Objectifs Etude 1 : Evaluer l’activation interactive

Dans la première étude de ce chapitre, nous proposons qu’il soit possible de dissocier le poids de chacune de ces diffusions lors d’une tâche discriminante (i.e. la reconnaissance) en fonction de la probabilité de commettre une erreur (i.e. FS ou ER) lors de la récupération. Dans cette étude, nous ferons abstraction des processus engagés lors de l’encodage54 pour nous centrer sur l’activation interactive lors de la récupération. Nous proposons que les deux types de diffusion (i.e. inter et intra) déterminent de manière conjointe le contenu de la récupération, mais qu’ils sont tout de même dissociables. L’objectif principal de cette étude sera d’expliquer la propension des individus à faire des erreurs dans les tâches discriminantes en fonction de la compétition entre les diffusions d’activation. En d’autres termes, la probabilité de faire une erreur dans une tâche discriminante sera d’autant plus importante que le contenu de la récupération est avant tout basé sur une diffusion inter-traces. Alors que la probabilité de faire une erreur devrait diminuer si le contenu de la récupération est avant tout basé sur une diffusion intra-trace. Le principal postulat que nous acceptons ici est que les deux types de diffusion sont évaluables de manière indépendante au sein de la même tâche (voir tâche des matrices) et que les erreurs de mémoire varient fortement de manière interindividuelle dans les paradigmes DRM (voir aussi variation liée au matériel, Roediger et al., 2001) et MCI.

PARADIGME DRM & MCI - Nous reviendrons dans la partie méthode de l’étude 1 sur les tâches employées mais d’un point de vue général, les FS, et en particulier les fausses reconnaissances (FRec), seront évalués à l’aide d’une adaptation en français du paradigme DRM (Roediger & McDermott, 1995) et les ER seront évaluées à l’aide d’une adaptation du paradigme MCI (Reinitz, Lammers & Cocheran, 1992). Très brièvement, le paradigme DRM repose sur deux phases distinctes : une phase d’étude au cour de laquelle les participants apprennent des listes de mots (e.g. banane, cerise, légume, etc.) construites à partir d’un item critique qui n’est pas présent, en vue d’un rappel immédiat à la fin de la présentation de chacune des listes, et une phase test au cour de laquelle les participants effectuent une tâche de reconnaissance à la fois sur des items étudiés (i.e. des mots des listes) et des items non-étudiés (i.e. reliés, non-reliés et critiques). Le résultat classique observé en reconnaissance est un taux de fausse reconnaissance pour les items non-étudiés critiques significativement supérieur aux autres items non-étudiés. Le paradigme MCI repose lui aussi sur deux phases distinctes : une phase d’étude au cour de laquelle les sujets apprennent une liste de non-mots CVC-CVC suivie d’une phase test au cour de laquelle, les participants effectuent une tâche de reconnaissance sur des items étudiés (i.e. un non-mot de la liste) ou non-étudiés (i.e. une recombinaison de deux non-mots anciens ou une combinaison d’une syllabe ancienne et d’une autre nouvelle). Le résultat classique observé en reconnaissance est un taux d’erreur pour les items non-étudiés recombinés (i.e. MCI) significativement supérieur à l’autre type d’item non-étudié (i.e. feature).

Notre première hypothèse portera sur la réplication des résultats qui montrent que ces erreurs sont présentes chez les sujets sans trouble de mémoire. Plus particulièrement, dans notre version du paradigme DRM, on s’attend à un taux de FRec, pour les items critiques non-étudiés significativement plus important que pour les autres types d’items non-étudiés, et, dans notre version du paradigme MCI, un taux d’erreur significativement plus important pour les items non-étudiés MCI (i.e. une ER) que pour les items non-étudiés Feature.

