la Distinctivité de la trace

Dans le cadre des modèles basés sur un processus d’appariement global, rares sont ceux qui ont traité directement la question de la distinctivité de la trace au moment de la récupération (notamment les modèles UVSD). Dans une version modifiée du modèle GCM 46 (i.e. modèle d’exemplaire à similarité hybride, Nososfky & Zaki, 2003), les auteurs ont proposé qu’un exemplaire distinctif est un exemplaire fortement dissimilaire des autres. De part sa non-similarité, son traitement ultérieur s’en trouve facilité (probabilité d’être reconnu dans le cadre de l’étude de Nosofsky & Zaki, 2003). Cleeremans (2008) définit la distinctivité de la trace comme étant inversement proportionnelle à la similarité entre les traces (i.e. le chevauchement, dans le cadre d’une approche connexionniste, McClelland & Rumelhart, 1985).

Nous avons fait de l’état de distinctivité un élément central dans l’émergence des connaissances lors de la récupération. Cet état est caractérisée par une modification temporaire des items47 (Nairne, 2006) ou des propriétés contextuelles de la trace (notamment temporelle, Kelley & Nairne, 2001 et spatiale, Oker, Versace & Ortiz, 2009) lors d’une phase de préexposition. Cet état induit alors des performances en récupération caractéristiques. Dans un paradigme d’isolation, les items isolés sont associés à une probabilité plus importante d’être récupérés que les items non-isolés et ils peuvent influencer le traitement engagé dans la tâche (i.e. effet de disctinctivité dans une tâche de rappel ou reconnaissance, Smith & Hunt, 2000 ; vérification d’appartenance catégorielle, Geraci & Rajaram, 2004 ; décision lexicale, Brunel, Oker, Riou & Versace, en révision b). Nous irons plus loin en proposant que l’état de distinctivité permet de réduire le bruit lors de la récupération en réduisant le nombre de traces compétitrices, et ce quelle que soit l’activité de récupération engagée. De plus, pour Rajaram (1998), la distinctivité de la trace est alors critique pour l’expérience phénoménologique de recollection (voir aussi, Park, Arndt & Reder, 2006). Cela implique donc que l’état de distinctivité de la trace, au même titre que la force de la trace, se situe sur un continuum et que l’expérience de conscience associée à la récupération nécessite un seuil minimum de distinctivité et/ou de force de la trace (pour une position similaire, voir Cleeremans, 2008). L’état de distinctivité de la trace est alors un indice quand à la probabilité de récupérer l’information alors que la modulation de cet état de distinctivité (i.e. modulation de la distance entre les traces) est corrélé à la probabilité que la récupération soit associée à une expérience de conscience.

Dans des travaux réalisés au sein de notre équipe, nous avons mis en évidence un certain nombre de phénomènes associés à l’état de distinctivité de la trace au moment de la récupération (Brunel et al., en révision b). La figure 24 décrit la procédure expérimentale de notre expérience. Dans celle-ci, tous les participants en phase d’étude étaient confrontés à des mots à partir desquels ils devaient former une image mentale qu’ils devaient ensuite juger en termes de familiarité dans leur environnement. Les manipulations expérimentales que nous avons introduites concernaient l’isolation de certains mots (i.e. 8 mots isolés parmi 24 mots non-isolés, voir Schmidt, 1991) et la nature de l’isolation (i.e. partielle ou globale, voir Figure 24 panel 1). L’isolation partielle (i.e. une différence d’une propriété entre les items isolés et non-isolés, voir Brunel et al., 2010) consistait à présenter lors de la phase d’étude 8 mots d’artefacts typiquement « sonores » (e.g. un mixeur) parmi 24 mots d’artefacts typiquement « silencieux » (e.g. une médaille) et inversement pour un autre groupe. A l’inverse, l’isolation globale (i.e. une différence sur un ensemble de propriétés entre les items isolés et non-isolés) consistait à présenter lors de la phase d’étude 8 mots décrivant un « être vivant » (e.g. un canard) parmi 24 mots décrivant un « artefact » (e.g. un mixeur) et inversement pour un autre groupe.

Ensuite en phase test, les participants pouvaient effectuer soit une tâche de décision lexicale (figure 24 panel 2a), soit une tâche de reconnaissance d’item (figure 24 panel 2b), soit une tâche de rappel libre (figure 24 panel 2c).

Figure 24: Illustration de la procédure expérimentale d’après Brunel et al. (
Figure 24: Illustration de la procédure expérimentale d’après Brunel et al. (en révision b). Panel 1 : Phase d’étude. Panel 2 : Phases tests ; 2a : Décision lexicale ; 2b : Reconnaissance d’items associée à un degré de confiance ; 2c : Rappel libre. Notes. Les 32 « mots » qui ont servi à la décision lexicale sont les mêmes que ceux qui ont servi à la reconnaissance (16 anciens et 16 nouveaux).

