la Force ou le poids de la trace

Dans sa définition classique, la force ou le poids de la trace au moment de la récupération est l’état qui va déterminer la probabilité de récupérer un item en mémoire. Par conséquent, les variations quantitatives de cet état déterminent la probabilité que la récupération soit associée ou non à une expérience de conscience (Donaldson, 1996 ; Huppert & Piercy, 1978 ; Inoue & Belezza, 1998 ; pour une étude en imagerie, voir Gonsalves et al., 2005). La force de la trace peut être manipulée par l’intermédiaire de la répétition et/ou de la durée de présentation (Hintzman, 2001 ; Huppert & Piercy, 1978 ; Inoue & Bellezza, 1998), lors d’une phase de préexposition.

Pour Cleeremans (2008), la force d’une trace est définie par rapport aux nombres d’unités de traitement (de propriétés) qui sont impliqués dans la trace, et le degré d’activation de ces unités. Ainsi, nous définirons la force de la trace comme étant à la fois la résultante des conditions de préexposition mais aussi du type d’unité de traitement (i.e. propriété de la trace) disponible lors de la récupération. En cela, nous proposons que si la trace est le reflet d’une intégration multimodale entre des propriétés de l’environnement, une trace sera d’autant plus forte qu’elle comporte de propriétés spécifiques et que celles-ci sont fortement activées (et donc puissent s’intégrer) lors de la récupération. Dans une étude qui a fait l’objet d’une communication affichée (Brunel et al. 2009c), nous avons aussi mis en évidence, dans une tâche de reconnaissance de forme visuelle complexe, que la proportion de HIT n’était pas influencée par le fait que la forme ait été préalablement présentée associée à une propriété contextuelle auditive43. Par contre, la certitude associée à la réponse augmentait en fonction du nombre de propriétés (voir aussi Meiser et al., 2008). Dans notre tâche, lors de la récupération, l’activation de la propriété visuelle était suffisante pour déterminer la reconnaissance de l’item visuel seul. En revanche, la certitude associée à la réponse dépendait des conditions préalables de présentation de la forme et donc lorsque la forme visuelle engendrait aussi l’activation de la propriété auditive, l’intégration de ces deux activations permettait une certitude plus importante. La force de la trace peut donc se définir en fonction du nombre de propriétés intégrées lors de la préexposition et du degré d’activation et d’intégration de ces unités lors de la tâche en cours.

De même que si les modulations de la force de la trace (i.e. quantitative à l’encodage ou à la récupération) sont capables de prédire l’expérience recollective (et plus largement l’expérience de conscience associée à la récupération), elle est capable aussi de prédire que le traitement d’un indice puisse amener de la fluence 44(i.e. un amorçage) sans être reconnu (Stark & McClelland, 2000 ; pour des données en imagerie voir Schott et al. 2005 ; 2006). Stark et McClelland, dans une tâche de reconnaissance, ont trouvé que les omissions (i.e. un item est jugé nouveau alors qu’il est ancien) étaient plus rapides que les rejets corrects(i.e. un item est correctement jugé nouveau). En d’autres termes, même lorsque l’item n’est pas reconnu, il amène un effet d’amorçage (pour des données similaires avec des patients amnésiques, Conroy, Hopkins & Squire, 2005 ; et avec des mesures de conductance de la peau, Diamond et al., in press). Mais ces données ont été simulées avec un seul processus de familiarité guidé par la force de la trace en mémoire (Berry et al., 2008). En effet, leur modèle (voir les modèles USVD) considère que la reconnaissance est une activité de détection du signal où la distribution des items anciens est une fonction normale dont la variance (i.e. un index de la force des items en mémoire, d’après Berry et al., 2008 ; Hintzman, 2001 ; Hilford et al., 2002) est différente de celle des items nouveaux. La particularité de ce modèle est de prédire que l’efficacité dans la tâche de reconnaissance ainsi que la distribution des temps de réactions (i.e. l’amorçage d’après les auteurs) sont indexées par le même processus de familiarité, c’est-à-dire un même seuil45 mais avec des sources de bruit différentes. Dans ce cas, la distribution des temps de réaction est l’inverse de la distribution de la reconnaissance et donc les temps de réaction suivent naturellement cette configuration HIT<O<FA<RC. En effet, puisque pour une réponse O, l’activation (i.e. la familiarité) engendrée par l’item est beaucoup plus proche du seuil de reconnaissance que pour une réponse RC, cela explique que les réponses O soient plus rapides que les réponses RC. Or, Berry et collaborateurs soulignent une certaine inconsistance dans le pattern global de résultat, notamment au niveau des O et des FA ceci étant dû, pour les auteurs, à la quantité de bruit lors du jugement (i.e. au degré chevauchement entre les distributions anciens et nouveaux ou au placement du critère de décision, voir Benjamin, Diaz & Wee, 2009).

Dans le prochain point, nous verrons qu’un moyen de réduire le bruit (notamment dans les activités discriminantes) est lié à l’état de distinctivité de la trace au moment de la récupération.

Notes
43.

On peut parler ici de propriété contextuelle, parce que la propriété auditive n’est pas prédictive de l’appartenance de la forme visuelle à une catégorie (voir chapitre 2) et que la propriété auditive est la même pour un certain nombre de formes.

44.

La fluence est ici définie comme la rapidité avec laquelle l’information d’un stimulus est extraite (Berry et al., 2008)

45.

A noter que les auteurs précisent que leur seuil est censé être libre mais est fixe pour les besoins de l’expérience.