ERREURS (FRec & ER) et ACTIVATION INTERACTIVE – Pour plus de simplicité, nous ne traiterons que la tâche de reconnaissance et suivrons les assertions des modèles d’appariement global pour caractériser l’activité de reconnaissance. Dans ce type de modèle, un item test est jugé ancien si l’activation engendrée par ce dernier dépasse un seuil d’activation (voir Hintzman, 1986 ; Nosofsky, 1991).

Dans le cas du paradigme DRM, les FRec (i.e. ici une réponse « ancien » pour un item critique) proviennent non seulement de l’intégration d’une série de diffusion inter-traces entre les propriétés de l’indice et celles des traces d’items étudiés en mémoire (puisque l’indice possède une forte similarité avec ces dernières, voir Arndt & Hirshman, 1998) mais aussi d’un manque de diffusion de l’activation intra-trace. En effet, lorsque l’indice à traiter est fortement similaire à des traces d’items étudiés (i.e. une majorité de ces propriétés qui s’apparient dans un grand nombre de traces), l’intégration des activations diffusées de manière inter-traces donnera une valeur d’activation qui a de forte probabilité de dépasser le seuil de jugement. En revanche, si l’activation diffuse à la fois au niveau inter-traces et intra-trace (i.e. activation de propriétés qui ne correspondent pas à l’indice), l’intégration des activations diffusées de manière inter et intra donnera une valeur d’activation qui a une faible probabilité de dépasser le seuil. La relation entre diffusion inter-traces et intra-trace devrait être un prédicteur important de la probabilité de faire une FRec.

Un point important est que nous ne disons aucunement qu’une diffusion inter-traces est uniquement une source d’erreur. Bien au contraire, nous pouvons souligner que le traitement dans une activité catégorielle sera d’autant plus efficace que le contenu de la récupération est avant tout déterminé par une diffusion d’activation inter-traces (voir chapitre 2). En revanche, dans les activités discriminantes (i.e. reconnaissance, rappel), elle est à la fois source de réponse correcte mais aussi d’erreurs (e.g, pour une discussion similaire voir l’opposition entre typicalité et distinctivité, Nosofsky & Zaki, 2003).

Dans le cas du paradigme MCI, les ER (ici une réponse « ancien » pour un item MCI) surviennent principalement à cause d’un manque de diffusion intra-trace. De par la nature du matériel en phase d’étude (i.e. non-mots CVC-CVC ne correspondant à aucun mot de la langue), l’indice entraîne une diffusion inter-traces limitée (i.e. 1 ou2 traces similaires). En effet, dans ce paradigme, une erreur de recombinaison interviendra lorsque l’indice (i.e. item non-étudié MCI) active deux propriétés dans deux traces différentes d’items étudiés et que ces activations ne se diffusent pas au sein des traces. Cette activation a alors une probabilité plus importante de dépasser le seuil de reconnaissance que lorsque l’indice n’active qu’une seule propriété (i.e. item non-étudié Feature). De par la configuration du paradigme et la nature du matériel (i.e. non-mots CVC-CVC), nous avons retenu celui-ci pour l’étude de l’intégration à l’encodage dans notre deuxième expérience.

Notre deuxième hypothèse suppose que plus la compétition entre diffusion inter-traces et intra-trace se fera en faveur d’une diffusion inter-traces, plus la probabilité de faire une FRec (i.e. une réponse positive pour un item critique) au sein de notre paradigme DRM devrait augmenter chez les participants. En même temps, plus la diffusion intra-trace sera forte, plus la probabilité de faire une ER (i.e. une réponse positive pour un item MCI) au sein de notre paradigme MCI devrait diminuer.

EVALUER L’ACTIVATION INTERACTIVE - Rappelons que, pour nous, ces deux types de diffusion de l’activation ne sont pas nécessairement indépendants mais interviennent en parallèle et sont en compétition pour déterminer le contenu de la récupération. Le principal défi méthodologique était alors de proposer une tâche où l’indice proposé au participant favorise de manière la plus indépendante possible une des deux diffusions.