Le pattern global des résultats (voir Tableau 2) indique que l’effet de distinctivité est tributaire à la fois du type de tâche et de la nature de l’isolation entre les traces en mémoire (i.e. la distance).

Tableau 2 : Synthèse globale des résultats pour chaque manipulation expérimentale en phase d’étude en fonction de chaque variable dépendante en phase test, d’après Brunel et al.,
Tableau 2 : Synthèse globale des résultats pour chaque manipulation expérimentale en phase d’étude en fonction de chaque variable dépendante en phase test, d’après Brunel et al., en révision b. Note : + signifie qu’un effet de distinctivité a été observé (i.e. un avantage de traitement pour les items isolés par rapport aux items non-isolés) ; - dénote une absence d ‘effet de distinctivité.

Au vu de nos résultats, il semblerait que l’état de distinctivité de la trace au moment de la récupération facilite la discrimination entre les traces (voir aussi, Geraci & Rajaram, 2004) et détermine l’expérience de conscience associée à la récupération (Rajaram, 1998) à condition que la distance entre les traces soit suffisante (i.e. nature de l’isolation). Pour nous, ces résultats s’interprétaient préférentiellement dans une approche de la mémoire basée sur un processus d’appariement global (notamment les modèles MINERVA 2, Hintzman, 1986 ; 1988 et GCM, Nosofsky, 1986 ; 1991).

On s’intéressera plus particulièrement aux résultats obtenus dans la tâche de reconnaissance pour continuer d’illustrer nos propos sur l’état de distinctivité, et ce à partir d’une approche UVSD de la reconnaissance. En ce sens, nous proposerons de nouvelles analyses ROC et zROC (voir figure 25) permettant de synthétiser les résultats obtenus en efficacité et au niveau de degré de certitude de la réponse pour chaque niveau d’isolation (globale ou partielle) et pour chaque type d’item (isolé ou non-isolé). A noter que, comme c’est souvent le cas dans les expériences sur la reconnaissance, les participants tendent à avoir des performances plafond pour les HITs et plancher pour les FAs (Yonelinas &Park, 2007). Comme c’est également le cas dans notre étude, nous n’avons pas pu représenter les courbes ROC et zROC dans chacune de nos conditions expérimentales. Nous avons choisi de les représenter pour le facteur expérimental Isolation (items isolés ou non-isolés) et ce quel que soit le niveau d’isolation48. Suivant nos résultats, ce facteur devrait à la fois augmenter la sensitivité (i.e. distance entre les distributions indexée par l’interception des droites zROC, voir figure 24b) mais aussi modifier la variance de la distribution des items étudiés isolés (i.e. augmentation de l’asymétrie de la courbe ROC pour les items isolés indexée par la pente des droites zROC, voir Figure 24b).

Figure 25: Courbes ROC et zROC obtenues à partir des données brutes des participants testés dans la tâche de reconnaissance décrite par Brunel et al.,
Figure 25: Courbes ROC et zROC obtenues à partir des données brutes des participants testés dans la tâche de reconnaissance décrite par Brunel et al., en révision b. Notes. I : Isolés ; NI : Non-isolés. R2 est un indice de régression compris entre 0 et 1.

Un point important est que les droites zROC (Figure 1b) sont presque rectilignes étant donné que l’indice de régression (i.e. pourcentage de variance entre les points résumée par la droite) est élevé pour chacune des droites (i.e. .79 pour les items isolés et .97 pour les items non-isolés). Le résultat le plus intéressant qui va dans le sens de nos conclusions précédentes est, d’une part, que l’isolation des items modifie la distance entre la distribution des items isolés et non-isolés, et, d’autre part, que l’isolation modifie la distribution des items anciens en mémoire. La comparaison directe des pentes des droites zROC obtenues met en évidence que la pente de la droite zROC pour les items isolés (.53) est clairement inférieure à celle de la droite zROC pour les items non-isolés (1). En d’autres termes, l’isolation de la trace est un indice quant à la probabilité de récupérer ultérieurement cette même trace avec un niveau de confiance élevé. De plus, la comparaison directe des interceptions des droites zROC49 obtenues met en évidence que l’interception de la droite zROC pour les items isolés (2,44) est clairement supérieure à celle de la droite zROC pour les items non-isolés (1,9). En d’autres termes, manipuler l’isolation d’un item influence la probabilité ultérieure de discriminer correctement (i.e. efficacité) celui-ci, et ce grâce à une réduction du nombre de concurrents lors de l’appariement.

Notes
46.

Voir chapitre 2

47.

La distinctivité peut être une propriété intrinsèque d’une trace notamment dans le cas de l’effet de bizarrerie (Nicolas & Marchal, 2001)

48.

De plus nous n’avions pas trouvé d’interaction entre ces deux facteurs dans nos analyses sur l’efficacité en reconnaissance.

49.

A noter que l’interception ne peut varier qu’entre -3 et 3 dans l’espace z standard.