination perceptive, décision lexicale, complétion de mots, catégorisation) qui demande le traitement d’une information sans avoir de référence directe à une présentation préalable de cette information (tâche non explicitement mnésique). La mesure ici est issue de la comparaison entre deux enregistrements.

Il existe alors de nombreux arguments en psychologie expérimentale en faveur d’une dissociation robuste entre ces deux types de tâches (pour une revue voir Reder, Park & Kiefabber, 2009 ; Richardson-Klavehn & Bjork, 1988). Il en résulte que les performances des individus dans des tâches directes sont plutôt sensibles à la manipulation de la nature des traitements engagés lors de l’encodage (e.g. profondeur de traitements, Craik & Lockhart, 1972) et aux changements de contexte spatio-temporel lors de la récupération (e.g. Tulving & Thompson, 1973), alors que dans les tâches indirectes, les performances des individus semblent uniquement influencées par le degré de concordance entre les caractéristiques perceptives des items à l’encodage et à la récupération (Blaxton, 1989 ; Roediger & Blaxton, 1987). De plus, dans le cas des démences ou des amnésies, les auteurs s’accordent à dire que les performances dans les tâches directes sont sélectivement altérées, ce qui se traduit par des compétences préservées dans les tâches indirectes (pour des exemples avec des mesures comportementales voir Graf, Squire & Mandler, 1984 ; pour une revue voir Shimamura, 1986 ; ou des mesures physiologiques, Diamond et al. in press).

Compte tenu de l’accumulation d’évidences, on ne peut qu’accepter l’existence d’une dissociation simple robuste entre les mesures directes et indirectes de la mémoire. Plus particulièrement, on s’aperçoit que les tâches directes sont clairement plus sensibles aux manipulations expérimentales que les tâches indirectes, de même que la neuropsychologie cognitive nous montre que les patients amnésiques ont une probabilité plus importante d’être perturbés lorsqu’ils sont testés dans des tâches directes que dans des tâches indirectes27.

Notes
27.

A notre connaissance, rares sont les études qui ont mis un pattern de double dissociation (Ashby et al., 1998 ; Gabrieli et al., 1995 ; Knowlton, Mangels & Squire, 1996).  L’étude de Gabrieli et collaborateurs (1995) a pu mettre en évidence un ce pattern avec notamment un patient (M.S, lésion des aires visuelles primaires) déficitaire dans une tâche indirecte (i.e. complétion trigramme) mais pas dans une tâche directe (i.e. reconnaissance visuelle) contrairement à des patients amnésiques (lésions hippocampiques) qui présentent le pattern inverse.