Nous avons créé une tâche (i.e. tâche des matrices, voir la section méthode de l’étude 1) dans laquelle les participants sont invités à apprendre les propriétés de figures géométriques (forme et couleur) et leur positions spatiales au sein d’une succession de matrice de 9 cases. Afin d’évaluer les deux types de diffusion et pour des raisons de praticité, cette tâche repose sur le postulat de MINERVA 2 au niveau de l’encodage (i.e. chaque propriété55 de l’épisode est conservée en mémoire au sein d’une trace non distribuée). À l’issue de la phase d’apprentissage, les participants sont invités à retrouver la position spatiale soit d’une propriété commune à plusieurs traces (voir figure 26), soit d’une combinaison spécifique de deux propriétés (i.e. un item, voir figure 27).

Figure 26 : Illustration de la diffusion inter-traces pour une réponse « propriété » correcte dans la tâche des matrices. Chaque trace dans la matrice de mémoire est définie par trois primitives (forme, couleur, position spatiale). Notes. Act-Inter : Activation inter-traces ; Act-Intra : Activation Intra-trace.
Figure 26 : Illustration de la diffusion inter-traces pour une réponse « propriété » correcte dans la tâche des matrices. Chaque trace dans la matrice de mémoire est définie par trois primitives (forme, couleur, position spatiale). Notes. Act-Inter : Activation inter-traces ; Act-Intra : Activation Intra-trace.

Dans la figure 26, le participant doit récupérer la position spatiale associée à la forme « carré ». L’indice (i.e. la sonde) perceptivement présent est commun à plusieurs traces. Le contenu de la récupération est alors préférentiellement déterminé par une diffusion inter-traces, la couleur étant ici une propriété non pertinente.

En revanche, lorsque le participant doit récupérer la position spatiale associée à la figure triangle-jaune (voir figure 27), ici encore, la sonde ou l’indice a ses propriétés qui s’apparient avec plusieurs traces. Cependant, lorsque la réponse du participant est correcte, le contenu de la récupération sera nécessairement déterminé par une diffusion intra-trace (tous les triangles ne sont pas associés à la couleur jaune et à la même position).

Figure 27 : Illustration de la diffusion intra-trace pour une réponse « item » correcte dans la tâche des matrices. Notes. Act-Inter : Activation inter-traces ; Act-Intra : Activation Intra-trace.
Figure 27 : Illustration de la diffusion intra-trace pour une réponse « item » correcte dans la tâche des matrices. Notes. Act-Inter : Activation inter-traces ; Act-Intra : Activation Intra-trace.

Avec cette tâche, nous nous attendons à pouvoir évaluer de manière quasi indépendante des réponses basées sur une activation inter-traces ou intra-trace. Plus particulièrement, le score pour les réponses « propriétés » servira d’indice à la diffusion inter-traces et le score « item » servira d’indice à la diffusion intra-trace. Cette tâche servira directement à opérationnaliser notre deuxième hypothèse. En d’autres termes, nous nous attendons à ce que : 1) plus les participants basent leurs réponses sur une diffusion inter-traces (i.e. plus le score propriété sera supérieur au score item), plus le taux de FRec devrait augmenter (ce qui signifie que les deux scores devraient être des bons prédicteurs de la variabilité interindividuelle pour les FRec dans notre paradigme DRM) ; 2) plus les participants basent leurs réponses sur une diffusion intra-trace (i.e. score item élevé), plus le taux d’ER devrait diminuer celles-ci ER étant principalement dues à un manque de diffusion intra-trace, (ce qui signifie que le score « item » devrait être un bon prédicteur de la variabilité interindividuelle pour les ER dans notre paradigme MCI).

Notes
54.

Nous reviendrons sur cette question lors de la deuxième étude.

55.

Ici, la forme, la couleur et la position spatiale (e.g.Slotnick & Schacter 2006 ; Labeye, Brunel & Versace, en révision)